Les figures emblématiques de la finance décentralisée (DeFi) – Partie 1

Chapitre V Article d

Après avoir abordé l'histoire de la finance décentralisée et afin d’en apprendre plus sur cet univers fascinant, il faut connaître ses têtes pensantes. Les personnalités que nous allons vous présenter dans cet article ont façonné une révolution financière grâce à leur vision, leur talent, mais aussi leur capacité à réunir des équipes de chercheurs et de développeurs de haut vol.

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Il existe de nombreux articles biographiques en ligne les concernant. Ainsi, afin d'apporter de la valeur au lecteur, nous axerons notre contenu sur les idées de nos pionniers, leur vision et leurs principes, plutôt que sur le déroulé de leur vie. Respectés par la communauté crypto, certains se détestent et se sont livrés d’âpres batailles idéologiques ou techniques.

Partons à la découverte de l’écosystème de la DeFi grâce à ses figures emblématiques !

Vitalik Buterin, le pionnier

Il est impossible de visiter le panthéon de la DeFi sans consacrer une attention particulière à Vitalik Buterin et à son apport immense. De nombreux articles ont été publiés à son sujet, dont une biographie made in Journal du Coin. Si vous avez consulté le Chapitre dédié à Ethereum, vous devriez déjà connaître son histoire. Après une brève présentation, ses idées et sa vision de la crypto-économie bénéficieront donc d'une place importante au sein de cet article.

Vitalik Buterin
Derrière ce visage d'éternel adolescent se cache un génie de la cryptographie

Le démiurge de la finance décentralisée

Vitalik Buterin est un programmeur informatique canadien né en Russie. Son père, Dmitry Buterin, est lui-même chercheur en informatique, professionnel dans les technologies de l’information, et cofondateur de l’incubateur de startups Blockgeeks Lab.

Le génie de Vitaly Dmitrievich Buterin se révèle dès sa petite enfance, passée à Kolomna, une ville moyenne de l’oblast de Moscou. D’une curiosité hors-normes, il est très en avance pour son âge et se passionne pour de nombreux sujets. Ses parents émigrent à Toronto lorsqu’il a six ans, pour des raisons professionnelles. Le petit génie s’adapte avec aisance à son nouveau pays, et intègre directement une classe réservée aux surdoués. Il y étudie les mathématiques, les sciences informatiques et l’économie.

Il rejoint ensuite les bancs de l’Abelard School, une école privée dont le nom est hérité du philosophe français Pierre Abélard. Son père lui fait découvrir Bitcoin pour la première fois lorsqu'il a 17 ans. Il intègre ensuite l’université de Waterloo. Une fois de plus, il excelle, et devient assistant chercheur du cryptographe Ian Goldberg, très impliqué dans le projet Tor.

Après avoir gagné un peu d’argent en remportant la médaille de bronze des Olympiades internationales d’informatique en Italie, il voyage en Europe. Durant plusieurs mois, il va à la rencontre de diverses communautés de développeurs locales. Il échange principalement avec des passionnés de cryptomonnaies. Il revient alors au Canada avec une idée révolutionnaire : étendre le concept de Bitcoin et de sa blockchain à tous types de calculs et de transactions. Plus précisément, il imagine un « ordinateur universel » décentralisé, et un langage Turing-complet, Solidity. Son idée est de créer une plateforme globale pouvant héberger des applications financières complexes.

Âgé d’à peine 19 ans, il rédige le whitepaper d’Ethereum. En 2014, grâce à la Thiel Fellowship, il obtient une bourse de 100 000 dollars pour travailler sur son projet à temps plein. Il quitte donc l’université à 20 ans, et un an après, la première plateforme de smart contracts voit le jour : Ethereum.

La notion de crypto-économie

Avant d’aborder la finance décentralisée, il faut comprendre la vision de Vitalik Buterin et son apport majeur : le concept de crypto-économie. Précisons que le terme est employé pour la première fois par l’un de ses amis de Toronto, Vlad Zamfir. Avec Vitalik, il a notamment conçu le système de preuve d’enjeu d’Ethereum.

Le paradigme de la crypto-économie est au confluent de l’économie (au sens traditionnel du terme), des sciences informatiques, de la cryptographie et de la théorie des jeux. Il s’agit désormais d’une discipline scientifique à part entière.

La crypto-économie est l’étude des protocoles gouvernant la production, la distribution et la consommation des biens et des services de l’économie numérique décentralisée. La notion de décentralisation est clé : on ne parle pas d’économie numérique au sens communément admis. Grâce à Bitcoin et au protocole de Satoshi Nakamoto, cette dernière devient décentralisée, grâce à divers mécanismes d’incitation, formalisés par la théorie des jeux.

La définition donnée par Vitalik est plus concise : une méthodologie permettant de construire des systèmes garantissant certaines propriétés relatives à la sécurité des informations.

Un auteur prolifique

Vitalik est l’un des développeurs de l’industrie crypto ayant le plus écrit. Son blog regorge d’articles sur des sujets divers et variés. Notre génie touche-à-tout aura ainsi exploré de nombreux concepts, comme les organisations autonomes décentralisées, la théorie des jeux en économie, et bien entendu la finance décentralisée.

Il est en partie à l’origine de cette expression, bien qu’il utilisait dans ses premiers billets celle de « finance ouverte ». Elle était plus générique, englobant tous les systèmes financiers basés sur une blockchain. Vitalik appuyait sur l’aspect inclusif, accessible et interopérable d’Ethereum. Ce sont les développeurs d’Ethereum des années 2015-2018, comme Brendan Forster ou encore Joseph Lubin, qui popularisèrent le terme DeFi. Il est plus explicite quant à la nature et à l’architecture des nouveaux systèmes découlant de l'apparition des plateformes de smart contracts. 

Vitalik s’exprime aussi régulièrement sur le sujet de la politique. Il a ainsi proposé de nombreux systèmes originaux, tels la futarchie ou encore le « communisme dégénéré. » En juillet 2017, lors de la campagne de la présidentielle américaine, il se positionne contre le choix d’un politicien en fonction de ses vues sur les cryptos.

La décentralisation selon Vitalik Buterin

Le mot décentralisation est souvent employé à tort et à travers dans l’univers crypto. Vitalik a donc très vite tenu à formaliser ce concept, en définir les contours, afin de préciser les contours de sa vision futuriste de la finance.

Finance décentralisée - Diagramme Centralisé/Décentralisé/Distribué
Ce diagramme simpliste força Vitalik à écrire l'un des articles fondamentaux de la cryptosphère

Vitalik Buterin comprend très vite que l'informatique distribuée est sur le point d'être révolutionnée en profondeur grâce à l'invention de Satoshi Nakamoto. En effet, l'outil blockchain permet d'intégrer une nouvelle variable au sein des réseaux distribués d'information : l'argent. Quelques années après l'apparition de Bitcoin, on découvre ainsi l'Internet de la valeur.

Vitalik distingue ainsi trois axes de décentralisation au sein d'un système :

  • Architecture : combien de machines physiques composent le système ? Combien le système peut-il tolérer d'éléments défaillants ?
  • Politique : combien d'individus ou d'entités contrôlent ces machines ?
  • Logique : les interfaces et structures de données forment-elles un objet monolithique ou un essaim informe ?

Vitalik sait qu'il devra chercher à optimiser chaque type de décentralisation pour arriver à construire son ordinateur universel. Deux ans à peine après avoir découvert Bitcoin, il est capable de pointer les imperfections des plateformes blockchain naissantes. Il a une idée précise des propriétés recherchées : tolérance aux fautes, résistance aux attaques, et résistance à la collusion. Fort de cette analyse tridimensionnelle, il cherche à trouver un mécanisme de consensus adapté à son ambition.

Finance Décentralisée - Les trois axes de la décentralisation
Vitalik Buterin et son concept de la décentralisation d'un système à trois dimensions, avec des exemples

Lors du lancement d'Ethereum en 2015, après une levée de fonds de 18 millions de dollars, son système reprend la preuve de travail de Bitcoin. Cependant, il a déjà choisi la famille de mécanismes de consensus qui devra maintenir Ethereum. Avec son acolyte Vlad Zamfir, il travaille d'arrache-pieds pour s'approcher de son idéal.

La preuve d'enjeu selon Vitalik Buterin

Le choix de Vitalik Buterin se porte sur la preuve d'enjeu (Proof of Stake ou PoS). En 2016, il écrit beaucoup à ce sujet, et se livre à des débats contradictoires avec d'autres ingénieurs, chercheurs et cryptographes. Il a de nombreux arguments en faveur du fameux PoS.

Tout d'abord, il souhaite briser la symétrie entre les coûts d'attaque et de défense d'une blockchain. Il faut créer un mécanisme qui privilégie le défenseur, dépendant le moins possible du consensus social, qui reste selon lui l'ultime protection d'un réseau blockchain. Sa philosophie de la preuve d'enjeu est donc de maintenir le consensus non pas en fonction d'importantes récompenses financières pour les participants honnêtes, mais de très lourdes pénalités pour les tricheurs.

C'est avec cet objectif en tête qu'il conçoit le PoS actuel d'Ethereum, qui ne sera déployé que le 15 septembre 2022. Concevoir un système efficace est en effet un casse-tête. Le PoS prête le flanc à de nombreux vecteurs d'attaques. Aujourd'hui même, ce type de consensus est toujours sujet à des critiques variées.

La gouvernance des blockchains

Durant ses premières années d'existence, Ethereum est un véritable bac à sable, où les développeurs se retrouvent parfois enlisés. L'événement le plus marquant de l'année 2016 est le piratage de TheDAO. Ce premier protocole d'organisation autonome décentralisé, partant d'une idée géniale, se fait pirater peu après son lancement. La communauté est en crise : faut-il laisser l'attaquant dérober les fonds ou intervenir sur la blockchain ? Les partisans du laissez-faire et de l'immutabilité sacrée de la blockchain créent Ethereum Classic. Vitalik, lui, a choisi son camp.

Il reste sur son idée du consensus social comme protection ultime de son système. Comme de nombreux développeurs, il pense qu'Ethereum se relèvera difficilement de ce fiasco. Il entame alors une longue période de réflexion, et théorise sur la gouvernance des blockchains. Il imagine de nombreux systèmes de vote, soupèse leurs avantages et leur inconvénients. Le futur mécanisme de Proof of Stake d'Ethereum n'est pas au point, il se lance alors dans une série d'expériences de pensée, de calculs et de simulations.

Un idéalisme politique

C'est en 2018 que Buterin commence à affiner sa pensée politique. Cypherpunk par nature, il devient plus nuancé. Il a cependant des certitudes sur les qualités de tel ou tel système, qu'il s'agisse de gouverner une blockchain ou l'Humanité. Ce qu'il souhaite éviter à tout prix dans les mécanisme de preuve d'enjeu, c'est la ploutocratie. Il imagine des systèmes de vote quadratique, différents mécanisme de pondération des stakers... Une longue bataille philosophique s'engage avec Dan Larimer, le créateur de la preuve d'enjeu déléguée.

Les implications juridiques de l'aventure crypto commencent également à l'inquiéter. Quid des responsabilités des développeurs d'un système résistant à la censure ? Il cherche à préserver la vie privée des utilisateurs, et s'interroge sur les conséquences juridiques de la localisation géographique des données blockchain. Il faut dire que les régulateurs, face à la folie des Initial Coin Offerings (ICO), commencent à taper du poing sur la table. Vitalik développe le concept de « contrôle devenant responsabilité ». L'idée est simple : moins un développeur a de contrôle sur sa création, et plus il pourra se protéger des déboires juridiques.

De la finance ouverte à la finance décentralisée

Parallèlement aux recherches sur la gouvernance autonome décentralisée, la communauté Ethereum cherche à étendre l'éventail des applications financières de l'écosystème. Grâce aux ERC-20, n'importe qui peut désormais créer ses propres jetons de valeur, représentant tout type d'actif numérique. On ne parle plus de cryptomonnaies mais de crypto-actifs. Le marché des ICO représente durant les années 2017-2018 des milliards de dollars. Ces levées de fonds, accessibles à tous, sans contraintes géographiques, font beaucoup de bruit. Vitalik Buterin, que l'on commence à surnommer « le dictateur bienveillant » ne se gène pas pour s'exprimer quant à cette effervescence qu'il juge dangereuse.

C'est à cette période qu'il dévoile une façade assez conservative - serait-ce le réveil de son âme russe ? Incitant à la prudence, il est même jugé réactionnaire et moralisateur par les plus libertariens et les anarcho-capitalistes de la première heure. Vitalik Buterin met en garde la communauté crypto contre les dérives des ICO. Il conseille aux développeurs de se concentrer sur les fondamentaux - la crypto-économie -, plutôt que de chercher à s'enrichir rapidement. Il critique vivement certains projets crypto, qui n'ont pour lui aucun sens. Il est vrai que chaque innovation amène son lot d'arnaques.

Vitalik continue toutefois ses recherches pour assainir l'espace des ICO qui congestionne Ethereum. Il théorise et propose de nombreux modèles de ventes de jetons, tout en insistant sur la notion de gouvernance des protocoles. C'est à cette époque que la notion de finance décentralisée émerge réellement. Au-delà de l'aspect purement Cypherpunk et inclusif, une fois l'excitation retombée, il faut continuer à viser la décentralisation totale.

Les marchés prédictifs et l'essor des AMM

C'est en s'intéressant de près aux marchés prédictifs et à leurs différents modèles mathématiques que Vitalik fait passer la finance décentralisée à la vitesse supérieure. Il inspire le développement des premiers faiseurs de marchés automatisés (automated market makers ou AMM). Sans entrer dans les détails, car ils bénéficient d'un article encyclopédique à part entière, c'est sous l'impulsion de Vitalik qu'ingénieurs, cryptographes et chercheurs développent les premiers échangeurs décentralisés (DEX) sans carnet d'ordres.

À cette époque, on pourrait penser que Vitalik se met en retrait. Il se prononce peu sur les avancées formidables de la finance décentralisée. De temps en temps, il se contente de rappeler la communauté Ethereum à la vigilance. En effet, les applications DeFi voient apparaître des ensembles de smart contracts de plus en plus complexes. Inévitablement, la moindre faille est exploitée par d'ingénieux pirates. Les bugs, les vols et les gaspillages de fonds sont fréquents.

Toutefois, Vitalik est en réalité toujours très concentré sur le développement d'Ethereum. Il prépare discrètement le passage du réseau à la preuve d'enjeu. En plein boom de la DeFi, on a enfin un nom : le fork s'appelle The Merge. La transformation d'Ethereum vers sa version 2.0 est annoncée pour juin 2022.

The Merge : une réussite pour la finance décentralisée, de nouveaux challenges pour Ethereum

Le déploiement d'Ethereum 2.0 est finalement repoussé au mois de septembre. De nombreux doutes secouent la communauté. Il s'agit d'une mise à jour d'une ampleur sans précédent, demandant une extrême coordination. Nul ne sait vraiment si le système conçu par Vitalik sera opérationnel et exempt de dangers. Heureusement, en coulisses, de brillants développeurs ont fourni un travail d'une extrême qualité.

Le 15 septembre 2022, la mise à jour est déployée et tout se passe à merveille. Cependant, elle ne permet pas de décongestionner le réseau : les frais de transaction restent élevés. Il s'agit du plus grand frein à la démocratisation de la finance décentralisée sur Ethereum. Les utilisateurs qui ne disposent pas de fonds importants préfèrent se tourner vers Solana ou Avalanche. Ces blockchains de troisième génération sont plus accessibles, et de nombreuses applications DeFi originaires d'Ethereum s'y déploient peu à peu.

Vitalik est conscient des limitations d'Ethereum, et émet de nombreuses suggestions pour l'améliorer. Il reste toutefois ancré à sa vision et à ses idéaux cypherpunks originels :

  • Une participation globale et ouverte ;
  • La décentralisation comme objectif premier ;
  • Un protocole résistant à la censure ;
  • La neutralité visible de sa couche de base ;
  • La transparence de sa logique applicative ;
  • Une communauté à l'état d'esprit coopératif.

Dans un long article intitulé « Make Ethereum Cypherpunk Again », Vitalik énonce ces différents objectifs, qui concernent également la communauté crypto dans son ensemble. La finance décentralisée doit avant tout rester accessible et inclusive. Selon lui, Ethereum n'est qu'une partie d'un ensemble plus grand, un outil servant à réaliser sa vision du mieux possible, sur le plan économique tant que sur le plan technique. En 2023, il donne ainsi de nombreuses pistes pour tendre vers ses idéaux.

L'essor des couches secondaires

La piste la plus intéressante pour améliorer Ethereum réside dans les couches secondaires du protocole. Vitalik a discuté et analysé toutes les solutions existantes, de Plasma aux rollups. Sa préférence semble se porter sur les preuves à divulgation nulle de connaissance. En effet, les différents types de zk-rollups offrent le meilleur des deux mondes : scalabilité et confidentialité. Comme toujours, ses analyses profondes restent une inspiration pour les développeurs. Vitalik est capable de visualiser les compromis inhérents à chaque type de solution.

Finance décentralisée - 3 types de Layer 2
Les trois types de L2 et leur connectivité à Ethereum selon Vitalik : déconnectés, validiums et rollups

De 2023 à 2024, des progrès considérables sont réalisés dans le domaine des Layers 2. Comme l'avait prévu Vitalik, les développeurs choisissent tel ou tel système et tentent d'obtenir le meilleur compromis possible entre sécurité, connectivité et coûts. La finance décentralisée s'oriente globalement vers les rollups, basés sur des preuves de fraude ou des preuves de validité. Les fonds déposés sur ces couches secondaires augmentent de jour en jour. Les dApps phares de l'écosystème DeFi sont toutes déployées sur les L2 les plus aboutis, tels Optimism, Base ou encore Arbitrum.

Un techno-optimiste

Pour conclure cette partie consacrée à Vitalik Buterin, notons que malgré son âge, ce dernier a toujours fait preuve d'une maturité et d'une constance hors du commun. Il est un visionnaire de génie, qui a su se remettre en question pour trouver de nouvelles pistes dans l'avancée d'Ethereum. La finance décentralisée est une forêt vierge, un ensemble de possibles, où tout reste à construire.

À 30 ans, il est considéré comme l'une des personnalités les plus influentes de l'industrie. Ses analyses brillantes dénotent un regard presque omniscient sur l'écosystème crypto. Elles mêlent mathématiques, économie, ingénierie, philosophie et politique. Son côté lunaire, son look improbable et sa diction étrange en font un personnage attachant et magnétique. Chacune de ses apparitions impose un silence religieux dans les salles de conférences.

Bien que ses contributions en termes de code pur sont désormais minimes, il reste une sorte de gourou pour toute la communauté crypto.

Rune Christensen, fondateur de MakerDAO (Sky)

Rune Christensen (à ne pas confondre avec le peintre éponyme) est un entrepreneur danois. Il est le créateur du protocole MakerDAO (devenu Sky) et du premier stablecoin décentralisé de l’histoire, le DAI. Il existe peu d'informations quant à son histoire personnelle. Ce self-made man s'est imposé comme une des figures emblématiques de la finance décentralisée grâce à son invention. On considère MakerDAO comme la première application de finance décentralisée.

Dès la publication du whitepaper d’Ethereum en 2014, Christensen connait sa mission dans l'univers crypto : concevoir un système de smart contracts pour émettre une monnaie stable et adossée au dollar, sans passer par un système de réserve bancaire.

Nul besoin d'expliquer en quoi les stablecoins sont indispensables ! En revanche, créer une version décentralisée est un challenge qui paraissait difficile à surmonter dans les années 2011-2013. Rune Christensen a réussi à mener à bien cet exploit : cela l'aura amené à développer un concept fondamental dans notre univers, celui de la gouvernance autonome décentralisée.

Rune Christensen - Fondateur MakerDAO
Rune Christensen

D'étudiant à entrepreneur et inventeur des stablecoins décentralisés

Rune Christensen a tout d’abord étudié à la Copenhagen Business School, entre 2011 et 2013. Voyageant régulièrement en Chine, il fonde sa première compagnie : Try China. Cette dernière recrutait des professeurs d’anglais souhaitant travailler au sein de l’Empire du Milieu.

Il découvre ensuite Bitcoin, et vend son business pour tout y investir. Malheureusement, il n’échappe pas au hack de MtGox, et perd une petite fortune. C’est cette mésaventure qui le poussera à devenir obsédé par le concept de stablecoin. Les systèmes de l’époque ne le satisfont pas : ils sont trop centralisés et leur réserves sont opaques. Il rejoint donc le projet BitShares, mené par Dan Larimer. Cette plateforme (qui fut vite abandonnée) était l’une des premières permettant de concevoir des actifs stables.

Christensen s’implique peu dans le développement de BitShares. En revanche, il est un membre actif de sa communauté autour des questions de gouvernance. Ses activités au sein de BitShares constituent les fondements de son système. Il comprend ensuite immédiatement le potentiel d’Ethereum à la lecture du livre blanc de Vitalik Buterin, et se lance dans la création de son projet de stablecoin.

La première application de finance décentralisée

Le DAI s’articule autour d’une DAO qui aligne les intérêts des différents participants pour maintenir le cours du DAI aussi proche que possible du dollar. Nous entrerons dans les détails du protocole Maker dans un article dédié de cette Encyclopédie. Ce qui nous intéresse ici, c’est le succès du concept de Rune Christensen.

Le lancement officiel du DAI a lieu le 18 décembre 2017, au pic du bull market et de la folie des ICO. Malgré une année 2018 morose pour les cryptos, le célèbre fonds de capital risque a16z investi en septembre 15 millions de dollars dans MakerDAO. Il se retrouve propriétaire de 6 % des jetons MKR, et aura donc une certaine influence sur le développement du projet.

La Fondation Maker voit également le jour la même année, à Copenhague, la ville de résidence de Christensen. Cela catalyse la croissance de l’écosystème du DAI, malgré quelques dissensions entre les membres de l’équipe exécutive. Christensen établit ensuite de nombreux partenariats au sein du marché asiatique, profitant de sa connaissance de la Chine et de son industrie crypto. Fort de son expérience passée lors du boom de Bitcoin dans son deuxième pays de cœur, il renforce ainsi la place de leader de MakerDAO dans son domaine.

L’année 2022 est un tournant majeur : Christensen, fidèle à ses promesses, souhaite parachever la décentralisation totale du projet. Il quitte ainsi sa direction, mais finalement, le reste de l’équipe de développement se retrouve un peu perdue. La communauté est divisée quant à ce choix : cela incite Christensen à reprendre son rôle de leader.

The EndGame

Il imagine alors un plan qu’il appelle Endgame, visant à améliorer la résilience de l’écosystème et à tendre vers sa décentralisation politique totale. Il introduit le concept des mini-DAO et restructure la gouvernance du protocole. Ses idées sont motivées par les échecs des nombreux projets d’organisation autonomes décentralisées, mais aussi par ses réflexions personnelles sur la corruption et la politique au sens large.

En 2023, Rune Christensen évoque l’idée de migrer MakerDAO sur un fork de Solana. Cela permettrait à l’écosystème d’être déployé sur sa propre chaîne. Cependant, cette annonce est très mal perçue. Vitalik Buterin vend notamment son stock personnel de jetons MKR (environ 353 ETH) en signe de désapprobation. À l’heure d’écriture de ces lignes, l'idée de créer la « NewChain » n’a toujours pas été mis à exécution. La communauté semble plutôt encline à faire de Maker une couche secondaire d’Ethereum, les progrès réalisés dans ce domaine ayant été fulgurants ces deux dernières années.

Rune Christensen est un pionnier du domaine des stablecoins et l’un des esprits les plus éclairés en ce qui concerne les modèles de gouvernance autonome décentralisée. Ses apports à l’écosystème crypto sont colossaux. Tout comme Vitalik Buterin, il fait partie des grands penseurs du Web3. Ses réflexions poussées sur la décentralisation ont inspiré nombre de créateurs et de développeurs.

Avec Maker, il aura tout exploré. Très optimiste au départ, il s’est heurté à toutes les challenges posés par ces nouveaux systèmes de gouvernance distribuée. En 2024, il a une approche moins idéaliste, comme en témoignent les citations ci-dessous.

MakerDAO
Logo de MakerDAO, devenu Sky

Un théoricien des DAO

Le Danois n'a jamais hésité à s'exprimer au sujet de son aventure. Il a partagé ses convictions, ses doutes, et a toujours argumenté lors des changements d'orientation parfois radicaux. Il peut être considéré comme un théoricien des DAO. À travers cette sélection de citations, le lecteur pourra comprendre son approche réaliste de la gouvernance.

BitShares et les stablecoins

« Maker a débuté comme un clone du système de stablecoin de BitShares. C'est là que j'ai eu mon premier aperçu de ce tout nouveau monde, de ce qui est possible avec la blockchain, étant originellement un maximaliste Bitcoin libertaire. BitShares a certainement été le premier projet avec une idée claire de la façon dont vous pouvez utiliser la blockchain pour créer une véritable entreprise. »

« Je suis une personne qui dit que les stablecoins sont le seul business modèle qui fonctionne encore. »

« La philosophie de BitShares était assez extrême, dans le sens où elle ressemblait vraiment à de l'anarchisme radical à bien des égards. Dans une certaine mesure, elle était totalement détachée de la réalité, ce qui a fini par rebuter beaucoup de gens. L'idée que si vous voulez utiliser cette technologie géniale, vous devez également souscrire à toute cette idéologie, est une assez mauvaise stratégie pour essayer d'obtenir l'adoption des entreprises. »

La philosophie de MakerDAO

« Maker provient en grande partie de cette philosophie anarchiste, c'est sûr, mais c'était avec l'idée que l'objectif final était d'apporter des changements dans le monde réel. »

« L'idée centrale de la gouvernance décentralisée de Maker DAO est de créer quelque chose de similaire à une communauté scientifique, où il existe un terrain de jeu libre et un cadre ouvert, pour que toutes les idées puissent participer, comme un forum impartial, où chaque perspective peut être entendue. »

« La gouvernance de Maker est fortement axée sur l’innovation car ce n’est que le tout début de la gouvernance décentralisée. »

La gouvernance décentralisée

« Il n’existe aucun moyen d’apporter un changement fondamental et substantiel via la gouvernance autonome décentralisée dans un système à grande échelle. La seule façon d’obtenir de manière réaliste une gouvernance autonome est de prendre des décisions suffisamment simples, qui ont un impact négatif limité. »

« Il est très difficile d’accepter que la réalité soit que ce soit la politique humaine qui détermine la façon dont les DAO finissent par fonctionner dans la nature. J’étais donc convaincu que l’idée même des DAO était vouée à l’échec. »

« Il est très difficile d’accepter que la réalité est que les politiques humaines sont très mauvaises, et que c’est ce qui détermine la façon dont les DAO finissent par fonctionner par nature. J’étais convaincu que l’idée même des DAO était vouée à l’échec.

C’est comme un système qui s’attend à ce que chacun choisisse ce qui est le pire pour lui-même. Comme le pire dilemme du prisonnier possible, n’est-ce pas ? Il n’y a aucun avantage à coopérer, et un énorme avantage à agir dans votre propre intérêt en faisant défection. Mais il s’avère qu’il est tout à fait possible d’inverser la situation, et de créer le système inverse, où vous avez toutes ces incitations positives pour prendre les bonnes décisions. Cela signifie finalement que vous pouvez stimuler la croissance, car ce type d’incitation positive à prendre une bonne décision est aussi un entonnoir de croissance. »

« Une fois que vous aurez atteint ce stade, vous pourrez développer votre base d’utilisateurs, et recruter dans votre écosystème en même temps. Tout se résume à cette question fondamentale : pouvez-vous créer de véritables incitations dans le monde réel, amenant les acteurs externes à interagir avec vous d’une manière qui crée de la valeur nette ? »

Le futur de la finance décentralisée

« Avec Maker, nous avons eu de la chance d'être arrivés si tôt, car nous avons commis de nombreuses erreurs. Nous étions vraiment, vraiment mauvais en matière d'exécution, même par rapport à la moyenne générale de l'industrie crypto d'aujourd'hui, qui est encore très faible. »

« La gamification tend à attirer les utilisateurs, et à favoriser une spéculation financière de second ordre, accélérant une sorte de dynamique, qui semble aboutir au meilleur type de croissance que nous ayons observé dans notre industrie jusqu'à présent. »

Les Mamans et les Papas du futur auront la blockchain directement sous les yeux : c’est ainsi qu’ils feront leurs prêts hypothécaires. Les étapes à suivre dans ce sens consistent à intégrer le back-end des infrastructures financières existantes. Il est donc difficile d'atteindre l’utilisateur final, et la rendre vraiment utilisable, accessible et puissante pour le particulier. Mais c’est beaucoup plus facile si vous commencez à essayer de l’implémenter dans le financement commercial à grande échelle, ou simplement sur les marchés des pensions, des titres, ou des obligations à grande échelle. Il y a tellement de capture institutionnelle en ce moment, mais aussi de paperasse et de bureaucratie. »

Sur ces bonnes citations, nous vous proposons de poursuivre et conclure notre étude de l'histoire de la finance décentralisée et de ses figures emblématiques dans le prochain article de cette Encyclopédie.

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