
Guerre des blocs sur Bitcoin ? Bitcoin Core choque la communauté
Depuis sa création en 2009, Bitcoin a toujours adopté une approche dite ossifiée. En d’autres termes, cela signifie qu’il tend à limiter les évolutions afin de conserver sa sécurité. Cela n’empêche pas la communauté de débattre sur des évolutions potentielles du protocole. Ces derniers jours, une nouvelle polémique agite la communauté : la suppression de la limite de 80 octets pour les données stockées via la fonction OP_RETURN. Cette modification, bien qu’anodine de prime abord, engendre des débats sur l’identité même de Bitcoin.
- Bitcoin Core a surpris la communauté en supprimant la limite de 80 octets de la fonction OP_RETURN dans sa prochaine version, bouleversant ainsi l’identité traditionnelle du protocole.
- Ce changement pourrait transformer Bitcoin en une plateforme plus versatile, mais suscite des craintes quant à un risque accru de centralisation et de détournement de sa mission originelle.

OP_RETURN : un outil au cœur des controverses
Avant toute chose, rappelons que la programmabilité de Bitcoin se fait via le langage Script. Celui-ci dispose d’instructions natives, appelées opcodes.
Parmi elles, nous retrouvons la fonction OP_RETURN, qui fut introduite en 2014. Celle-ci permet d’enregistrer des données sur la blockchain Bitcoin, comme des hashs de documents ou des messages.
Initialement limitée à 40 octets, sa taille fut augmentée à 80 octets en 2015. Une taille volontairement réduite afin d’éviter le stockage abusif de données non financières.
Toutefois, en 2023, les inscriptions Ordinals ont contourné cette limite en tirant parti de Taproot.
Face à cette situation, certains observateurs proposent tout bonnement de supprimer la limite de 80 octets de OP_RETURN. En pratique, la suppression de cette limite permettrait des transactions qui stockent jusqu’à 4 Mo de données. À savoir la taille maximale pour un bloc sur Bitcoin.
Comme l’explique Greg Sanders, l’un des défenseurs de la suppression de cette limite, il ne s’agit pas d’une modification du consensus, mais d’une adaptation des règles de relais des transactions. Ainsi, les mineurs resteraient libres de fixer leurs propres limites.
Bitcoin Core retire la limite de l’OP_RETURN
Contre toute attente, alors même qu’aucun consensus autour de cette question n’a été trouvé, les développeurs du client Bitcoin Core ont décidé de prendre les devants.
Ainsi, Bitcoin Core a annoncé qu’ils supprimaient la limite de l’OP_RETURN dans la prochaine version du client.

« La prochaine version de Bitcoin Core relaiera et minera, par défaut, les transactions dont les sorties OP_RETURN dépassent 80 octets et autorisera n’importe quel nombre de ces sorties. Le plafond en vigueur depuis longtemps, qui était à l’origine un signal doux indiquant que l’espace des blocs devait être utilisé avec parcimonie pour les données de preuve de publication non payantes, n’a plus d’utilité. »
D’une part, Bitcoin Core ne voit plus l’intérêt d’une telle limite, car celle-ci est déjà contournée par des mineurs privés, des services spécialisés ou encore via Taproot. Ce qui, selon eux, a une autre conséquence, à savoir que les utilisateurs trouvent des solutions alternatives qui polluent davantage les UTXO. Comme l’explique Greg Sanders, développeur de Bitcoin Core :
« La limite actuelle est devenue obsolète depuis que Taproot permet de stocker bien plus via les inscriptions Ordinals. »
En effet, selon Bitcoin Core, 30 % des blocs actuellement minés sur Bitcoin contournent déjà cette limite via Taproot.
De surcroît, sans limite stricte, Bitcoin pourrait accueillir des cas d’usage émergents : contrats intelligents simplifiés, NFT légers, ou horodatages de documents juridiques.
Les craintes des opposants
Évidemment, la suppression de cette limite n’est pas au goût de tout le monde. Ainsi, de nombreux développeurs et acteurs de Bitcoin ont fait entendre leur voix.
Pour Luke Dashjr, cela pourrait engendrer une dérive de la mission originelle de Bitcoin.
« Cela transformera notre blockchain en un dépotoir de données. »
Pour lui, supprimer la limite OP_RETURN revient à encourager le spam, les contenus illicites et une centralisation accrue.
En effet, les transactions qui contiennent plus de données proposent également plus de frais au mineur qui la validera. De ce fait, les mineurs sont incités à inclure des transactions à gros frais et pourraient prioriser les données au détriment des transferts monétaires classiques. Ce qui éloignerait Bitcoin de sa fonction de simple monnaie numérique.
Enfin, les détracteurs craignent que cela ait un impact sur les nœuds du réseau. En effet, qui dit plus de données dans les transactions, dit plus de données à stocker pour les nœuds. Cela rendrait l’opération d’un nœud complet plus coûteuse, risquant de centraliser le réseau entre les mains d’une poignée d’acteurs.
Un choix qui repose sur les mineurs
Dans les faits, ce sont les mineurs qui auront le dernier mot sur cette affaire. En effet, la suppression de la limite OP_RETURN dans Bitcoin Core n’impose rien aux mineurs.
Ceux-ci peuvent toujours fixer une taille maximale via leurs propres politiques.
Par ailleurs, la taille des blocs reste plafonnée à environ 4 Mo grâce au consensus existant. Même avec OP_RETURN illimité, un mineur ne pourrait pas inclure une transaction de 5 Mo sans que le bloc ne soit rejeté par le réseau.
Enfin, l’émergence de clients alternatifs tels que Bitcoin Knots donne une alternative à la communauté. Les utilisateurs soucieux de préserver la limite historique peuvent migrer vers ce client, tandis que ceux qui y sont favorables peuvent rester sur Bitcoin Core.
OP_RETURN : Un conflit idéologique plus large sur Bitcoin
Derrière cette bataille technique se cache un débat vieux comme le Bitcoin. D’un côté, les puristes considèrent Bitcoin comme un système monétaire anticensure qui doit rester minimaliste.
De l’autre, les expansionnistes y voient une plateforme mondiale capable de rivaliser avec Ethereum ou Solana.
Les premiers invoquent la vision de Satoshi Nakamoto, dont le livre blanc ne mentionnait aucun usage en dehors des paiements. Les seconds rétorquent que Bitcoin doit innover pour survivre, citant le Lightning Network comme exemple d’évolution réussie.
Sans grande surprise, OP_RETURN n’est pas le seul opcode à faire débat. En effet, de nombreuses entités, dont Starkware, militent pour la réintroduction du OP_CAT. Un opcode qui a été retiré par souci de sécurité, mais qui permettrait l’émergence de L2 sur Bitcoin.
