Tentative d’élaboration d’une typologie des tokens
L’économie des tokens a émergé il y a quelques années, avançant en dépit des chausse-trappes réglementaires et techniques. Il est certainement trop tôt pour établir une nomenclature complète de ces tokens. Comme vous le savez, cette classification est sujette à une très forte controverse aux États-Unis.
L’inadéquation des typologies juridiques traditionnelles
Les catégories juridiques en place ne sont pas forcément adaptées à l’innovation que sont les tokens. Néanmoins, il n’est pas évident de créer de nouvelles catégories, dès lors que les sources du droit sont restreintes.
En effet, le droit se crée : soit par l’action des autorités, soit par celle de la pratique et des théoriciens du droit – la doctrine. Et, en matière de cryptomonnaies, les théoriciens du droit sont peu nombreux et l’action des autorités est parcellaire.
Par ailleurs, la pratique ne peut créer du droit que lorsqu’elle est soutenue par le législateur et qu’elle évolue dans un cadre clair et sûr, ce qui n’est pas encore le cas pour les cryptomonnaies dans la plupart des pays. Dans le cas contraire, la pratique ne peut adopter des comportements innovants, par peur d’être sanctionnée.
Tentative d’élaboration d’une classification tripartite des cryptoactifs
Malgré cela, il est possible de classer les tokens en trois catégories. Les tokens utilitaires, les tokens titres financiers et les tokens supportés par divers actifs. Notez que nous distinguons les tokens des monnaies numériques. En effet, les monnaies numériques comme le Bitcoin, le Litecoin ou encore le Monero ont vocation à servir comme moyen de paiement ou comme réserve de valeur, par opposition aux tokens, qui eux représentent un investissement ou un service basé sur une blockchain.
Les tokens utilitaires
Les tokens utilitaires sont la forme la plus naturelle de token pour un système basé sur une blockchain. D’un point de vue juridique, ils sont plus proches des produits digitaux que de titres financiers – ou securities en anglais. Ces tokens tirent leur utilité de la blockchain elle-même et des services qu’elle propose.
Un bon exemple de cela serait le BAT – Basic Attention Token. Ce token fonctionne comme un moyen d’échange entre les utilisateurs, les annonceurs et les rédacteurs participant à l’écosystème du navigateur, que pouvez télécharger gratuitement sur ce lien. Les annonceurs payent leurs publicités en utilisant le token. Ces derniers sont ensuite distribués entre les rédacteurs et les utilisateurs, en compensation pour l’hébergement et le visionnage des publicités.
La majorité des tokens sont considérés comme étant des titres financiers, du fait que la plupart des participants à une ICO l’envisagent comme une opportunité d’investissement. Toutefois, si un token ne passe pas l’Howey test et n’est pas porté par un actif quelconque, alors il sera probablement considéré comme un token d’utilité.
Il est important de noter que cette classification de tokens est une classification organisationnelle et non pas une classification légale. Ni la SEC ni les régulateurs européens n’ont donné de lignes directrices concernant ces derniers. Dès lors, il n’est pas exclu qu’il soient soumis à certaines contraintes réglementaires relevant des titres financiers.
Backed tokens ou stablecoins
Ensuite viennent les tokens que l’on appelle les backed tokens ou stablecoins. Ce sont des tokens stables soutenus par des monnaies fiat, ou des commodités. Le Tether, dont le cours est adossé à celui du dollar, en est l’exemple le plus connu. Il en existe d’autres, comme le True USD ou le moins connu DGX token, dont la valeur est égale à celle d’un gramme d’or. Cette gamme de tokens se situe quelque part entre les tokens d’utilité les tokens valeurs mobilières. En termes techniques, le fait d’adosser une monnaie au cours d’un autre actif se nomme un peg (ancrage). Le peg est un système de change fixe dans lequel la valeur d’une monnaie est fixée par rapport a celle d’une autre monnaie ou d’une commodité – métaux et pierres précieuses, denrées alimentaires, ressources industrielles.
Security token
Le type de token le plus controversé sont les securities tokens. Ces tokens rendent l’acheteur propriétaire d’une fraction du projet. Cette fraction est proportionnelle à l’investissement, réalisé dans la plupart des cas à travers une ICO. Leur cours est lié au capital ou aux profits réalisés par la société, qui n’a pas besoin d’être basé sur la blockchain étant donné que le token ne propose aucune utilité.
Comme nous vous l’avons déjà indiqué, ces tokens relèvent de la compétence de la SEC. Dès lors, ils sont soumis à un régime de déclaration auprès de cette dernière. Toutefois, les porteurs d’ICO peuvent déroger à ce régime sous certaines conditions.
Pour ce qui est de l’Europe et de la France, aucune position claire n’a été annoncée.
Les tokens titres financiers comprennent deux sous-catégories : les tokens relevant du régime des actions et ceux relevant du régime des obligations.
Token action ou equity securities
Ils sont assimilables à des actions, l’acheteur possède une partie du capital de l’entreprise. Cette portion du capital lui permet, entre autres, de participer aux décisions de la société. De plus, vous pouvez revendre ces tokens afin de réaliser une plus-value, de la même manière qu’avec une action classique. Selon la SEC, de nombreuses ICOs ayant eu lieu aux États-Unis entrent dans cette catégorie.
Les tokens obligations ou debt bonds
Ce sont des titres qui confèrent au propriétaire un droit de créance sur la somme sujette à l’obligation. De plus, le propriétaire de ce token est en droit de recevoir des intérêts sur sa créance. Pour entrer dans cette catégorie, la société émettrice du token doit avoir une obligation de rachat des tokens. Classiquement, une obligation suppose le versement d’intérêts proportionnels à la valeur de l’obligation détenue. De ce que nous savons, il n’y pas de token qui propose cette forme de rémunération actuellement.
Binance a récemment lancé le BNB – Binance coin – qui est une bonne illustration de token pouvant s’apparenter a cette catégorie. En effet, Binance rachète une partie des BNB pour les burn – les détruire – en fonction de son chiffre d’affaires. Ce qui se rapproche de la pratique des obligations – buy back en anglais – très commune dans le monde des entreprises. Le projet Iconomi et son token le ICN pourraient aussi entrer dans cette catégorie. En effet, le projet Iconomi propose un système de rachat des tokens dont vous pouvez trouver les détails ici.
Le mot de la fin sur le caractère hybride de certains tokens
Il est nécessaire de noter que ces classifications sont perméables. Comme nous vous l’avons annoncé dans l’introduction, il est encore trop tôt pour établir une nomenclature définitive, dès lors que des tokens apparaissent continuellement. De plus, certaines entreprises utilisent plusieurs tokens et certains tokens entrent potentiellement plusieurs catégories.
Un bon exemple de cela serait Steemit qui utilise trois tokens différents : le Steem, le Steem Dollar et le Steem Power.
Le Steem peut être échangé contre les deux autres tokens, mais aussi acheté ou vendu sur un exchange. Il n’est pas backé et au premier abord ne présente pas d’utilité liée à un service blockchain. Le Steem Dollar quant à lui est un token adossé sur le dollar. Enfin, le Steem Power est à la fois un token utilitaire en ce qu’il augmente l’influence de l’utilisateur sur la plateforme, mais aussi une forme de récompense, car il est attribué aux auteurs via le système de vote des utilisateurs.
Vous le voyez, il n’est pas toujours évident de classer les tokens dans une catégorie, cette classification se fera au fur et à mesure que nous avancerons. Et pour que nous avancions, il est indispensable que les régulateurs et les acteurs du secteur fassent des compromis.
Les règles appliquées par des autorités comme la SEC sont peut-être désuètes ou inadaptées. Et pourtant, ce sont les plus claires que nous ayons, mais aussi les seules. Les porteurs d’ICO gagneraient à collaborer davantage avec les régulateurs plutôt que de jouer au chat et à la souris pour éviter les systèmes en place.
Sources : Iconominet ; Wikipedia || images from Shutterstock.com