Oh Johnny, si tu savais… ce que la cryptomonnaie peut faire

HÉRITAGE – Si « l’idole des jeunes » avait pensé aux cryptomonnaies, la bataille judiciaire autour de sa succession n’aurait pas eu lieu. Et ses dernières volontés, quelles qu’elles soient, auraient été absolument respectées.

« Je ne prends expressément aucune disposition dans le présent testament ou dans aucun autre document à l’intention de mes enfants David Smet et Laura Smet, auxquels j’ai déjà fait des donations par le passé. »

En juillet 2014, devant un notaire américain, Johnny Hallyday certifia ainsi son sixième et dernier testament titré « Last will and testament of Jean-Philippe Smet », comme le révèle Le Point le 15 février. Un choc pour ces ayants droit qui, depuis, contestent cette succession en faisant intervenir la justice française pour arbitrer.

Fondamentalement, la bataille se joue sur la territorialité des actifs de l’artiste. Si le droit français venait à s’appliquer, ses dernières volontés pourraient être sérieusement contrariées, car la réserve héréditaire interdit de déshériter ses enfants. Dans le cas contraire, c’est le droit californien qui prévaut et donc le dernier testament de Johnny. Les deux juridictions sont saisies, le combat judiciaire qui s’annonce devrait être difficile, durer de longues années et se solder pour les parties prenantes par de très onéreux frais de justice. Considérant la puissance de désintermédiation des cryptomonnaies, voici comment le chanteur aurait pu s’organiser afin que ses dernières volontés ne puissent en aucune manière être empêchées.

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Tokeniser son patrimoine

Le patrimoine du chanteur se compose d’actifs immobiliers, de sociétés qui perçoivent tous les droits d’auteur et les royalties de son catalogue de 1160 chansons, de comptes en banque à Nashville, d’une Lamborghini Avantador, d’une Bentley, d’une Cobra, de quatre Harley-Davidson… Le tout évalué entre 20 et 45 millions d’euros. Pour léguer de manière automatique son héritage, Johnny aurait pu « tokeniser » l’ensemble de ses biens. C’est-à-dire émettre des tokens (jetons numériques) sur une blockchain, par exemple celle de l’Ethereum (ETH) ou du Bitcoin (BTC), pour représenter les différents droits de propriété de tous ses actifs.

Ce mécanisme financier qui revient à titriser des actifs n’est pas nouveau. En 1997, David Bowie avait transformé ses droits d’auteur en placement financier, les « Bowie Bond ». Avec la cryptomonnaie, l’action « papier » devient un token adossé à tous types de biens et d’objets de valeur. Johnny aurait ainsi pu créer son « Johnny coin » et faire une ICO, c’est-à-dire une commercialisation de son token ayant, par exemple, pour sous-jacent ses droits d’auteur sur la vente de ses albums. Comme contrepartie à ses investisseurs, il aurait pu proposer un dividende de 5 % annuel.

De nombreuses sociétés offrent ces services de tokenisation. C’est le cas de Maecenas (ART) qui commercialise des tokens ART adossés à des actifs artistiques (tableaux, œuvres d’art…) Ou de Global Crypto Offering Exchange et sa cryptomonnaie GCOX adossée à des célébrités, à leur droit à l’image ou leurs objets personnels, comme cela aurait pu être le cas pour la collection de motos ou de guitares du chanteur. On peut également citer le projet Digix, une organisation autonome et décentralisée (DAO), qui vise à digitaliser tous types d’actifs du monde physique sur la blockchain de l’Ethereum.

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Programmer un smart contract

A l’heure actuelle, le patrimoine du chanteur est la propriété d’un trust « JPS Trust », géré par Bank of America. Un trust, en droit américain, est un acte juridique à l’intérieur duquel tous mouvements d’argent, d’actifs (les transactions vers les bénéficiaires) sont contractualisés par écrit et réalisés par la banque qui en détient la propriété. Un smart contract est l’équivalent, en programme informatique, d’un trust, à la différence qu’il réalise de manière décentralisée les clauses contractuelles et qu’il est « rédigé » par des développeurs et non par des avocats fiscalistes.

Les frais inhérents à la création et à la gestion d’un trust peuvent, selon la complexité du montage, s’élever à des centaines de milliers d’euros. Un smart contract coûte les frais de son développement, soit entre 2 000 et 15 000 euros, auxquels s’ajoutent les frais de son exécution qui dépendent de la blockchain sur laquelle les transactions doivent être validées et qui sont en moyenne de moins d’un euro. Une fois mis en production, aucune intervention d’un quelque tiers que ce soit, aucune autorité, ne peut s’opposer à son exécution. Il est l’outil nécessaire pour faire une ICO. Ainsi lors d’une mise en vente de « Johnny coins », le smart contract aurait pu conserver l’intégralité des fonds levés dans un mécanisme de compte séquestre et n’opérer les versements de cryptomonnaies aux bénéficiaires de son choix qu’après son décès.

Se tourner vers les oracles

Comme il n’est donné à personne, même à une rock star, de connaitre à l’avance la date de sa mort, le smart contract aurait dû être informé par un service d’oracles de la date du décès du chanteur. Un oracle est l’équivalent d’un tiers de confiance qui va valider une information et faire le lien entre le monde réel et le monde numérique. Dès l’annonce du décès validée, le service insère les données nécessaires au déclenchement du smart contract et réalise immédiatement les dernières volontés du défunt.

Bien entendu, celui-ci doit aussi être décentralisé et ne pas être sujet à quelques manipulations ou intox que ce soit. Car il ne s’agit pas, en faisant intervenir un oracle, de donner un pouvoir exorbitant à un tiers alors qu’on prétendait s’affranchir de toutes interventions humaines ou institutionnelles dans l’exécution du testament. Il en existe ainsi plusieurs types. Les oracles Hardware fournissent l’information au smart contract par l’intermédiaire d’un appareil. On pourrait ainsi imaginer qu’une montre connectée au chanteur fournisse au smart contract l’information d’un arrêt cardiaque grâce à ses capteurs biométriques. Cette mesure doit être effectuée en temps réel et de manière confidentielle et son exactitude ne doit pas pouvoir être mise en doute.

La société Oraclize propose ce type de solutions en fournissant une preuve certifiée de lecture d’un capteur et des mécanismes anti-fraude. Le Hardware Pythias de Ledger, la société qui commercialise un coffre-fort pour cryptomonnaies a les mêmes ambitions, mais n’est pour l’instant qu’un projet en développement.

Autre solution : les services d’oracles basés sur le consensus de la foule. Reprenant le principe infalsifiable d’une blockchain faisant qu’à partir d’un certain nombre de nœuds de validation la multitude représente une garantie de vérité, des projets comme Augur ou Gnosis utilisent la certification par la foule en récompensant ceux qui donnent la bonne information et en pénalisant ceux qui fabriqueraient des fake news.

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Ainsi suite au communiqué de son épouse Læticia Hallyday : « Johnny Hallyday est parti. Jean-Philippe Smet est décédé dans la nuit du 5 décembre 2017. J’écris ces mots sans y croire. Et pourtant c’est bien cela. Mon homme n’est plus », le service d’oracles aurait inséré l’information du décès du chanteur à l’adresse du smart contract afin qu’il puisse s’exécuter et envoyer automatiquement les fonds vers les bénéficiaires désignés selon les souhaits de l’artiste.

Le 27 novembre prochain, au tribunal de Paris, une audience devrait statuer sur le gel des droits d’auteur des albums du chanteur. Avec un smart contract, aucune décision de justice n’aurait pu geler les revenus de l’ICO des « Johnny coins » et empêcher qu’ils soient reversés aux bénéficiaires prévus dans le code.

Les experts en droit estiment que, compte tenu des différentes juridictions et des possibilités d’appels, la bataille judiciaire concernant la succession de Johnny Hallyday pourrait durer entre dix et quinze ans. L’utilisation de la technologie des cryptomonnaies aurait pu faire que les dernières volontés du chanteur soient automatiquement réalisées et qu’il puisse tranquillement, mais sûrement « mourir d’amour blokchaîné. »

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Karine Apautes

Journaliste indépendante et cofondatrice de YouVote et MadeinBlock. Les cryptomonnaies sont porteuses d’une révolution aussi technique que sociétale. Je ne pouvais pas laisser passer ce mouvement de l’histoire qui, à mon avis, n’est pas une petite mode ou une lubie. Mais qui, au contraire, va modifier fondamentalement toutes nos relations.