Révélations dans l’affaire RR Crypto – Sur la piste des 58 millions d’€ disparus : où sont passées les cryptomonnaies ?
C’est une actualité qui prend de plus en plus l’allure de ce qu’on nomme une « Affaire ». On le révélait hier sur le Journal du Coin, la stupéfaction, puis la colère de plusieurs milliers de clients de l’association RR Crypto, informés par email durant le week-end par le CEO de la structure Vincent Ropiot, de la « perte » de l’intégralité des fonds sous gestion, des fonds s’élevant au total à une somme comprise entre 40 et 58 millions d’euros selon les diverses estimations – même si elles restent discutables. Si dans ses explications, Vincent Roupiot tend à incriminer l’exchange Binance qui aurait « réinitialisé » le compte de l’association, provoquant la disparition – ça ne s’invente pas – des fonds concernés, le JDC est cependant aujourd’hui en mesure d’exposer des éléments racontant une toute autre histoire.
Une histoire où se mêlent les ambitions entrepreneuriales de Vincent Ropiot en matière d’immobilier, une affection toute particulière pour des stablecoins d’un nouveau genre et ce qui pourrait s’apparenter à un drôle d’investissement, mais pas nécessairement celui auquel on aurait pu s’attendre. Enquête.
Stupeur et tremblements dans la communauté RR Crypto
Le 31 mai 2021 fût pour la communauté RR Crypto une journée agréable, même si rétrospectivement les mâchoires se serrent et les poings se crispent à son évocation. Ce jour-là, Vincent Ropiot, « CEO » et fondateur de l’association RR Crypto, organise un webinaire à destination de ses membres. Et il se veut rassurant, selon ceux qui y ont assisté et se sont confiés au JDC.
S’il est vrai que le marché crypto est en berne et que les membres de l’association sont un peu nerveux, il a de bonnes nouvelles. Bien sûr, les rendements mensuels sont un peu en baisse, et ceux qui ont connu les 30 ou 40% de rentabilité des mois précédents sont un peu déçus des 10% annoncés. Mais le patron, avec son flegme habituel, le rappelle : dans le cadre de ses échanges avec l’AMF et avec les exchanges crypto (dont crypto.com, Swissborg ou Binance), l’association est appelée à se soumettre à de nouvelles contraintes, de nouvelles obligations, et par extension de réduire la voilure en matière de risque. Un mal pour un bien pourrait-on dire. Le statut de PSAN (Prestataire de services sur actifs numériques) est à ce prix.
Et surtout, l’homme d’affaire a de bonnes nouvelles sur une autre front : RR Immobilier, une nouvelle structure aux commandes de laquelle Vincent a placé deux collaborateurs de longue date qu’il estime, se porte bien.
Cette initiative qui vise à faire converger immobilier et tokenisation est ambitieuse, mais chacun est confiant : M. Ropiot, qui n’en est pas à sa première aventure entrepreneuriale, est réputé solide et déterminé : peu semblent douter qu’il fera de cette nouvelle affaire un succès retentissant, de la même manière que RR Crypto est passée d’une petite entité confidentielle à une organisation de plusieurs milliers de membres, employant des dizaines de salariés et collaborateurs en à peine 2 ans.
On soulignera que les deux intéressés sont aujourd’hui partie prenante dans le collectif qui souhaite porter l’affaire devant la Justice. Par ailleurs, si Vincent Ropiot est bien à l’origine de l’impulsion du projet, il n’était a priori prévu qu’il n’agisse sur ce dernier qu’en tant que « business angel ». Un investissement promis depuis mars qui ne se concrétisera cependant jamais, comme on va le comprendre dans un instant.
Il reviendra à la justice et à la phase d’instruction de faire la lumière progressive sur les faits tant les montants en jeu et le nombre réel de victimes tend à varier au gré des informations qui progressivement se font jour. Il semble cependant clair depuis le mail envoyé par Vincent Ropiot dimanche à l’ensemble de la communauté, mais aussi au travers de ses déclarations écrites en plus petit comité que nous avons pu consulter, que la plupart des affirmations de l’homme d’affaires se révèleront largement extrapolées.
D’enregistrement auprès de l’AMF il n’a jamais été question (comme des sources proches du dossier le confirmaient hier au JDC, le régulateur ayant même tenté de rappeler l’association à ses devoirs en la matière en début d’année). Corollaire du point précédent, la classification PSAN n’a pas connu le moindre début de commencement d’instruction.
Plus cyniquement – et encore une fois de l’aveu même de V. Ropiot qui souligne qu’il a perdu les fonds de ses membres depuis mars dernier – personne ne s’explique comment l’intéressé, unanimement décrit comme sympathique, fiable, sérieux et rigoureux, a pu, les yeux dans les yeux, tenir son discours enthousiaste et volontaire du 31 mai.
À l’heure actuelle, Vincent Ropiot est introuvable. Les tensions sont telles dans ce dossier, que beaucoup de rumeurs circulent, alimentées par l’angoisse et la colère de ceux qui ont souvent perdu des dizaines de milliers d’euros dans l’opération. Comme c’est souvent le cas dans ce genre d’affaire, les plus folles rumeurs agitent les victimes, chacune contant une histoire différente, et dont il est difficile d’établir le moindre début de véracité à l’heure actuelle.
En revanche, ce qui transparaît de l’avis général des clients et des salariés de RR Crypto, c’est bien que le boss semblait ces dernières semaines aux abonnés absents, laissant ses collaborateurs souvent dépourvus face à des clients de plus en plus insistants.
S’agissant de là où est actuellement l’un des hommes les plus recherchés de Dijon, un de ses partenaires d’affaires témoigne auprès du JDC :
« Il est au calme, et on peux le comprendre, à sa place je resterais discret. Ses amis essaient de ne pas le harceler, dans ce genre de cas, inutile de harceler quelqu’un qui est déjà dans une situation aussi stressante. Je peux vous dire qu’il est en France en revanche. »
Il semble donc qu’aux yeux de certains de ses collaborateurs, Vincent Ropiot ait omis ou déformé des faits face à ses clients, peut-être embarqué dans une spirale échappant à son contrôle.
Se pose pour autant toujours une question centrale et lancinante : où est passé l’argent ?
On sait que Vincent Ropiot affirme que les fonds (on parle de 40 à 58 millions d’euros) auraient disparus suite à des manœuvres de l’exchange Binance, et plus précisément, – selon ses propres termes – suite à une « réinitialisation » du portefeuille de l’association.
Sollicité, Binance a indiqué au JDC enquêter sur le sujet, mais explique ne pas nécessairement saisir ce à quoi cette assertion pourrait renvoyer.
On sait également que M. Ropiot s’intéressait à l’immobilier, et plus précisément à sa tokenisation, motivant la mise en place de la structure RR Immo, même si celle-ci n’aura finalement jamais été activée depuis sa création en mars dernier.
On sait enfin, – encore une fois selon ses propres déclarations en cercle restreint – que Vincent Ropiot se serait fait « arnaquer », aurait fait « confiance aux mauvaises personnes » et serait tombé sur « quelqu’un d’intelligent, de très intelligent ayant élaboré des moyens techniques très avancés ».
Le chef d’entreprise tente-t-il un nouvel écran de fumée, ou serait-il réellement tombé dans les filets d’un escroc de haut-vol, aboutissant à des décisions malheureuses et finalement à la perte des fonds de l’association ? Grâce à des documents exclusifs, le Journal du Coin est en capacité de mettre en lumière un nouveau scénario.
Tokeniser la crédulité
Le 24 février dernier, à l’occasion d’une interview pour un média local, Vincent Roupiot expliquait :
« Beaucoup de réflexions ont été menées sur le sujet. Nous avons une chance sur ce marché : ce sont les stablecoins, sur lesquels nous allons chercher des performances. Je considère qu’un trader, en cryptomonnaie, c’est 90% de psychologie, 7 % de fondamental et 3 % de technique. La psychologie représente indéniablement le nerf de la guerre? surtout dans ce marché très volatil. »
En investisseur avisé, le fondateur de RR Crypto connaît en effet le potentiel des stablecoins, ces crypto-actifs adossés à des sous-jacents supposés garantir la stabilité de leur valeur.
Or, à la même période, et toujours selon des sources internes, il semble que Vincent Roupiot ait décidé qu’il était temps pour RR Crypto de prendre un virage radical dans sa stratégie d’investissement en se positionnant sur un projet en particulier : Neutrino et son token NSBT, un protocole permettant de générer des stablecoins dit algorithmiques. Mais les choses vont rapidement mal tourner.
En interne, des collaborateurs inquiets de voir les évolutions au sein de la gestion d’investissement de RR Crypto essaient de tracker les adresses de transactions. Il pensent notamment identifier un wallet en particulier. Encore très actif au moment de la rédaction de cet article, ce portefeuille Ethereum est consultable sur Etherscan. Et sa composition est des plus étonnantes.
Au 21 juin, ce portefeuille contenait pour plus de 63 millions de dollars de fonds, soit 52 millions d’euros. On notera la similitude entre ce montant et celui supposément « perdu » sur Binance, même si cela peut aussi être une simple coïncidence.
Si le wallet est confortablement garni de près de 20 millions de dollars en Ether, USDT, USDC et autres, une énorme allocation de 1 825 578 tokens Neutrino attire immédiatement l’attention.
Au cours du marché, ces tokens sont valorisé aux alentours de 50 millions de dollars et si le wallet est bien détenu par RR Crypto (et contrôlé par Roupiot), c’est peut-être là que se dissimule l’essentiel des fonds évaporés.
Ne demeure qu’un problème : ces tokens NSBT sont virtuellement invendables.
Neutrino se présente comme un protocole qui permet de tokeniser et créer des stablecoins à partir de monnaies fiat ou de tout autre asset – y compris de l’immobilier. Le Token NSBT est le token de gouvernance qui sert de collatéral au protocole comme expliqué sur le site officiel.
Un tour rapide sur Coinmarketcap permet de mieux faire connaissance avec le NSBT, qui pointe à la 380ème place du marché. La consultation de sa fiche d’identité expose en outre une information capitale, en l’occurrence sa supply totale (la quantité totale de tokens disponible sur le marché). Une supply de… 2,14 millions de tokens NSBT.
Les plus rapides en calcul mental auront immédiatement fait les comptes : l’adresse en question, potentiellement attribuée à RR Crypto détient actuellement plus de 90% de l’ensemble des tokens NSBT, autrement dit, de l’offre. Corollaire de ce constat, si le cours du NSBT est actuellement d’environ 25$, la liquidité du token est virtuellement nulle, la cryptomonnaie étant techniquement invendable (du moins sans provoquer immédiatement l’effondrement de son cours).
Les documents internes consultés par le JDC tirent donc une série de conclusions simples, mais qu’il convient encore de prendre avec des pincettes :
« On le sait, Vincent avait pour projet de tokeniser beaucoup de choses. Ce protocole aurait pu être tout indiqué pour son projet. Le projet était il un scam créé parce que quelqu’un avec les capacités l’a fait en connaissant le projet de Vincent ? Vincent s’est il approché du projet qui a vu ici une bonne opportunité de partir avec la caisse ? Seul Vincent ou ceux qui ont pris ces décisions pourront le dire. Toujours est il que ces 50M$ ne valent rien, ne sont pas échangeables et peuvent être considérés comme perdus. Il reste néanmoins sur l’adresse près de 20M$ qui pourraient servir à dédommager les investisseurs qui ont cru en RR crypto. »
Autrement dit, soyons clair, ces élements tangibles ne permettent pas de raconter l’histoire exacte qui entoure le mystère RR Crypto, mais simplement de se poser des questions : le projet de M. Ropiot s’est-il vraiment retrouvé à la tête d’une fortune en tokens NSBT, et si oui, pourquoi ? Quelles sont les vraies dynamiques qui sous-tendent la « réinitialisation » du compte Binance de l’association… et surtout l’agrégation de tous les fonds récoltés auprès des épargnants du projet sur une giga-adresse encore active à ce jour ? Qui contrôle vraiment cette adresse ?
On notera, concernant le projet Neutrino, que même si ses animateurs sont anonymes, il était toujours actif ces derniers jours, du moins sur les réseaux sociaux.
Pourtant, il suffit d’explorer les principales adresses du token Neutrino pour constater un fait marquant : il y a 125 jours, soit un peu plus de 4 mois, 99,9% de tous les tokens Neutrino étaient brûlés sur une adresse de burn par le projet, les rendant invendables et inaccessibles à quiconque... Une situation que l’on imagine très inconfortable pour tous les autres holders de NSBT (au premier rang desquels cette adresse pour le moment attribuée à RR Crypto), les condamnant de facto à ne plus pouvoir vendre.
Impossible pour l’heure de définitivement trancher concernant cette giga-adresse, vers laquelle pointent pourtant un certain nombre d’adresses de dépôt contrôlées par RR Crypto et fournies aux investisseurs, authentifiées par le JDC. On notera que ladite adresse affiche des patterns peut-être trop curieux pour être humains : elle est en effet plus ou moins active en permanence, de jour comme de nuit, 24 heures sur 24. Il convient donc de conserver en tête qu’il peut tout à fait s’agir d’une adresse d’exchange non référencée ou d’un bridge DeFi continuellement actif.
Ces nouveaux éléments ont l’avantage de proposer un scénario pour apporter une réponse simple à une question que se posent des milliers de petits investisseurs de RR Crypto : où est passé l’argent de l’association ? Mais les éléments manquent encore pour être totalement affirmatifs, comme vous l’aurez compris.
Et plutôt qu’une improbable « disparition » de dizaines de millions d’euros de l’exchange Binance, commence à se faire jour des possibilités bien plus simples, celle d’un curieux investissement en mode all-in qui aurait mal tourné, ou bien une disparition des fonds à l’aide de l’utilisation d’une giga-adresse pour obscurcir les mouvements de fonds concernés, avant de les rapatrier vers d’autres plateformes.
En effet, un oeil avisé sur ces-dites transactions permet d’ailleurs de constater qu’une partie des fonds en stablecoins est en mouvement, certains semblant revenir vers les plateformes Binance et KuCoin après avoir transités par de nouvelles adresses intermédiaires.
Contactée, l’équipe spécialisée de Binance nous explique surveiller attentivement la situation. Du côté de KuCoin, un responsable nous a expliqué « suivre la situation de près, afin d’empêcher toute éventuelle liquidation des fonds sur KuCoin ».
Les questions qui finalement demeurent sont d’une simplicité biblique : qui est aux commandes de ce qu’il reste du trésor de guerre de RR Crypto ? Vers où se dirige-t-il ? Et quel est son montant exact ? Affaire à suivre, assurément.