Pourquoi Bitcoin n’est pas une monnaie de réserve
Une thèse populaire affirme que Bitcoin (BTC) a vocation à devenir une monnaie de réserve et à former la base du système monétaire mondial. Cette prétention m’a toujours paru illusoire. Dans cet essai, je vais tenter d’expliquer pourquoi.
Le bitcoin comme monnaie de réserve
Dès le départ, Bitcoin a été décrit comme un « argent liquide électronique ». Mais cette conception s’est progressivement affaiblie au cours du temps, notamment lors de la guerre des blocs entre 2015 et 2017, au cours de laquelle le défaut de scalabilité du système a été mis en lumière. C’est pourquoi on s’est mis à considérer Bitcoin comme un protocole de règlement et que, dans les perspectives envisagées pour Bitcoin, la thèse de la monnaie de réserve s’est imposée comme l’une des narrations principales existant dans l’écosystème.
Cette thèse a été exprimée la première fois par Hal Finney dans un message posté sur le forum de Bitcoin le 30 décembre 2010, dans lequel il faisait l’apologie d’un système de banque libre qui existerait en surcouche de Bitcoin. Ce dernier écrivait ainsi :
« En fait, il existe une très bonne raison pour que les banques basées sur Bitcoin existent et émettent leur propre monnaie numérique, convertible en bitcoin. Bitcoin lui-même ne peut pas passer à l’échelle pour que chaque transaction financière dans le monde soit diffusée publiquement et incluse dans la chaîne de blocs. Il doit y avoir un niveau secondaire de systèmes de paiement, plus léger et plus efficace. De même, le temps nécessaire à la finalisation des transactions en bitcoin ne sera pas pratique pour les achats de moyenne et grande valeur.
Les banques basées sur Bitcoin résoudront ces problèmes. Elles pourront fonctionner comme les banques le faisait avant la nationalisation de la monnaie. Les différentes banques pourront avoir des politiques différentes, certaines plus agressives, d’autres plus conservatrices. Certaines auront des réserves fractionnaires tandis que d’autres pourront être adossées à 100 % par du bitcoin. Les taux d’intérêt pourront varier. L’argent liquide émis par certaines banques pourra se négocier à un prix inférieur à celui émis par d’autres banques.
George Selgin a élaboré en détail la théorie de la libre concurrence bancaire, et il affirme qu’un tel système serait stable, résistant à l’inflation et autorégulé.
Je pense que tel sera le destin ultime du bitcoin, à savoir être la « monnaie de base » qui sert de monnaie de réserve aux banques qui émettent leur propre argent liquide. La plupart des transactions en bitcoin se feront entre banques, pour régler les transferts nets. Les transactions en bitcoin effectuées par des particuliers seront aussi rares que… eh bien, que les achats en bitcoin le sont aujourd’hui. »
Hal Finney, Re: Bitcoin Bank, 30/12/2010
Mais l’idée d’un système numérique de monnaie de réserve remonte au moins à 1998, avec la proposition de bit gold réalisée par Nick Szabo. Ce concept, qui n’a jamais été mis en application, faisait intervenir un réseau distribué d’ordinateurs, un registre de propriété et une création monétaire par preuve de travail ; une sorte de Bitcoin avant l’heure, sans la robustesse de l’algorithme de consensus de Nakamoto.
Bit gold a été proposé sur la liste de diffusion privée libtech-l
, où intervenaient des esprits brillants dont notamment les cypherpunks Wei Dai et Hal Finney et les économistes Larry White et George Selgin, qui étaient les promoteurs principaux du modèle de la banque libre moderne. Le modèle imaginé par les participants s’inspirait largement de l’idée de concurrence des monnaies proposée par Friedrich Hayek en 1976.
Pour en revenir à Bitcoin, la thèse de la monnaie de réserve a fini par être décrite de manière explicite et détaillée en 2018 par Saifedean Ammous au sein de son fameux « Étalon-bitcoin ». Il écrivait :
« Bitcoin peut être considéré comme un système nouveau et émergent de monnaie de réserve pour les transactions en ligne, dans lequel les banques en ligne émettront des jetons adossés au bitcoin pour leurs utilisateurs, tout en conservant leurs réserves de bitcoin dans un stockage à froid, où chaque individu aura la possibilité d’auditer en temps réel les avoirs de l’intermédiaire, et où des systèmes de vérification et de réputation en ligne permettront d’assurer qu’aucune inflation n’a lieu. »
Saifedean Ammous, L’Étalon-bitcoin, 2018
En 2021, Nik Bhatia dans La Monnaie pyramide a également imaginé un tel système à couches multiples, dans lequel le BTC serait la seule monnaie de première couche, sur laquelle se baserait tout le reste. Il inclut au sein de cette surcouche les dépôts sur les différentes plateformes d’échange, les bitcoins échangés sur le réseau Lightning, les cryptomonnaies alternatives, les stablecoins et même les monnaies numériques de banque centrale (MNBC).
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Qu’est-ce qu’une monnaie de réserve ?
Une monnaie de réserve est, au sens étroit, une monnaie forte utilisée par une ou plusieurs banques centrales pour constituer des réserves de change, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une monnaie pouvant être échangée avec les autres banques centrales et qui sert donc d’outil de règlement international. Les monnaies de réserve les plus populaires aujourd’hui sont l’or, le dollar et l’euro.
Tout comme les cryptomonnaies, les monnaies de réserve subissent un effet de réseau qui fait que les États en sélectionnent un nombre réduit, voire simplement une seule. C’est pourquoi il émerge presque toujours une monnaie de réserve mondiale utilisée par les États pour régler leurs différends. D’une manière générale, il s’agit de la monnaie de la puissance dominante, qui s’en sert par ailleurs pour prélever un seigneuriage et affermir sa domination. Au cours de l’histoire, la monnaie de réserve mondiale a été tour à tour le réal portugais (1450 — 1530), le réal espagnol (1530 — 1640), le florin néerlandais (1640 — 1720), la livre tournois française (1720 — 1815), la livre sterling britannique (1815 — 1920) et le dollar étasunien (à partir de 1920). Depuis 1976 et les accords de la Jamaïque, le dollar est officiellement une monnaie fiduciaire, c’est-à-dire une monnaie qui n’est plus liée à une marchandise comme l’or ou l’argent.
Dans un système bancaire libre, on pourrait étendre cette définition aux banques qui émettent de la monnaie représentative ou fiduciaire. Elle pourrait même englober tous les organismes financiers qui émettent du crédit. Une monnaie de réserve est donc, au sens large, une monnaie dont l’usage principal est la conservation comme garantie par des tiers de confiance qui ont pour rôle de créer de la monnaie. Il s’avère simplement qu’aujourd’hui ce rôle est largement assuré par les banques centrales, qui disposent d’un monopole conféré par les États.
Dire que le bitcoin va devenir une monnaie de réserve revient à affirmer qu’il va être utilisé comme réserve par les banques centrales et / ou par des banques libres autorisées à émettre de la monnaie. Toute assimilation aux surcouches décentralisées de Bitcoin comme le réseau Lightning relève de l’analogie, car le modèle de sécurité de ces surcouches est sensiblement différent. Le cœur de la fonction d’une monnaie de réserve est d’être conservée et échangée par des tiers de confiance (banques centrales).
Sur le papier, imaginer que le bitcoin pourrait servir de monnaie de réserve est une idée séduisante. Voir le système actuel l’adopter comme monnaie de base et s’y tenir serait une très bonne nouvelle. Nous pourrions avoir un système plus transparent où l’impôt caché du seigneuriage disparaîtrait. L’économie s’en porterait mieux : l’ampleur des bulles de crédit serait considérablement réduite, le malinvestissement se résorberait progressivement, les États seraient plus attentifs à leurs dépenses, les habitudes de consommation et d’épargne des gens s’amélioreraient, etc. Le monde serait un endroit bien plus agréable à vivre pour l’individu moyen.
Sauf qu’un tel monde n’est pas le nôtre.
L’étalon-bitcoin subirait le même sort que l’étalon-or
Un étalon-bitcoin serait un système monétaire dans lequel la référence serait le bitcoin. Il s’agirait (similairement à l’étalon-or classique) d’un système basé sur des billets physiques et des unités numériques directement convertibles en bitcoin, grâce à l’intervention de banques centrales ou de banques privées multiples. Dans ce système, les utilisateurs disposeraient d’une monnaie représentative qu’ils pourraient échanger entre eux. Les échanges directs en bitcoin seraient autorisés, mais l’économie en résultant serait négligeable. Les États demanderaient le paiement de l’impôt dans cette monnaie et pourraient instaurer un cours légal. L’essentiel des échanges serait réalisé par les différentes banques pour régler leurs dettes (monnaie de réserve) et pour assurer la convertibilité des substituts monétaires auprès de leurs utilisateurs. Des audits réguliers seraient mis en place pour assurer la transparence du système et l’intégrité de la convertibilité.
Supposons, par une hypothèse fantaisiste, qu’un étalon-bitcoin soit instauré. Pendant un moment, tout se passerait bien. Mais, avec le temps qui passe, une crise finirait par apparaître : économique, sociale, militaire, sanitaire, peu importe. Les États déclareraient alors un « état d’urgence » dont ils profiteraient pour reprendre le contrôle sur le système bancaire, mettre fin aux audits et suspendre « temporairement » la convertibilité. Puis l’état de crise se maintiendrait ce qui se solderait par une consolidation du cours forcé et un retour à la monnaie fiat.
Ainsi, le modèle de l’étalon-bitcoin, tout comme celui de l’étalon-or, n’est pas stable. L’étalon-or a eu pour conséquence l’introduction du système de monnaies fiat que nous connaissons aujourd’hui, comme Saifedean Ammous lui-même nous le raconte dans le premier chapitre de L’Étalon-fiat. En centralisant l’échange monétaire, les banques centrales ont pu accumuler l’or et se défaire de la convertibilité de sa monnaie représentative.
De plus, il est illusoire de croire que les États renonceraient à leur seigneuriage, un revenu qu’ils touchent depuis des millénaires. Le rôle primaire de l’État est de prélever de la richesse, tout dans ses actions le montre à commencer par l’accroissement de la surveillance financière. De ce fait, même si un étalon-bitcoin parvenait à émerger, celui-ci ne formerait qu’un régime transitoire vers une monnaie numérique de banque centrale, qui permettrait d’étouffer la révolte représentée par Bitcoin en soudoyant les actuels détenteurs via l’augmentation du cours.
Le projet de l’étalon-bitcoin relève ainsi bien plus du rêve politique que de la démarche économique. Il requiert un changement de nature de l’État : il suppose que l’État est au service de ses citoyens, alors qu’en réalité c’est l’inverse.
Enfin, le contexte géopolitique ne peut pas rendre ce projet viable. Cela fait 50 ans que l’étalon-or a été abandonné par les États-Unis d’Amérique, et nous n’avons pas vu ses ennemis, comme la Chine, l’Iran ou la Russie mettre en place une monnaie convertible en or, bien au contraire. Les États préfèrent en effet disposer de leur propre monnaie fiat et profiter d’un seigneuriage. Même la Suisse a fini par faire de même en 2000.
Le bitcoin n’est pas une monnaie interétatique
Même si un étalon-bitcoin est peu envisageable, on peut imaginer que les États et leurs banques centrales se servent du bitcoin comme outil de règlement, sans pour autant mettre en circulation une monnaie représentative adossée. Toutefois, il est illusoire de penser que le bitcoin peut être utilisé à cette échelle.
Je m’explique.
Le bitcoin est une nouvelle sorte de monnaie : il s’agit d’une monnaie fiduciaire (sans valeur intrinsèque) reposant sur une économie décentralisée de commerçants qui acceptent le bitcoin par le biais de leurs nœuds complets. Ces derniers sont à l’origine de l’utilité monétaire du bitcoin, c’est-à-dire la quantité de biens et de services qu’il permet d’acquérir dans l’échange, de sorte qu’ils sont les véritables garants du protocole. Sans commerçant, pas d’utilité. Sans utilité, pas de Bitcoin.
Bitcoin est un accord sur des règles particulières réalisé par des individus. Si le bitcoin possède des similarités avec les monnaies-marchandises telles que l’or et l’argent, il ne s’agit pas d’une marchandise, même si le président de la SEC prétend le contraire. Ses propriétés peuvent être altérées, voire même détruites (si tout le monde cesse d’y croire, il disparaît).
Le modèle de sécurité de la détermination du protocole de Bitcoin repose sur la distribution des commerçants et de leurs recettes. Moins cette économie est distribuée, plus elle est susceptible d’être captée ou détruite. Si une poignée d’acteurs réglementés se partagent 80 % du volume échangé en bitcoin, alors cette partie de l’économie pourrait être conduite à devoir adopter une version modifiée de Bitcoin (redéfinition) ou à cesser ses activités (destruction).
Si l’on se place dans l’hypothèse où le bitcoin serait adopté comme monnaie de réserve par une partie des banques centrales du monde, alors on se retrouverait avec une économie centralisée. L’essentiel des échanges aurait lieu essentiellement entre États, qui sont des entités identifiées et qui subiraient par conséquent toutes les pressions internationales existantes : l’interventionnisme, les sanctions « économiques », les guerres, les alliances, etc. Cela conduirait in fine à ce que nous avons aujourd’hui : un accord géopolitique sur le système monétaire mondial. Le bitcoin serait juste un nouveau dollar, certes plus transparent, mais par nature tout autant contrôlé par le bloc dominant.
En tant qu’accord, Bitcoin peut être modifié ou abrogé par ses signataires. De ce fait, s’il en venait à être essentiellement utilisé comme monnaie de réglement par les banques centrales, alors il subirait le même sort que les accords monétaires internationaux qui l’ont précédé, et une création monétaire serait introduite à un moment donné conformément à la nature spoliatrice de l’État, ce qui invaliderait l’un des principes fondateurs de Bitcoin.
La chaîne serait divisée en deux branches : une chaîne avec création monétaire supplémentaire, majoritaire, et une chaîne sans, minoritaire. La version originelle de Bitcoin subirait une baisse d’utilité drastique, ce qui mènerait à une baisse correspondante de son pouvoir d’achat. De plus, n’importe quel contrôle pourrait être mis en place sur la branche principale (une identification obligatoire par exemple), de sorte que l’utilisateur indépendant se retouverait contraint de collaborer pour récupérer sa richesse. Une telle scission serait donc néfaste pour Bitcoin, même si elle ne le tuerait pas.
Ainsi, imaginer que le bitcoin pourrait devenir une monnaie de réserve mondiale viable relève de la fantaisie. Bitcoin peut être utilisé par les États et leurs banques centrales de manière sporadique, comme le montre le cas du Salvador. Mais dès lors que le trafic créé par ces règlements devient important, le modèle de sécurité du système s’effondre.
Le bitcoin est une monnaie du marché noir
Bitcoin est un système d’argent liquide électronique. De par sa nature permissionless, il ne requiert aucune autorisation et résiste à la censure. Il est donc particulièrement utile pour le marché qui échappe aux contrôles étatiques, à savoir le marché noir au sens large. Ce marché a particulièrement fait ses preuves au cours des périodes les plus compliquées de l’histoire comme l’occupation allemande de la France durant la Seconde Guerre mondiale et au sein des régimes les plus autoritaires comme l’URSS en Russie.
Il ne fait nul doute que le bitcoin peut constituer une « réserve de valeur » en étant thésaurisé pour être échangé plus tard contre une autre monnaie ou servir de garantie pour un prêt. Le bitcoin n’est en effet pas soumis à la lente dilution de la monnaie fiat et conserve sa valeur dans la mesure où la taille de son économie ne diminue pas. Cependant, utiliser le bitcoin comme réserve de valeur n’a d’intérêt que dans la mesure où il est difficile de vous le prendre, via l’impôt ou la confiscation, de sorte que cet usage doit également pouvoir être transposé au marché noir, dans le cas où le situation l’exigeait.
Sur ce marché, on pourrait imaginer que le bitcoin puisse être utilisé comme monnaie de réserve par des banques illégales. Cependant, comme l’ont montré les expériences de ALH&Co, du Liberty Dollar, de e-gold et de Liberty Reserve, ce modèle de banque n’est pas forcément viable à l’échelle, puisqu’il centralise l’activité économique. Le bitcoin est donc bien plus adapté à l’échange direct entre individus ou petits groupes d’individus, à l’échange de pair à pair qui forme la base d’une économie parallèle et circulaire.
Bitcoin est résistant et résilient. Demain ou dans quelque temps, vous serez content d’en avoir acheté pendant la crise. Ne tardez pas trop pour profiter des conditions d’achat actuelles ! Courez vous inscrire sur Binance, LA référence absolue des exchanges cryptos (lien commercial).