« Pas ton nœud, pas tes règles » : comment Bitcoin persiste
Si l’expression « pas tes clés, pas tes bitcoins » nous rappelle que le fonctionnement de la propriété dans Bitcoin est intrinsèquement lié au concept de clé privée, l’adage « pas ton nœud, pas tes règles » est lui parfois utilisé pour nous informer sur la relation unique qui existe entre les nœuds du réseau et les règles de consensus. Dans cet article, nous allons voir quel rôle jouent les nœuds, ce que sont les règles de consensus et comment le contrôle sur ces dernières est exercé par le biais des premiers.
Réseau pair-à-pair, nœuds et règles de consensus
Bitcoin se base sur un réseau public d’ordinateurs accessible librement sur internet. Ce réseau suit le modèle pair-à-pair, c’est-à-dire un modèle dans lequel tous les membres du réseau, appelés des nœuds, possèdent les mêmes privilèges. Cette architecture s’oppose à l’architecture client-serveur dans laquelle la relation n’est pas symétrique et où des clients dépendent de serveur centraux pour fonctionner.
Bitcoin est donc dépourvu de serveur central, ce qui lui confère une très grande robustesse : puisqu’il ne présente pas de point de défaillance unique, l’arrêt intentionnel ou non d’une machine n’affecte pas le réseau de manière trop significative. C’est dans ce cadre qu’on parle de réseau décentralisé ou distribué.
Dans Bitcoin, le rôle des nœuds est d’entretenir une copie du registre des transactions (la fameuse chaîne de blocs) et, ce faisant, de s’assurer de la validité des transactions et des blocs. Pour cela, ils communiquent avec les autres nœuds du réseau et relaient les nouvelles transactions et les nouveaux blocs, qui émanent respectivement des utilisateurs et des mineurs.
La validation se fait par rapport à des règles de consensus choisies préalablement. Il s’agit des contraintes qui s’appliquent aux transactions et aux blocs et qui, entre autres, permettent aux nœuds de parvenir à un consensus sur l’état du système. L’ensemble des règles de consensus est appelé protocole.
Parmi les règles de consensus de BTC, on retrouve les exigences suivantes :
- Chaque transaction classique doit contenir une ou plusieurs signatures permettant de prouver l’autorisation donnée par le ou les propriétaires des pièces dépensées.
- Le montant en entrée d’une transaction doit être supérieur au montant en sortie, la différence représentant les frais collectés par le mineur.
- La chaîne de blocs valide doit être sélectionnée par le principe de la chaîne la plus longue, c’est-à-dire la chaîne possédant le plus de preuve de travail accumulée.
- La création de nouveaux bitcoins doit suivre la politique monétaire définie en 2009 par Satoshi Nakamoto : dans la période actuelle (entre les blocs 630 000 et 839 999) les mineurs ne peuvent pas créer plus de 6,25 bitcoins par bloc.
- Le poids des blocs (qui équivaut à la capacité transactionnelle du réseau) doit être limité à 4 millions d’unité de poids, telles ques définies par SegWit.
Ce sont les nœuds du réseau qui s’assurent que ces règles sont respectées. Si un bloc est invalide (en contenant une transaction invalide), alors il est rejeté par les nœuds appliquant les règles.
Par définition, chaque nœud est à égalité : ainsi, chaque nœud doit vérifier que les règles sont respectées dans l’entièreté de la chaîne. Néanmoins, il arrive qu’on appelle nœud certaines implémentations partielles de Bitcoin comme les portefeuilles SPV. D’où le fait qu’on emploie parfois le pléonasme de « nœud complet » (« full node ») pour insister sur le fait qu’un nœud valide l’entièreté de la chaîne.
Notez qu’on peut considérer que les nœuds réduits (pruned nodes), qui conservent l’état du réseau mais pas l’entièreté de la chaîne, sont des nœuds à part entière puisqu’ils ont vérifié la validité de l’intégralité de la chaîne.
La définition du protocole
Bitcoin est un système économique. Contrairement à ce qu’on imagine parfois, la raison pour laquelle les règles ne changent pas n’est pas une raison technique, mais économique. En effet, Bitcoin étant ouvert à tous, rien n’interdit à un individu de modifier le protocole à sa guise. L’absence de changement provient du désavantage qu’il y a à faire ça : puisqu’il s’agit d’une monnaie, un réseau avec peu d’utilisateurs n’a aucune chance de perdurer.
Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de modifier le protocole : si la quasi-totalité de l’économie effectue le changement, alors le protocole a changé.
De plus, Bitcoin n’est pas limité à un seul protocole et à une seule chaîne, et il peut se dédoubler. Une portion économiquement significative de nœuds Bitcoin peut décider de modifier les règles, auquel cas le protocole se divisera en deux protocoles distincts, soutenus par deux réseaux différents. Cela peut mener par la suite à la scission de la chaîne de deux chaînes distinctes, phénomène qu’on appelle aussi embranchement dur ou hard fork. De tels embranchements ont notamment mené à la création de Bitcoin Cash et de Bitcoin SV pour ne citer qu’eux.
Cependant, la modification des règles peut aussi se passer sans problème et sans contentieux. Dans ce cas, le changement crée aussi deux protocoles distincts, mais l’un des deux protocoles est abandonné.
Les possibilités de modification et de scission sont essentielles à Bitcoin et garantissent son caractère sans permission : aucune autorité centrale ne décide des règles de consensus et celles-ci sont déterminées socialement. Heureusement, ces modifications et ces scissions sont généralement rares, grâce au phénomène de l’effet de réseau.
En tant que réseau monétaire, Bitcoin est soumis à cet effet de réseau, qui permet de modéliser son utilité. La loi de Metcalfe, loi théorique et empirique, dit que « l’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs », c’est-à-dire en n2
. Néanmoins, cette loi surestime probablement l’ajout d’utilisateurs, la fonction devant en réalité se rapprocher de n1,5
(loi de Metcalfe généralisée), voire de n × log(n)
(loi d’Odlyzko). Toujours est-il que l’effet est super-linéaire : selon ce principe, l’utilité de Bitcoin croît plus vite que le nombre de ses utilisateurs.
En revanche, il y a des nuances à apporter à cette modélisation. En effet, un utilisateur simple n’est pas une bonne métrique, et il faut prendre en compte le type d’action qu’il exécute. Un utilisateur qui ne fait que dépenser n’apporte aucune utilité au réseau, en dehors du fait d’encourager d’autres personnes à accepter le bitcoin. Ce n’est que lorsqu’il accepte le bitcoin comme moyen de paiement (contre un bien, un service ou une autre monnaie) qu’il apporte quelque chose. L’utilité de la monnaie provient donc des commerçants au sens large : les utilisateurs cédant des biens économiques contre elle.
En outre, l’influence d’un commerçant doit être pondérée par son activité économique réalisée avec la monnaie : un utilisateur qui achète du bitcoin de temps en temps n’a pas autant d’impact sur l’utilité qu’un commerçant qui accepte le bitcoin sur la durée contre les biens et les services qu’il produit. Aujourd’hui, l’activité principale étant la spéculation, ce sont les plateformes d’échange qui représentent les plus gros commerçants et qui influent ainsi le plus sur l’utilité.
C’est cette utilité qui permet à Bitcoin de survivre : sans utilité en tant que monnaie, la valeur du réseau s’effondre et toute sa sécurité économique avec. Ce sont donc les commerçants qui définissent le protocole en choisissant les règles qui leur conviennent et en apportant de l’utilité au réseau qui suit ces règles.
Contrairement à une croyance populaire, le fait de thésauriser (ou « HODL ») du bitcoin n’aide pas directement à définir le protocole. En effet, le fait de conserver jalousement des satoshis n’affecte que le prix, qui est un élément différent de l’utilité du réseau. Il n’y a que l’acte d’achat (en euros ou autre) qui apporte une utilité.
Lors d’une scission en cas d’une contention sur les règles de consensus, le prix permet de déterminer quelle chaîne cumulera le plus de preuve de travail accumulée à court terme et par conséquent la chaîne principale. Néanmoins, cela ne permet pas d’empêcher l’autre chaîne d’exister et d’avoir une utilité similaire, voire une plus grande utilité à long terme.
Si le prix doit avoir un effet, celui-ci sera indirect. Un prix plus élevé permettra d’abord à la chaîne principale de conserver l’effet de réseau de marketing mis en avant dans les médias, ce qui, dans un monde où la spéculation prédomine, est très important. Il permettra ensuite à une chaîne d’avoir plus de sécurité contre la double dépense opportuniste grâce à la puissance de calcul dérivant de la création monétaire. Enfin, il permettra de pouvoir effectuer un soft fork, obligeant le groupe opposé au changement de règles de provoquer une scission manuellement : cela a été à l’origine de la création de Bitcoin Cash en 2017.
Ainsi, la source réelle de définition du protocole provient des commerçants qui acceptent le bitcoin en échange d’autre chose.
L’importance des nœuds et les dangers
On a donc vu que les règles sont vérifiées par les nœuds du réseau et que ce sont les personnes qui acceptent le bitcoin en échange de biens, services ou autres monnaies qui participent à la définition du protocole. C’est la combinaison de ces deux éléments qui permettent d’avoir une influence réelle sur le protocole : ainsi, un nœud qui vérifie l’ensemble des règles sans héberger d’activité économique ne sert à rien ; et un commerçant ne faisant pas fonctionner un nœud délègue son pouvoir à l’intermédiaire auquel il se fie.
En effet, un commerçant qui accepte le bitcoin par le biais d’un tiers de confiance (un processeur de paiement comme Bitpay par exemple) repose entièrement sur ce tiers pour définir le protocole à sa place. De même un spéculateur qui effectue ses échanges sur une place de marché (comme Kraken ou Binance) dépend de celle-ci pour effectuer ses opérations.
Comme dans le minage, on constate une centralisation en un nombre restreint de commerçants réels qui représentent l’essentiel de l’activité économique. Comme on l’a déjà dit, ce sont aujourd’hui les plateformes d’échange qui représentent les plus gros commerçants en ce qui concerne le valeur échangée.
Cette centralisation représente un risque. En avril 2019, les plateformes Binance, Kraken et ShapeShift avaient par exemple délisté le BSV suite au harcèlement judiciaire mené par Craig Wright, figure principale de Bitcoin SV, à l’encontre de plusieurs bitcoineurs, dont Hodlonaut. Si cette décision pouvait être compréhensible, elle a montré que ces plateformes pouvaient supprimer instantanément une portion de l’activité économique du réseau.
C’est pourquoi il est crucial de faire fonctionner un nœud en tant que commerçant, ou au moins de se préparer à le faire si la situation l’exigeait. La gestion d’un nœud personnel permet de conserver une souveraineté et une influence réelles sur le protocole.
On pourrait être tenté d’expliquer que les utilisateurs (clients) des plateformes d’échange (commerçants) influencent les décisions de ces dernières conformément aux lois du marché : s’il y a de la demande pour un Bitcoin possédant des règles précises, alors les plateformes ont tout intérêt à conserver ce Bitcoin dans leur catalogue. C’est ce que l’on a vu en 2017, avec les mouvements de l’UASF et du NO2X qui ont poussé les grosses sociétés de l’écosystème à accepter SegWit en mai et à renoncer au doublement de la taille limite des blocs en novembre.
Néanmoins, ce serait ignorer que le monde n’est pas un marché libre et que certains acteurs utilisent la contrainte physique pour parvenir à leur fin. Les plateformes d’échange et les processeurs de paiement peuvent ainsi être forcés par la loi à accepter ou à refuser une version de Bitcoin dans les pays où elles opèrent.
Pour que le protocole de Bitcoin soit réellement robuste, il faut que l’activité économique soit décentralisée, à l’instar du minage : que les commerçants (ou petits groupes de commerçants) fassent fonctionner leurs propres nœuds pour que, dans l’hypothèse où un changement des règles est décrété par coercition, les risques soient répartis dans l’économie et que Bitcoin puisse continuer à survivre illégalement.
En particulier, la politique monétaire du bitcoin dépend de manière cruciale de cette décentralisation de l’économie par l’usage de nœuds complets. En effet, s’il advenait qu’un groupe d’États introduisait une création monétaire supplémentaire dans Bitcoin dirigée par exemple vers un compte chapeauté par le FMI, et que ce groupe d’États faisait passer une loi interdisant la version originelle de Bitcoin, alors une trop grande centralisation mènerait à une réduction drastique de l’économie de ce Bitcoin déflationniste, voire à sa perte.
C’est le sens de l’adage « pas ton nœuds, pas tes règles » : tant que l’utilisateur ne gère pas son nœud complet, les règles appliquées ne sont pas entièrement les siennes, mais celles du tiers auquel il délègue la vérification de la chaîne.
La centralisation entre les mains de certaines entreprises rend l’économie de Bitcoin fragile et dépendante du bon vouloir des États. Afin d’échapper à la corruption du pouvoir, Bitcoin doit donc reposer sur une économie circulaire et décentralisée de commerçants individuels, qui sont par nature beaucoup moins sensibles aux exigences légales. L’évolution monétaire ne sera pas centralisée.
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