Binance visé par une enquête américaine ? Un non-événement pour 4 raisons
Jamais deux sans trois – Après la stupéfaction des amateurs de doggy-coins confrontés à la cure d’amincissement éclair de leurs meutes chèrement acquises et le récent drama autour des atermoiements de Tesla, un jour amoureux de Bitcoin, le lendemain dégoûté par sa (supposée) mauvaise conduite écologique, le marché crypto pensait être un peu tranquille en cette fin de semaine. C’est donc raté, puisque – par un étonnant hasard de calendrier – on apprenait hier soir que le géant des exchange crypto Binance était visé par une enquête de l’IRS, le super-flic financier américain. L’occasion de décortiquer les quelques rares éléments tangibles à notre disposition et de relativiser grandement les choses afin de ne pas tomber dans une spirale de FUD aussi contre-productive que bien peu fondée au final.
Les investigations sur Binance : les faits
Tout part de la publication hier soir pour la France d’un article de Bloomberg intitulé « Binance fait l’objet d’une enquête des services américains de lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale ».
Notez dès ce titre que personne n’affirme que Binance est accusé – ni même suspecté en l’état – de blanchiment ou de fraude fiscale, mais simplement que des investigations par l’IRS, le service chargé de ces sujets sont en cours. Cette précision est d’importance, et sera d’ailleurs confirmée par la lecture des éléments contenus dans l’article.
Les informations ne sont pas sourcées (même s’il semble évident qu’elle proviennent de l’IRS elle-même). Il est cependant permis d’apprendre que l’IRS collecte des informations auprès de « personnes ayant une connaissance approfondie des activités de Binance », comprenez par là d’actuels ou d’anciens employés, ou des utilisateurs de la plateforme.
Tout le monde l’a parfaitement compris, l’ambiance historique est à la régulation et à la chasse aux transactions douteuses, qu’elles permettent de tenter d’échapper aux taxes (qui comme la mort, sont pourtant inévitables), ou à financer des activités illicites, voire terroristes.
Il en va ainsi de la finance dite classique, tout comme de sa plus jeune descendante crypto-monétaire. Et dans cette tendance, les Etats-Unis sont particulièrement sourcilleux et n’hésitent plus désormais à dégainer et à tirer à vue sur les acteurs de l’écosystème hors des clous. Bitfinex (Tether) ou Ripple en font notamment les frais, ainsi que de multiples sociétés ayant proliférés au moment de la folie des ICO de 2017.
Dans le cas qui nous intéresse, les enquêteurs semblent vouloir s’assurer de la transparence et de l’absolue sincérité de Binance dans le cadre de ses offres de trading crypto, et plus précisément celles concernant son offre disponible sur la plateforme Binance US, une espèce de Binance Canada Dry, à l’offre limitée et uniquement réservée aux ressortissants américains.
Et dans ce cadre général, nos fins limiers fiscaux s’intéressent encore plus particulièrement à la période ayant précédé cette offre, comme on va le voir dans un instant.
Pourquoi les problèmes (éventuels) de Binance avec l’IRS ont peu de chance de vous impacter
Si en cette semaine à l’ambiance un peu particulière, la nervosité des marchés crypto semblent s’intensifier à la moindre mauvaise nouvelle, voici 4 raisons pour lesquelles il faut raison garder sur l’impact de l’information FUD du jour.
1. Parce qu’investigation n’implique pas mise en accusation
L’IRS qui enquête sur Binance ? Ce qui serait étonnant en réalité, c’est que cette entité qui dépend du Ministère de la Justice US ne s’intéresse pas à un poids-lourd crypto de cette ampleur, qui opère en partie sur son territoire.
L’attention des enquêteur a probablement été attirée par de récents éléments (et notamment un rapport de la société spécialisée dans les investigations onchain Chainalysis), démontrant que des flux d’argent sales avaient transités par Binance. Sur 2.8 milliards de dollars en bitcoins et autres cryptomonnaies, l’analyse des data indique ainsi que 27% auraient transités par l’exchange vedette.
Si le phénomène est évidemment pris au sérieux, personne en l’état n’accuse pour l’heure Binance de manque de vigilance ou de laisser-faire en la matière. La plateforme travaille d’ailleurs main dans la main avec Chainalysis sur ce sujet particulier.
2. Parce que Binance a recruté une armée de vétérans institutionnels de la régulation
CZ, le patron de Binance a une conscience aiguë du fait que le prochain front stratégique où il devra défendre la pertinence de son modèle, voire sa survie même, sera celui de l’ultra-régulation. Dans un contexte où il est même possible qu’on en demande plus encore aux acteurs crypto qu’aux entités plus traditionnelles, Binance a ainsi multiplié les recrutements stratégiques ces derniers mois autour de la thématiques conformité/régulation/compliance.
Ainsi, on rapportait récemment la prise de fonction à la tête de Binance US de Bryan Brooks, qui était auparavant le grand patron de l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC) américain.
Mis en place précisément pour s’assurer que l’entité américaine soit parfaitement conformes aux plus hautes exigences réglementaires, l’intéressé déclarait alors :
« Je n’aurais pas pris ce poste si je n’avais pas eu un engagement fort de la part du Conseil d’administration pour diriger un programme de conformité solide (…) »
La concomitance d’ailleurs entre cette nomination est l’intérêt de l’IRS mérite d’être relevée.
3. Parce que les investigations de l’IRS ne concernent que les activités américaines du groupe
Faute de pouvoir se projeter au-delà de sa juridiction territoriale naturelle, les investigations de l’IRD ne concernent que Binance US, la plateforme dédiée on l’a vu au public yankee, lancée en 2019.
Binance US, c’est quelques % du chiffre d’affaire global d’un géant qui se veut transnational. A ce titre, Binance n’est pas Coinbase et CZ – veillant jalousement à l’indépendance de sa création – n’ambitionne en rien de procéder à une entrée fracassante au NASDAQ. En revanche, il est certain qu’être conforme aux standards américains en matière de compliance apporte une belle crédibilité sur la scène financière internationale.
« Nous prenons nos obligations légales très au sérieux et nous nous engageons avec les régulateurs et les forces de l’ordre de manière collaborative. Nous avons travaillé dur pour construire un programme de conformité robuste qui intègre les principes de lutte contre le blanchiment d’argent et les outils utilisés par les institutions financières pour détecter et traiter les activités suspectes. »
Jessica Jung, porte-parole de Binance
On notera à cet égard qu’en juin 2019, au lancement de la version US de Binance, l’exchange s’était assurée de la bienveillance et de la cooptation du BAM Trading Services, un partenaire approuvé par le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN).
C’est la raison pour laquelle Binance joue cartes sur table avec les différents régulateurs US et n’a vraiment aucune raison valable de tenter des coups en douce pour piteusement récupérer quelques centaines d’utilisateurs. Ce qui nous emmène au point 4 : que reproche t-on réellement à Binance ?
4. Parce que les faits concrètement reprochés à Binance sont mineurs
On n’ignore pas qu’aux Etats-Unis, les choses peuvent prendre des ampleurs inédites, et même carrément contre-intuitives vues du Vieux continent. Pour autant, des indiscrétions collectées par Bloomberg et outre les recherches sur le sujets très général on l’a vu des flux financiers suspects et des problématiques de conformité AML/KYC, les investigations porteraient sur la possibilité qu’avant 2019 (et le lancement de Binance US donc), des utilisateurs américains aient pu, à l’aide de VPN, profiter indûment des services de l’exchange principal Binance.
« Une personne connaissant les opérations de Binance a déclaré qu’avant la création de Binance.US, il était conseillé aux Américains d’utiliser un réseau proxy virtuel, ou VPN, pour dissimuler leur emplacement lorsqu’ils cherchaient à accéder à la bourse. »
Outre l’imprécision de ces déclarations, une simple recherche internet permet de constater que sur Reddit, ainsi que sur de multiples forums, dont Bitcointalk, le process pour utiliser Binance avec un VPN est librement accessible et dévoilé depuis des années. Outre la simplicité technique de la chose, on a peine à imaginer le service client de Binance encourager un utilisateur à contourner sciemment et grossièrement la réglementation américaine par ce biais.
Et même dans cette hypothèse, l’entreprise aura beau jeu de prétendre à l’initiative aussi individuelle que malheureuse d’un employé trop zélé voulant bien faire.
Au final, et au-delà même du fonds potentiel de l’affaire que les prochaines semaines se chargeront d’éclaircir, cette news qui tombe au pire moment est surtout d’une redoutable efficacité pour générer des mécaniques d’inquiétude, voire de panique chez les investisseurs les plus fragiles ou les moins avertis.
A ce titre, elle nous rappelle l’importance de ne pas nous contenter de la surface des choses, d’aller au-delà des titre parfois biaisés et de nous souvenir que l’immaturité du marché crypto est propice à toutes les manipulations d’influences.