NFT : Yuga Labs a-t-il trompé ses investisseurs ? Le recours collectif qui pourrait faire mal

La SEC dans un dilemmeYuga Labs fait partie des plus belles réussites dans le domaine des jetons non fongibles, les fameux NFT. Les collections des Bored Ape et des CryptoPunks affolent les compteurs et attisent même les convoitises. Mais, suite à la chute du marché des cryptos et donc du prix de ces NFT, certains propriétaires s’estiment lésés et voudraient en découdre avec la maison mère. Un cabinet d’avocats s’est emparé du sujet et envisage un procès collectif. Mais le gendarme de la bourse américaine (SEC) hésite à se positionner. Enjeux et perspectives.

Des investisseurs potentiellement floués par Yuga Labs

Scott + Scott est un cabinet d’avocat international qui possède des bureaux aux États-Unis et en Europe. Ses équipes sont spécialisées dans la défense des consommateurs, des droits des actionnaires ou encore dans les litiges sur les valeurs mobilières. Le 12 juillet dernier, ils ont publié sur leur blog un appel aux témoignages pour éventuellement envisager un recours collectif contre Yuga Labs.

Le cabinet tape fort sur la startup américaine et les mots choisis sont explicites. En voici un extrait :

« Yuga Labs a incité de manière inappropriée la communauté à acheter des Bored Ape Yacht Club et le jeton APE affilié au projet. (…) Des promoteurs et des célébrités ont été utilisés pour gonfler le prix auprès d’investisseurs sans méfiance. Finalement, les petits investisseurs se sont retrouvés avec des jetons qui avaient perdu plus de 87 % par rapport au prix gonflé du 28 avril 2022. »

En effet, il ne s’agit pas seulement des NFT mais aussi des jetons APE. Il y aurait donc d’un côté une société qui promeut des images et des tokens, qui en fait monter le prix et qui revend tout sur le dos d’une pauvre communauté d’acheteurs crédules. Le fameux Pump and Dump, un coup classique dans la crypto. Mais la situation est loin d’être aussi simple.

Tout d’abord, ce n’est pas Yuga Labs qui a décidé d’émettre des tokens. C’est plutôt la DAO, c’est-à-dire l’organisation autonome des possesseurs de NFT. Difficile donc de l’accuser. De plus, concernant cette accusation de Pump and Dump, personne n’a quitté le projet avec la caisse. Le cours du token a seulement suivi la chute globale des marchés. Il sera donc compliqué de prouver quelque chose en ce sens. Mais le plus gros problème dans cette affaire sera de convaincre la SEC qu’elle doit intervenir.

Un cabinet d'avocats envisage une procédure collective contre Yuga Labs. Les accusations sont graves : tromperies, Pump and Dump et délit d'initiés. Mais la SEC voudra t-elle intervenir dans cette affaire ? Rien n'est moins sûr vu les enjeux énormes !
Un responsable des Bored Ape ironise sur les gens qui portent plainte après avoir « acheté le top » – Source : Twitter

Mais la réalité est beaucoup plus compliquée pour la SEC

En effet, qu’est-ce qu’un NFT ? Si c’est une œuvre d’art numérique, la SEC n’a aucune autorité en la matière. Brian Fyre, professeur de droit à l’Université de Kentucky, explique pourquoi :

« Je vois très peu de chances que la SEC veuille intervenir là-dedans et … caractériser cela [les NFT] comme une valeur mobilière. (…) Je pense qu’ils vont résister bec et ongles. (…) Car cela leur ouvrirait une boîte de Pandore et les obligerait à réglementer toutes sortes d’autres choses qu’ils ne veulent pas réglementer. »

La SEC n’a effectivement aucune envie de règlementer le marché de l’art et ne compte pas commencer avec les NFT ! Si vous achetez un tableau en espérant faire une plus-value, allez vous porter plainte si le cours du peintre chute ? Du côté des NFT, il n’y a pas vraiment de chance de voir une quelconque procédure aboutir. Et du côté des jetons APE, on tourne également en rond. Brian Fyre poursuit :

« La bizarrerie à ce sujet, c’est comment faites-vous un délit d’initié à moins que vous ne le fassiez avec quelque chose qui est un titre négocié sur un marché boursier ? »

En résumé, pour pouvoir poursuivre Yuga Labs, la SEC devrait d’abord se positionner sur la nature même des tokens APE et éventuellement des NFT. Et décider de les inclure dans la catégorie valeur mobilière, ce qu’elle se refuse de faire depuis des années. Il est plus probable que la SEC « tape en touche » et utilise des termes comme « fraude électronique et blanchiment d’argent » pour caractériser les faits. Mais, il faudra bien un jour construire un cadre règlementaire pour ses objets financiers non identifiés, car la mode ne semble pas prête de passer.

Ben Canton

Prof à la ville comme à la scène, vulgariser et expliquer c'est mon quotidien. Crypto-agnostique pratiquant, je cherche la lumière dans les ténèbres des internets en essayant d'éviter les querelles de chapelles ! En attendant la révélation, j'achète du Bitcoin pour mes enfants et je m'enthousiasme pour les projets à destination du grand public.