Bitcoins, mixeurs et anonymat : Binance joue-t-il au gendarme et au voleur ?
La vie privée, c’est grave surfait – La fongibilité, grande question qui anime régulièrement les discussions de la cryptosphère. Un bitcoin vaut-il vraiment un autre bitcoin ? Si certains vous diront la bouche en cœur qu’il s’agit d’une évidence, d’autres resteront plus mesurés : si vous venez à détenir une portion de bitcoin ayant un jour appartenu à un sombre trafiquant de drogue du Darknet, votre portion de bitcoin sera-t-elle marquée du sceau de l’infamie et risquera-t-elle de perdre en valeur ? Ou pire, des exchanges pourraient-ils décider de ne plus accepter de vous laisser les vendre ?
Si la discussion était restée relativement théorique jusqu’ici, il semblerait que les questions qu’elle soulève soient remises à l’ordre du jour. Explications.
Monsieur, papiers de votre hardware wallet, s’il-vous-plaît
L’histoire que nous allons vous raconter commence du côté de la branche locale de Singapour de l’exchange Binance : un utilisateur rapporte en effet à grands cris sur les réseaux sociaux depuis quelques jours qu’il aurait été censuré par l’exchange, qui se lancerait désormais dans une vérification KYC perfusée aux stéroïdes et très extensive de ses informations personnelles, sans accepter de lui rendre ses précieux bitcoins.
Mais pourquoi ? Eh bien parce que ce dernier aurait eu recours au mixeur intégré dans le client Wasabi Wallet. Selon d’autres échanges toujours fournis par le même utilisateur, Binance aurait justifié cette politique par son refus de traiter des transactions en lien avec « du gambling, du trading P2P ou des activités liées au Darknet et au mixing de bitcoins ».
Une position relativement amusante, tant l’on se doute qu’une bonne partie des fonds transitant par Binance pourrait bien finir par atterrir sur de tels services… d’autant plus lorsque certains sont proposés par Binance-même, par exemple en Chine.
Un problème avec le CoinJoin ?
Certains n’ont pas tardé à s’interroger : quelles raisons pourraient pousser Binance à s’intéresser à l’activité future d’un client ? En effet, selon les propos-mêmes de Binance, ce sont bien les retraits vers une adresse identifiée comme faisant partie du mixeur de Wasabi Wallet qui posent problème.
Contactée par le Journal du Coin, une représentante de Binance s’est limitée à préciser que « la filiale locale à Singapour de Binance opère à l’aide d’un prestataire local, Xfers, lequel obéit aux règles édictées par l’Autorité monétaire de Singapour (MAS)« . Quand à la question de savoir pourquoi le fait de procéder en dehors de Binance à des transactions CoinJoin déclenchaient de telles alertes dans leurs services, silence radio.
Pour rappel, une transaction Bitcoin peut avoir plusieurs entrées et plusieurs sorties : en d’autres termes, plusieurs wallets peuvent effectuer un transfert en n’utilisant qu’une seule transaction commune. C’est ce que l’on appelle une transaction Coinjoin, qui permet à plusieurs utilisateurs de mélanger leurs transferts respectifs en une seule transaction. Et c’est justement ce que permet de faire Wasabi Wallet.
Si l’affaire s’est à priori conclue de façon heureuse, permettant à l’utilisateur en question de récupérer in fine ses précieux bitcoins, elle est pour le moins parlante : même si ce n’est pas tellement une surprise, l’on devrait donc s’attendre à voir certaines plateformes de change durcir leurs contrôles des flux cryptomonétaires qu’ils viennent à gérer.
Comme toujours, tout est une question de curseurs : si la cryptosphère aime à se féliciter des exemples où ces exchanges parviennent à déjouer des piratages conséquents en gelant les fonds concernés, ce cas est foncièrement différent. Quelles seront les réactions des exchanges grand public si la fongibilité du Bitcoin s’améliore sensiblement, et que des techniques d’anonymisation plus poussées et fiables parviennent à s’intégrer aux us et coutumes d’une majorité d’utilisateurs ?
N.B. : Le PDG de Binance, Changpeng Zhao, a été amené à s’exprimer dans une note de blog suite aux vives réactions d’une partie de la communauté dans la journée. Il y défend la même ligne que celle de ses représentants, plus tôt dans la matinée.