La France, une crypto-nation attractive ? – Fiscalité des crypto-actifs #2
“La France n’a pas à être une “crypto-nation”. Ces mots d’Eric Woerth, président de la mission d’information sur les monnaies virtuelles, illustrent parfaitement la schizophrénie politique actuelle : la France n’a pas besoin d’être en avance sur les protocoles blockchain, et pourtant elle le voudrait, comme le démontrent les propos récurrents de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, ou ceux de Pierre Person, rapporteur de la mission d’information précitée. Le nouveau cadre fiscal permet-il donc à la France de s’afficher au rang des crypto-nation ?
Plusieurs sujets étaient au cœur des recommandations du secteur pour permettre une réelle attractivité de la France concernant le secteur blockchain français : lever le flou entourant la fiscalité des cryptoactifs, avoir régime d’imposition facile d’accès et mettre en place un taux attractif sur les plus-values réalisées.
Nous l’avons vu la semaine dernière, la nouvelle loi n’est pas aisée à manier au titre de la question de son champ d’application.
Si cette maladresse (ou cette habile extension de la fiscalité des cryptoactifs, selon l’interprétation) est encore largement source de confusion parmi les juristes amateurs et avertis, force est de constater que certaines demandes du secteur ont bien été entendues, du moins partiellement.
Un dispositif novateur : une exonération des opérations entre cryptoactif
Voici LA grande nouveauté de cette loi, celle que tous les détenteurs d’actifs numériques jugeaient nécessaire, celle que tous les fiscalistes jugeaient impossible.
Impossible, non en raison d’une complexité trop grande dans sa mise en oeuvre, mais en raison des craintes qu’un tel dispositif soit vu comme trop dérogatoire par Bercy et par le Parlement, les opérations d’échanges ayant toujours été, pour les questions de plus-values des particuliers, assimilés à des cessions à titre onéreux, fait générateur de l’impôt.
Les rares exemples (PEA ou opérations de restructurations) ne plaidaient pas en faveur d’une mise en oeuvre d’un régime généralisé d’exonération, et pourtant voici que la France est la première nation au monde à officiellement exonérer les opérations entre cryptoactifs.
Je précise “exonération des opérations entre cryptoactifs”, car d’autres pays ont, quelles que soient leurs motivations, décidé d’exonérer (souvent sous conditions) les cessions relatives aux cryptoactifs, que ce soient des opérations d’échanges ou des opérations de conversion fiat.
En revanche, parmi les pays ayant décidé d’imposer les cessions, la guerre se jouait plutôt sur les taux d’imposition jusqu’à présent. La France essaie un nouvel angle de tir, plutôt réussi à première vue.
Il faut reconnaître qu’il s’agit ici d’une excellente nouvelle, dans son principe du moins, mais la question du taux ne doit pas être éludée, surtout au niveau de la mise en œuvre pratique du régime.
Un alignement sur les revenus du capital : la flat tax
Nous allons commencer par une petite précision sur la structure de la flat tax.
Demandez à n’importe quel passant dans la rue le taux de cet impôt, vous entendrez systématiquement “30%” en réponse. Est-ce vraiment le cas ?
Officiellement, le PFU est fixé à 12,8%, et non à 30%. Le delta est en réalité constituée de ce que l’on appelle les prélèvements sociaux, à savoir la Contribution Sociale Généralisée (CSG) à 9,9%, la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale (CRDS) à 0,50%, le prélèvement social à 4,5%, la contribution additionnelle à 0,3% et le prélèvement de solidarité à 2%.
Il ne faut pas confondre ces prélèvements sociaux avec les cotisations sociales qui, bien qu’étant aussi affectées à des “organismes sociaux”, donnent des droits (retraite, prévoyance, etc.). Les prélèvements sociaux sont dus, sans aucune contrepartie, du moins sans contrepartie “directe” (cela sert à financer les services publics après tout).
Ok, vous me direz que ce n’est pas vraiment important, ce qui compte, c’est l’impôt final. Et vous aurez totalement raison, pour le contribuable, ce qui importe, c’est le montant restant en poche après l’opération.
En revanche, la précision se révèle importante dans une démarche comparative.
Systématiquement, la France est comparée aux autres pays, pour lesquels seul le taux de l’impôt sur le revenu est relevé, mais pas celui des prélèvements sociaux.
Par conséquent, il semble nécessaire de relever, lorsqu’ils existent (si ce n’est pas le cas, les services publics ne sont souvent pas au rendez-vous), le taux des prélèvements sociaux applicable dans les pays servant de comparaison avec la France (où le coût des assurances privées remplaçant ces services publics, au choix).
Une fois traitée la question de la structure de la flat tax, le taux est aisé à retenir : 12,8% d’impôt sur le revenu, 17,2% de prélèvements sociaux, soit un total de 30%, comme mentionné précédemment.
Par comparaison avec les taux internes, il convient également de se souvenir que le barème progressif de l’impôt sur le revenu monte jusqu’à 45%, hors prélèvements sociaux (ou cotisations sociales, selon le cas).
Les plus-values réalisées par les particuliers au titre de leurs cessions de cryptoactifs bénéficient donc d’un maximum de plus de 30 points de pourcentage d’imposition en moins par rapport à la majorité des autres revenus perçus par les résidents fiscaux français.
Certes, le taux global de 30% n’est pas ce qu’il y a de plus attractif à l’international, mais en considérant le système fiscal français dans sa globalité, les détenteurs de cryptoactifs sont tout de même parmi les personnes plutôt bien loties.
Néanmoins, les quelques efforts du législateur risquent néanmoins de s’avérer vains, vu la complexité de la mise en oeuvre de ce régime.
Le calcul de la plus-value : attention à la migraine !
L’article 150 VH bis du Code général des impôts prévoit que “la plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés au I est égale à la différence entre, d’une part, le prix de cession et, d’autre part, le produit du prix total d’acquisition de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille”.
Commençons par la formule à retenir :
Le prix de cession est un élément facile à identifier, il s’agit de toutes les valeurs reçues en contrepartie d’un cryptoactif, sauf s’il s’agit d’un autre cryptoactif (dans ce cas, l’opération est exonérée.
Le prix de cession peut donc correspondre à des monnaies fiat en cas de conversion, mais aussi à la valeur des biens ou services achetés au moyen de cryptoactifs.
Si des frais de cessions sont acquittés par le cédant, ils peuvent venir en déduction du prix de cession.
On corse un peu les choses avec le prix d’acquisition (ou cash in), qui correspond aux sommes totales effectivement acquittées en fiat, en biens ou en services pour acquérir des cryptoactifs.
En réalité, c’est aussi une notion assez simple à appréhender, il s’agit de l’ensemble de l’investissement en cryptoactif, que cet investissement ait pris une forme monétaire ou non.
Cependant, une petite complexité vient s’ajouter : afin de ne pas utiliser plusieurs fois des cash in, il est prévu que le prix d’acquisition est, pour chaque opération, réduit des cash in déjà déduit au titre des opérations antérieures.
Si les cryptoactifs ont été reçus par donation ou succession, le cash in correspondra à leur valeur à la date de cette donation ou succession.
Enfin, la valeur totale du portefeuille correspond, assez logiquement, à la valeur de l’ensemble des actifs numériques possédés au moment de la cession.
Une fois ces notions cernées, on voit donc se dessiner la complexité du régime, qui va entraîner une quasi-impossibilité de calcul en cas de cessions régulières, du moins si vous n’utilisez pas un service d’agrégation et de calcul au titre de l’ensemble de vos actifs.
En effet, à chaque cession, il faudra 1/ prendre une photographie de votre patrimoine crypto au moment de l’opération (sans vraiment savoir si la photographie doit être prise à l’instant T, avec les moyennes journalières, autre ?), déduire tous les cash-in précédents, que vous aurez (ou pas) scrupuleusement noté à chaque opération, et enfin bien noter le montant de cash in utilisé lors de l’opération en cause.
Pas vraiment aisé à faire, surtout pour les traders amateurs qui, sans aller jusqu’à la qualification “habituelle” qui entraîne un autre régime d’imposition (et dont nous reparlerons dans un autre article), peuvent réaliser un certain nombre d’opérations de repli en cas de forte volatilité. Je parle bien sûr des replis en fiat, les replis en stablecoins ne semblant pas déclencher l’imposition.
Une fois que vous aurez réalisé ce travail pour chaque cession de l’année viendra le temps de la globalisation. Les opérations n’étant pas imposées une par une, mais annuellement, il convient d’agréger le résultat de l’ensemble de ces opérations, notamment pour compenser les plus-values et les moins-values.
- Si vous avez une moins-value nette, outre la perte financière, la peine est doublée : votre moins-value ne pourra pas être utilisée pour diminuer une éventuelle plus-value globale réalisée au cours d’une des années suivantes.
- Si la somme des cessions (je parle bien de la somme des prix de cession, pas de la somme des plus-values, attention) est inférieure à 305 €, le contribuable est exonéré d’impôt (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura aucune formalité déclarative…).
- Enfin, si le cumul annuel de vos prix de cession est supérieur à 305 € et que vous avez réalisé une plus-value globale, vous serez imposés, dès le 1er euro de plus-value, au taux de 12,8% (plus 17,2% de prélèvements sociaux).
Des modalités déclaratives à l’efficacité contestable
A titre liminaire, précisons qu’à l’heure où ces lignes sont rédigées, les modalités déclaratives précises ne sont pas encore fixées, la loi se contentant de fixer les grandes orientations. Commençons par voir les modalités relatives aux opérations de cession proprement dites.
Tout d’abord, le contribuable exonéré de l’impôt en raison du faible montant de ses prix de cession (<305 € annuels) n’est pas du tout exonéré de ses formalités déclaratives.
En effet, ce contribuable devra tout de même déclarer chacune des opérations exonérées, soit potentiellement quelques dizaines d’opérations de quelques euros, pour reprendre l’exemple caricatural du “bitcoin pour payer sa baguette de pain ou son café”.
Au moins, avec de telles formalités, on sait que les cryptoactifs n’auront jamais vocation à servir de moyen d’échange quotidien…
Pour les contribuables imposables, il ne suffira pas de reporter sur la déclaration d’impôt sur le revenu le montant global de la plus ou moins-value annuelle, comme c’est le cas pour les cessions de valeurs mobilières, il faudra reporter TOUTES les plus et moins-values réalisées pendant l’année.
C’est du moins ce que le texte prévoit, attendons de voir si des tolérances sont admises par l’administration, car on voit mal tous les contribuables joindre en annexe à leur déclaration un tableur Excel comprenant le détail de toutes leurs opérations (d’autant qu’avec l’obligation de télédéclaration généralisée, il n’est pas, en l’état, possible de joindre ce type de fichier…).
Enfin, cerise sur le gâteau, les contribuables doivent déclarer tous les comptes de cryptoactifs ouverts, clos ou utilisés auprès d’organismes étrangers au cours de l’année précédente.
Sanction : 750 € d’amende par compte non déclaré, et 125 € par inexactitude sur la déclaration. Ces amendes sont portées à 1.500 € et 250 € si la valeur de l’ensemble de vos comptes de cryptoactifs détenus auprès d’organismes étrangers est supérieure à 50.000 €.
Pas d’inquiétude, les cold wallets ne sont pas des comptes de cryptoactifs, dans la mesure où vous détenez directement ce wallet, aucun organisme étranger n’est impliqué dans la gestion des actifs.
En revanche, une sanction différente, plus lourde, pourrait éventuellement être mise en œuvre dans le cas où l’exchange à déclarer accueille des monnaies fiat.
Dans ce cas, le compte tombe dans le champ d’application de l’obligation de déclarer ses comptes financiers détenus auprès d’organismes situés à l’étranger, dont l’amende est de 1.500 €, voire 10.000 € si l’établissement est situé dans un État n’ayant pas signé avec la France une convention d’assistance administrative.
Que retenir de cet article ?
Commençons par les points positifs : une exonération des opérations entre cryptoactifs et un taux IR qui se veut quasi-attractif à 12,8% (30% avec les prélèvements sociaux), du moins pour la France.
Les points négatifs ensuite : une imposition potentielle des conversions fiat sans rapatriement bancaire, un calcul de plus-value éminemment complexe à mettre en oeuvre, des formalités déclaratives à s’arracher les cheveux.
Les députés semblent avoir oublié que l’attractivité ne se mesure pas uniquement à l’aune du taux d’imposition, mais aussi en considération de la simplicité d’un système fiscal.
Le premier volet est acté, mais les erreurs sur le second risquent de fortement compromettre la volonté du ministre de l’Economie et des Finances de “faire de la France la première place d’innovation blockchain et cryptoactifs en Europe”… du moins dans l’attente d’une nouvelle loi de finances plus raisonnable !