Les ICO : les rôles et missions de l’expert-comptable
Depuis 2016, certaines sociétés françaises ont pris le pari audacieux de s’immatriculer en France afin de réaliser un projet technologique (généralement) innovant et le financer via une Initial Coin Offering (ICO). L’engouement pour ce mode de financement singulier est croissant, et constitue un phénomène à tendance exponentielle comme le montre le graphique 2 du document publié par l’AMF.
Au regard de ces éléments, pour les sociétés françaises, il est donc pertinent de se demander quels sont les rôles et missions des professionnels du chiffre français : expert-comptable et commissaire aux comptes, dans le cadre d’une ICO ?
Dans un premier temps, nous reviendrons sur la définition d’une ICO et toutes les notions qui s’y rattachent, puis, dans un second temps, nous verrons le rôle d’un des professionnels du chiffre : l’expert-comptable et les différentes missions qu’il peut proposer, tant du point de vue de l’émetteur de l’ICO, mais également du point de vue de la société qui désirerait investir dans une ICO.
Définition d’une ICO
Succinctement, on peut décrire une ICO comme étant une forme de levée de fonds fonctionnant comme suit : durant une période déterminée, l’entreprise émettrice va proposer des cryptoactifs (donc pas nécessairement des cryptomonnaies) appelés « tokens » ou jetons en Français, échangeables contre des cryptomonnaies dites « liquides », c’est-à-dire communes et acceptées assez globalement comme moyen de paiement, par exemple Bitcoin ou Ethereum.
Les « tokens » peuvent avoir deux usages pour l’investisseur : « utility token » ou « security token ». Les « utility tokens » sont une sorte de coupons numériques qui permettront d’utiliser ultérieurement ou immédiatement les services proposés par l’entreprise. Les « security token » (dont la qualification juridique en France demeure problématique) représentent parfois une fraction du capital ou parfois un intéressement sur le bénéfice de la société. Ces deux principales catégories de « tokens » peuvent être échangées sur un marché secondaire dans le but de réaliser une plus-value.
En synthèse, l’émetteur d’une ICO reçoit des cryptomonnaies afin de disposer des fonds nécessaires au développement de son projet, et en échange l’investisseur reçoit des « tokens » pouvant soit :
- lui permettre d’utiliser les services de l’émetteur,
- spéculer et tenter de réaliser des plus-values ultérieures.
La définition de la nature des tokens est généralement indiquée dans le « white paper ». Il est important de noter que ce document ne fait l’objet d’aucune réglementation à ce jour, malgré qu’il soit une des clés pour déterminer la fiabilité du projet de financement ICO pour l’investisseur. Pour mémoire, le « white paper » est un document dans lequel la société émettrice de l’ICO présente généralement son projet, la nature des tokens, les différentes étapes de déploiement du projet, le type de blockchain utilisé pour réaliser l’ICO, et parfois quelques informations financières.
Dans ce « white paper », il va aussi être fait mention des « advisors ». Ce sont des conseillers financiers, informatiques, juridiques ou marketing qui accompagnent la société dans le bon déroulement de son ICO et dans sa constitution sans pour autant rentrer dans l’organigramme de celle-ci. Il est important de noter que le statut de « advisors » n’est pas reconnu légalement et qu’il ne dispose généralement pas d’une assurance professionnelle.
Les rôles et missions de l’expert-comptable pour la société émettrice de l’ICO
La mission « traditionnelle » de production des comptes de l’entreprise
La mission de production des comptes annuels d’une entreprise qui réalise une ICO est la première mission dévolue à l’expert-comptable en France. Cependant, dans le cadre d’une ICO, cette mission est particulièrement complexe et nécessite une compétence avérée du professionnel. En effet, l’appréhension de différents éléments de vocabulaire tel que tokens, forks, airdrops, etc. sont un préalable à la réussite de sa mission. Par ailleurs, le projet technologique sous-jacent, ainsi que des différentes problématiques comptables qui pourront en découler
En outre, la réglementation naissante nécessite une veille quotidienne du professionnel afin que les choix de l’entreprise restent conformes avec l’adoption d’une nouvelle réglementation.
L’accompagnement dans la définition des règles et méthodes comptables
La définition de la typologie de token (voir supra) emporte des conséquences juridiques, comptables et fiscales. Ces conséquences, si l’entreprise n’y prend pas garde, pourront s’avérer préjudiciables ultérieurement depuis la clarification des règles par l’Autorité des Normes Comptables.
De plus, l’expert-comptable doit s’interroger sur la nature des tokens émis et sur le libellé comptable qu’il serait pertinent de leur apposer. En effet, selon le type d’activité de la société émettrice, un token peut être vu alternativement comme un bien vendu ou comme un droit d’utilisation. En outre, la vente de token aura un impact différent sur le bilan comptable. En effet, de manière basique : la vente d’ « utility tokens » va générer du chiffre d’affaires, tandis que celle de « security tokens » (lorsque le législateur l’autorisera) viendra impacter le capital ou les capitaux propres a minima de l’entreprise.
Les missions d’attestations
Méconnus par les entreprises, les experts-comptables peuvent émettre des attestations particulières. Cette mission va permettre d’apporter aux tiers, une assurance sur une information financière ou extra-financière produite par l’entreprise. La demande d’attestation provient généralement de tiers à l’entreprise (banque, investisseur, etc) qui souhaite obtenir une assurance sur une information financière ou extra-financière produite par l’entreprise.
Dans le cadre d’une ICO, les missions d’attestations peuvent être nombreuses : nombre de tokens émis, montant des fonds reçus sur les plateformes d’échange, confirmation des soldes présents sur les différentes plateformse d’échange, etc.
Les missions de conseils et l’audit contractuel
L’expert-comptable a un vrai rôle préventif lors de la constitution de ces sociétés étant donné le manque de régulation dans ce domaine. Notamment, il a été évoqué ci-dessus la notion d’advisors. Ces personnes sont des conseillers extérieurs à l’entreprise, donc non concernés directement par les conséquences des conseils qu’ils prodigueront. Par conséquent, en tant que conseiller premier de la société, l’expert-comptable doit faire un travail de sélection des « advisors » pour éviter tout opportuniste qui souhaiterait récolter des tokens pour peu chers en échange de conseil creux, voire dangereux pour la société.
Deuxièmement, l’expert-comptable doit accompagner la société dans ces démarches administratives, faire la liaison avec les notaires, avec les avocats de la société, etc.
Finalement, l’expert-comptable doit paver la route de la société dans un environnement encore vierge de toute régulation afin qu’elle s’en sorte le mieux possible.
L’expert-comptable est régulièrement amené à discuter avec ses clients de leurs projets, leur stratégie et donc à les conseiller dans le choix de la technologie à adopter. Il n’est pas nécessaire d’avoir une Blockchain pour tous les applicatifs. L’usage de la technologie peut alourdir le processus, là où elle n’est pas nécessaire.
Les rôles et missions de l’expert-comptable pour la société investisseuse dans une ICO
Si les ICO ont le vent en poupe auprès des nouvelles start-ups, le manque de régulation concernant cette méthode de levée de fonds a permis l’apparition d’arnaques d’amplitude considérable. Particulièrement, les « exits scams » (fait de mener une ICO à terme et disparaître avec l’ensemble des fonds levés) sont devenus la hantise de tout investisseur.
Actuellement, des sites existent pour comparer les ICO entre elles et déterminer la plus fiable. Seulement, les critères d’évaluation sont souvent techniques (notamment fiabilité du projet de blockchain) et exceptionnellement financiers.
L’expert-comptable dispose des outils et compétences financières pour analyser le projet d’une société émettrice d’une ICO. Dès lors, il doit mettre en œuvre des techniques d’audits d’informations financières et extra-financières du projet de l’émetteur.
À ce titre, l’étude approfondie du « white paper » et des membres actifs de la société émettrice sont des impératifs. Entre autres, il est important de se renseigner sur les antécédents des membres de l’équipe ou d’évaluer la cohérence du business plan, si tant est qu’il existe.
Conclusion
Comme le principe de crowndfunding en son temps, les ICO bouleversent le cadre conceptuel du financement des entreprises à fort potentiel.
L’expert-comptable est un partenaire à part entière pour le bon déroulement du financement d’un projet via une ICO. À la différence des autres intervenants, il est assujetti à des obligations déontologiques qui garantisse son intégrité et son niveau de formation, ce qui est un gage de sécurité tant pour les investisseurs, que pour les émetteurs.
Par ailleurs, partenaire privilégié de l’entreprise, il assure un rôle de vigie auprès de ses clients. Par la même occasion, les professionnels du chiffre rendront possible l’essor de ce mode de financement extrêmement intéressant pour les jeunes pousses françaises en mal de financement.
Article co-rédigé avec Sanaa Moussaïd.