Bitcoin et Wall Street : quid des réserves fractionnaires en cas de fork ?

Quelle bulle chasserait l’autre ? Une tribune publiée fin août sur Forbes questionne à la fois la stabilité du système financier actuel, mais également la faisabilité d’investissements institutionnels de masse dans le contexte bien spécifique du bitcoin (BTC). Le problème principal pourrait être résumé ainsi : un système de réserves fractionnaires serait-il imaginable et viable dans le contexte de ce nouveau véhicule financier pourtant déflationniste ?

Alerte, spoiler : NON

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Caitlin Long, contributrice à l’origine de l’article publié par Forbes, ne prend pas de gants : un système de réserves fractionnaires, où par un système complexe et progressif de prêts et de rachats entre investisseurs et institutions, de mêmes avoirs financiers se retrouvent à la fois prêtés et possédés par plusieurs “propriétaires” simultanément, serait bien en peine de fonctionner dans le contexte de Bitcoin.

En soi, cette conclusion n’a pas grand chose d’étonnant de prime abord, puisque le fondement-même de Bitcoin (BTC) est justement de prendre le contre-pied total de cette bien vilaine habitude. Mais en définitive, qu’est-ce qui empêcherait Wall Street de simplement créer de telles réserves fractionnaires sur Bitcoin (BTC) ? La combinaison nécessaire de deux éléments qui n’iront jamais bien ensemble, d’après elle : les forks et le processus de réhypothécation.

Ne fuyez pas (encore), nous allons voir de quoi il en retourne, et pourquoi en pratique les réserves fractionnaires seraient sans doute fortement instables dans le contexte cryptomonétaire.

Qui a peur du grand méchant fork ?

Vous avez probablement en tête le mécanisme d’un fork : un logiciel client d’une blockchain souhaite modifier certaines règles de consensus ou certains mécanismes la sous-tendant. Les différentes équipes de développeurs sont irréconciliables, et c’est alors la guerre des blocs : chacun poursuit son chemin de son côté, la blockchain principale se scindant en deux blockchains plus ou moins concurrentes.

Au moment du fork, une « photographie » de l’état de la blockchain initiale est prise, qui permet de créditer aux utilisateurs le même solde de tokens post-fork sur la blockchain nouvellement créée qu’ils possédaient sur la blockchain originelle. Ainsi, dans le cas de Bitcoin (BTC), on obtient lors d’un fork l’équivalence 1 BTC = 1 bitcoin « forké ».

C’est maintenant que les affaires se compliquent pour un système monétaire basé sur des réserves fractionnaires. Dans ce système, tous les avoirs possédés ne sont pas collatéralisés à 100%, c’est-à-dire qu’il y a plus de représentations de titres financiers en circulation que de titres financiers réels. Si la situation, en soi, n’est pas (toujours) problématique, elle pose par contre de nouvelles questions dans le cas d’un fork.

Si Wall Street se prend d’une passion pour Bitcoin (BTC), mais qu’un système de réserves fractionnaires se met en place, nous pourrions observer l’exemple suivant décrit par l’auteur : disons que 5 bitcoins sont achetés ou vendus par un institutionnel, alors qu’il n’en possède réellement que 3, et qu’un fork se produit. 2 bitcoins seraient alors uncovered, c’est-à-dire non couverts par un collatéral.

L’institution devrait alors régler un problème de taille : ses clients pourraient s’attendre à détenir ces 5 bitcoins (BTC), ainsi que les 5 bitcoins post-fork. Or, l’institution n’aurait pas les moyens de créer ces 2 bitcoins post-fork surnuméraires, puisqu’elle ne les détenait pas sur la blockchain originelle.

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Il paraît probable à l’auteur que l’institution en question se trouverait immédiatement au pied du mur : il lui faudrait, par tout moyen, parvenir à mettre la main sur ces deux bitcoins surnuméraires. Pourtant, ce serait plus facile à dire qu’à faire : comment et à quel prix acheter des coins tout juste forkés, sur des marchés secondaires très fortement illiquides, alors même que l’on sait que les exchanges traitent souvent l’ajout des coins issus de forks au cas par cas, et après des délais plus ou moins étendus ? En effet, les clients de cette institution manqueraient probablement de patience, comparativement aux investisseurs non-avertis du dimanche qui sévissent sur les exchanges dérégulés. Ces clients institutionnels réclameraient sans doute leur dû tout de suite.

Une institution se trouvant dans cette situation pourrait-elle se comporter comme les exchanges et traiter chaque fork au cas par cas, en choisissant d’en supporter certains et pas d’autres ? Peut-être, mais cela serait peu probable en pratique. Si un investissement institutionnel devait s’installer à terme, certaines conditions classiques strictes pourraient être attendues, parmi lesquelles le fait de payer les investisseurs dans l’immédiat de ce “crédit” d’un nouveau genre.

L’auteur sous-entend que le FOMO pourrait presque gagner les financiers encore plus rapidement sur ces marchés peu liquides des coins issus de forks que sur le marché initial du bitcoin (BTC), par obligation réglementaire.

Le système financier fait passer Tether (USDT) pour un gentil garçon

L’auteur précise que le système financier actuel de réserves fractionnaires se construit à bas bruit et dans le cadre d’une tendance de fond, et non de façon délibérée et foncièrement volontaire : ce serait par un jeu global et massif, spontané, de prêts de titres financiers, d’accords de rachats de produits financiers dérivés divers et de passage par des services de courtage de produits spéculatifs qu’au final se construirait ce système de réhypothécation.

Soulignant d’un œil critique que la législation américaine n’oblige à comptabiliser ce phénomène qu’une fois l’an, l’auteur explique qu’il paraît difficile d’évaluer dans les faits son ampleur réelle. Difficile donc de savoir dans quelle mesure le système financier actuel serait ou non réellement solvable, si l’on excluait du compte total tous les avoirs financiers “dupliqués”.

A contrario, Bitcoin (BTC) et son système opposé forcerait les institutions à divulguer très explicitement de telles politiques monétaires au moment desdits forks, sous peine de très violentes secousses. En se reposant comme aujourd’hui sur de larges parts d’avoirs uncovered, les institutions joueuses pourraient perdre gros dans le cas de Bitcoin.

La seule solution envisagée par l’auteur est donc de ne jamais permettre l’installation de réserves fractionnaires sur Bitcoin. Jamais de réhypothéque des bitcoins ou encore de prêts de produits financiers agglomérant des bitcoins. Une stricte collatéralisation intégrale de tout produit financier reposant sur Bitcoin serait alors obligatoire : une institution disant détenir du bitcoin (BTC) devrait forcément le détenir intégralement en fonds propres.

Aujourd’hui, certains économistes du FMI estiment qu’en moyenne, un produit financier est dupliqué trois fois : pour un produit financier, trois personnes se partagent dans les faits sa propriété. La question de savoir si un tel système est plutôt facteur d’instabilité financière ou bien au contraire de liquidité pour le marché financier mondial fait ainsi l’objet de controverses.

Pour autant, dans le cas bien précis de Bitcoin (BTC), le doute n’est pas permis : contrairement à la monnaie fiduciaire, il n’y a pas de prêteur de dernier recours pour faire tourner la planche à billets en cas de défaillances d’institutions financières de premier lieu. C’est toute la finalité des 21 millions de bitcoins, et pas un de plus. Un système financier Bitcoin-based devrait donc détenir tous les fonds en propre, en collatéralisation complète, pour parer aux forks multiples qui pourraient survenir.

Un chemin semé d’embûches (supplémentaires)

Restent deux points d’interrogation pour l’auteur de cette tribune : tout d’abord, un système de réserves fractionnaires pourrait bien être tenté, si les acteurs institutionnels pouvaient conserver un pouvoir décisionnel discrétionnaire sur les forks à soutenir ou non. Pour autant, il apparaît difficilement concevable à Mme Long que les investisseurs acceptent d’être privés de leur dû, aussi multiple soit-il, et quelqu’un devrait au final payer à titre de dédommagement, devant l’absence de la prise en charge d’un fork. Ce quelqu’un pourrait bien être l’intermédiaire en charge de la custody (garde des fonds) initiale. Au final, la facture serait probablement salée.

“Sur une échelle de 1 à 10….?”

Plus gênant, qu’adviendra-t-il dans le cas où Bitcoin (BTC) permettrait un jour des transactions totalement confidentielles ? Les institutions financières pourraient alors se retrouver à détenir et échanger un produit financier qui ne pourrait, foncièrement, jamais être accepté réglementairement car non conforme avec les réglementations et les processus KYC (Know Your Costumer) et AML (lutte contre le blanchiment).

Faudrait-il alors que ces institutions « forkent » elles-même Bitcoin (BTC) pour créer leur propre jeton compliant (conforme) ? Mais quelle valeur aurait cette contrefaçon vulgaire, inflationniste et centralisée, comparativement au véritable Bitcoin (BTC) ?

S’il n’est bien évidemment pas possible d’exclure qu’un tel système de réserves fractionnaires voie le jour pour Bitcoin (Mastercard travaillait sur la question aux dernières nouvelles), selon Caitlin Long, le résultat ne pourrait qu’être désastreux.

Lire également : Une roadmap pour Bitcoin : aperçu des développements en cours

Bitcoin BTCLe système financier se trouverait-il contraint de dédommager ses investisseurs à chaque fork ou à les soutenir sans distinction ? L’ouverture de l’investissement Bitcoin (BTC) dans le cadre de Baakt signifie-t-il que les institutions devront bientôt aussi se lancer dans une course folle au Bitcoin Gold ou au Bitcoin Private ? Quelles seraient les conséquences d’une telle politique alors que ces forks courent d’autant plus le risque de subir des attaques 51% ? Et si le plus simple était encore de ne pas appliquer les vieilles recettes à l’espace cryptomonétaire ?

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Sources : IMF ; Forbes || Images from Shutterstock & Giphy

Grégory Mohet-Guittard

Je fais des trucs au JDC depuis 2018. En ce moment, souvent en podcast et la tête dans le nuage.