Tour du monde du FUD
Janvier a été le théâtre de beaucoup de FUD sur le marché. FUD signifie Fear, Uncertainty and Doubt (Peur, Incertitude et Doute). Le FUD se caractérise par une panique sur les marchés provoquée par des rumeurs négatives souvent non justifiées.
Le FUD est particulièrement accentué sur le marché des cryptos par le fait que beaucoup d’investisseurs particuliers ont des mains faibles (weak hands). La règle d’or pour n’importe quel investissement « Acheter bas, Vendre haut ». Plutôt simple non ? Pourtant, la plupart des gens font l’inverse : Acheter pendant une période de hype pour vendre pendant la panique.
Les rumeurs qui reviennent de façon récurrente concernent la mise en place de mesures gouvernementales. Faisons un rapide tour du monde et analysons les différentes approches.
Inde
Le ministre des finances Arun Jaitley passe devant le Parlement indien et fait un discours sur le budget. Voici le passage de son discours qui a provoqué la panique des marchés :
« La technologie des registres distribués ou blockchain permet l’organisation de n’importe quelle chaîne de données ou de transactions sans besoin d’intermédiaires. Le gouvernement ne reconnaît pas la cryptomonnaie comme monnaie ayant cours légal et prendra toutes les mesures pour éliminer l’utilisation de ces crypto-actifs dans le financement d’activités illégitimes ou dans le cadre du système de paiement. Le gouvernement étudiera de manière proactive l’utilisation de la blockchain pour l’introduire dans l’économie numérique. »
En analysant la déclaration, nous remarquons que le but du gouvernement est d’empêcher l’utilisation des cryptomonnaies dans le cadre d’activités illégales. Il dit aussi que le Bitcoin n’a pas de cours légal, ce qui est le cas presque partout dans le monde.
Nulle part n’est mentionné un ban du bitcoin, ni un ban des plateformes d’échanges. Il finit sur une note positive en disant que le gouvernement va étudier l’utilisation de la blockchain. Ceci n’a pas empêché nos amis journalistes à la vision très sélective de crier sur tous les toits que le bitcoin était maintenant illégal en Inde et qu’il serait bien éliminé, provoquant une baisse conséquente sur les marchés.
Enfin, même dans le cas d’un ban futur, il est bon de rappeler que même si l’Inde est résolument un marché d’avenir pour les cryptomonnaies, la taille du marché est relativement petite.
Chine
Le 4 Février, la Chine a (encore) fait paraitre un communiqué annonçant le blocage de tous les sites (locaux et étrangers) ayant un lien avec les échanges de cryptomonnaies et les ICO. Cette annonce reste dans la continuité de la politique de la Banque Centrale Chinoise (PBoC) depuis début 2017. Voici un extrait de l’annonce :
“To prevent and mitigate financial risks, authorities will take regulatory measures against ICOs and virtual currency exchanges inside and outside the country, including the banning of relevant businesses, banning and disposing of domestic and foreign exchange virtual currency websites.”
« Pour prévenir et atténuer les risques financiers, les autorités prendront des mesures réglementaires contre les ICOs et les plateformes d’échange de monnaies virtuelles à l’intérieur et à l’extérieur du pays, incluant l’interdiction des entreprises concernées ainsi que l’interdiction et la suppression des sites web domestiques et étrangers affiliés ».
Cette annonce fait suite à la notice du 4 Septembre 2017 interdisant les ICO en Chine, puis de la fermeture des plateformes au 30 Septembre. Les transactions en RMB représentaient 90% du volume global d’échange avant l’interdiction. Elles sont tombées par la suite à un minimum de 1%, beaucoup d’investisseurs chinois étant partis à Hong Kong ou au Japon.
Corée du Sud
On arrive ici dans la cour des grands. Après les Etats-Unis et le Japon, la Corée du Sud est le troisième marché mondial pour les cryptomonnaies. Malgré sa population relativement faible (50 millions d’habitants), la Corée du Sud compte plus d’une douzaine de plateformes d’échange comme Bithumb, Korbit et Coinone. La demande en crypto y est telle que les prix y sont régulièrement jusqu’à 30% plus élevés que dans les autres pays.
Le 14 Janvier, le ministre de la Justice coréen, Park Sang-Ki, propose d’interdire les plateformes d’échange. Les journalistes de Reuters ont sauté sur l’occasion pour distiller du FUD sur les marchés en rapportant un ban imminent. Nos amis journalistes ont oublié de mentionner une citation, le même jour, du ministère de la stratégie et de la finance sud-coréen rapportée par Joseph Young :
« Nous ne partageons pas les mêmes positions que le Ministère de la Justice sur un potentiel ban des échanges de cryptomonnaies »
Nous devons aussi signaler la remarquable mobilisation des coréens qui ont lancé une pétition appelant au refus du ban des cryptomonnaies qui a réuni très rapidement plus de 200 000 signatures.
Le 31 Janvier, le ministre des finances sud-coréen, Kim Dong-yeon, confirme dans un communiqué que le gouvernement n’a aucune intention de bannir ni de supprimer les cryptomonnaies du pays. De nouvelles règles sont cependant mises en place :
- Les échanges anonymes sont désormais interdits. Les échanges coréens doivent dorénavant identifier leurs membres (KYC) et des mesures pour lutter contre le blanchiment d’argent sont mises en place (AML).
- Ces plateformes d’échanges seront taxées à 24,2%, en accord avec les règles fiscales sud-coréennes pour toute entreprise ayant un revenu annuel supérieur à 20 milliards de Won.
- Les étrangers et les Coréens mineurs ne peuvent désormais plus ouvert de compte sur les échanges coréens.
Nous sommes très loin du ban rapporté par les médias mainstream. La Corée du Sud étant un énorme marché, l’effets de leurs annonces a eu cependant un impact conséquent sur le plan global. Nous avons pu cependant constater que la baisse (-40% en 24h) avait été suivie par un rebond important.
Japon
2nd marché mondial du Bitcoin, le Japon est considéré comme le pays avec l’approche la plus favorable au Bitcoin. Le niveau d’adoption y est élevé et de plus en plus d’entreprises intègrent Bitcoin dans leur système de paiement. En Avril 2017, le gouvernement a déclaré que le bitcoin avait cours légal dans le pays.
Le 26 Janvier à 03 : 00 (heure locale), Coincheck, un des leaders parmi les 32 plateformes du pays, a été la victime d’une attaque qui a causé le vol de 523 millions de NEM, évalués à 534 millions de dollars environ. Le 27 Janvier, Coincheck a annoncé qu’ils allaient rembourser les 260 000 utilisateurs victimes de l’attaque. Nous ne pouvons que saluer ce geste.
Cette attaque a cependant provoqué une réaction de la part des autorités japonaises. Le FSA (Agence des Services Financiers) prévoit d’effectuer des contrôles auprès des différentes plateformes à partir de cette semaine. Ces contrôles ont notamment pour but de forcer les plateformes à adopter des mesures de cybersécurité ainsi que de protection des consommateurs renforcées.
Le ministre des finances japonais, Taro Aso, a aussi annoncé que le FSA effectuera une supervision plus stricte des échanges, tout en précisant « Nous devrons faire attention à maintenir la balance entre promouvoir l’innovation et la protection des utilisateurs de ces plateformes d’échanges ». Pour le moment, 16 plateformes d’échange sont considérées comme ayant une sécurité insuffisante. Le FSA a prévu d’introduire des mesures disciplinaires et la mise en place de pénalités pour les plateformes qui ne mettront pas en place les mesures nécessaires.
États-Unis
Après beaucoup de peur sur le marché lié à l’assignation par la justice américaine de Bitfinex, le 7 février se tenait une audience devant le sénat américain au sujet des cryptomonnaies. Il a été question de régulation concernant la technologie blockchain, les ICO (initial coin offerings), les plateformes d’échange, les dérivés et ETFs, ainsi que l’utilisation des crypto-actifs pour perpétrer des crimes financiers et contourner les sanctions internationales.
Voici un résumé des points abordés par Jay Clayton (Président de la SEC) et J. Christopher Giancarlo (Président de la CFTC) :
- Régulation des plateformes d’échange: Pour le moment, les plateformes d’échanges sont soumises aux règles en vigueur dans l’état où elles sont. Clayton et Giancarlo poussent pour que des règles s’appliquent à un niveau fédéral à l’avenir. Selon eux, cela permettrait aux régulateurs un plus grand contrôle.
- ICO: Selon Clayton, les ICO sont un moyen efficace pour les entrepreneurs de lever des fonds. Elles doivent être cependant considérées comme des titres financiers et doivent être régulées en tant que tel. La SEC mènera des actions contre tous ceux qui opèreront des ICOs qui ne respectent pas le cadre légal.
- ETF: Les tentatives pour lister des ETF pour Bitcoin ont pour le moment toujours été refusées. Clayton explique que les ETFs ciblent principalement les investisseurs particuliers et sont essentiellement des marchés à sens unique. Pour cette raison, les règles qui les régissent doivent être plus strictes que celles s’appliquant aux contrats à terme (supervisées par la CFTC). Il précise que la mise en place d’ETFs pourrait être envisagée dans le futur, à partir du moment où ces règles sont respectées.
Clayton et Giancarlo ont rappelé les risques des cryptomonnaies. Selon Clayton, le risque systémique lié au crypto qui pourrait se propager au reste de l’économie n’est pas à exclure mais qu’il était relativement faible vu la taille relativement petite du marché. Giancarlo a annoncé que les marchés n’étaient pas seulement en évolution permanente, mais qu’il fallait prendre en compte le facteur générationnel : l’intérêt de la jeunesse américaine pour les cryptomonnaies est fort. Des mesures doivent être prises par le gouvernement pour protéger la nouvelle génération d’investisseurs des fraudeurs, mais ces mesures ne doivent pas décourager l’intérêt des jeunes.
Cette intervention au Sénat américain a été globalement très bien accueillie par le marché, Bitcoin étant passé de 6 000$ à 7 650$ après l’intervention.
Europe
Après avoir fait des déclarations sur la nature non régulée du Bitcoin et des cryptomonnaies ainsi que des risques très élevés qu’ils représentent, le président de la BCE, Mario Draghi, a déclaré publiquement cette semaine que la BCE pourrait prendre des positions en Bitcoin. Selon lui, contrairement à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, les institutions financières européennes n’ont pas encore démontré un grand intérêt pour les cryptomonnaies comme Bitcoin malgré un intérêt grandissant parmi le public. Il a cependant admis que la tendance pourrait rapidement changer avec l’entrée des cryptomonnaies dans la finance mainstream :
“Recent developments, such as the listing of Bitcoin futures contracts by US exchanges, could lead European banks too to hold positions in Bitcoin, and therefore we will certainly look at that.”
“Les développements récents, comme la cotation des contrats à terme Bitcoin par les bourses américaines, pourraient aussi conduire les banques européennes à détenir des positions en Bitcoin, et nous allons donc certainement nous y intéresser. »
La BCE a sous-entendu la mise en place à venir d’un « Mécanisme Unique de Supervision » pour les actifs digitaux. Ces mesures viennent à contre-courant des déclarations précédentes provenant de la BCE. Draghi ayant notamment déclaré par le passé que la BCE n’avait pas l’autorité de réguler Bitcoin.
La liste des pays évoqués aujourd’hui n’est pas complète. D’autres pays comme Singapour ou le Lichtenstein ont aussi récemment annoncé des mesures favorables aux cryptomonnaies. Ce qu’il faut retenir est tout d’abord de prendre les annonces dans les médias avec des pincettes : le rôle des journalistes aujourd’hui n’est plus de rapporter les faits et faire une analyse intelligente. L’actualité est aujourd’hui devenue une forme de divertissement et ces journalistes (souvent très proche du pouvoir traditionnel) cherchent le sensationnel d’où l’interprétation douteuse qu’ils font des divers communiqués gouvernementaux. Après la révolution industrielle, puis la révolution internet, nous avons la chance de pouvoir assister à la révolution blockchain. Cette révolution bouscule l’ordre en place, un énorme transfert de richesse et de pouvoir a lieu. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui résistent comme ils peuvent.
Nous pouvons noter un changement dans l’approche des gouvernements. Après avoir ignoré, puis cherché à la discréditer, aujourd’hui la tendance est à la régulation de la technologie. C’est une très bonne nouvelle pour le long terme : la blockchain et les cryptomonnaies sont là pour rester, et les gouvernements ont commencé à les prendre au sérieux. Nos dirigeants ont pris conscience qu’ils le veuillent ou non, le mouvement est déjà en marche et il vaut mieux aller dans le sens du vent qu’essayer de lutter contre. La mise en place de cadres législatifs constitue une gêne sur le court terme : nous le voyons avec les gros mouvements de marché à chaque annonce. Sur le long terme, il semble que ce soit une condition obligatoire pour permettre à la blockchain de se développer à plus grande échelle. Le fait que tous les voisins de la Chine ainsi que les Etats-Unis se soient positionnés de façon favorable aux cryptomonnaies va pousser le gouvernement chinois à changer sa position. Changement qui arrivera sûrement dans les mois à venir, et à ce moment-là pour citer Alain Peyreffite : « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ».
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