Fiscalité des cryptomonnaies : analyse de l’arrêt du Conseil d’État

La décision était attendue avec impatience, le verdict est tombé : la doctrine administrative sur la fiscalité applicable aux cryptoactifs est illicite, du moins pour partie. L’allègement fiscal lié au nouveau régime applicable ne lève cependant pas totalement les incertitudes des contribuables.

Par un arrêt du 26 avril 2018, le Conseil d’État a jugé que les produits tirés par les particuliers de la cession de « bitcoins » relèvent en principe de la catégorie des plus-values sur biens meubles, mais que certaines circonstances propres à l’opération de cession peuvent impliquer qu’ils relèvent de dispositions relatives à d’autres catégories d’imposition.

Une petite précision avant d’aborder le vif du sujet : les juges ont considéré que les bitcoins ont le caractère de biens meubles incorporels, mais rien n’est dit sur « la vente d’unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique » au sens large, visée par la doctrine et dont le bitcoin n’était qu’une illustration.

Or, les cryptoactifs au sens large (cryptomonnaies et tokens) peuvent revêtir des caractéristiques juridiques très différentes. On songe notamment à la distinction couramment admise en pratique (mais dont les contours sont flous) entre les utility tokens et les securities tokens.

La prudence reste donc de mise sur le régime fiscal applicable aux ventes de token.
Concentrons-nous maintenant sur les nouveautés de la décision.

Fiscalité cryptomonnaies

I/ Des allègements fiscaux et des précisions notables

A/ Une fiscalité avantageuse des cessions occasionnelles de bitcoins

La doctrine administrative précisait que les cessions occasionnelles de bitcoins étaient imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, et par conséquent soumise au barème progressif de l’impôt sur le revenu, dont le taux marginal est fixé à 45%, auquel il convenait d’ajouter les prélèvements sociaux au taux de 17,2%, ainsi que la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (jusqu’à 4%), soit un taux marginal de 66,2%.

Loin de constituer un taux effectif, cette imposition marginale était néanmoins perçue comme injuste et confiscatoire par de nombreux contribuables.

L’arrêt du Conseil d’État offre un cadeau de près de 30 points de pourcentage, passant à un taux fixe d’impôt sur le revenu de 19%, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux au taux de 15,5% si la cession a été réalisée en 2017 et au taux de 17,2% à partir de 2018. La Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus reste de mise, avec un taux maximum de 4%.

L’imposition atteint donc, dans le cas des plus-values les plus importantes, un taux de 38,5% (cessions 2017) ou de 40,2% (cessions 2018).

En revanche, avec ce régime de plus-values sur biens meubles, il n’y plus question de progressivité de l’impôt, le taux minimum sera de 34,5% (cessions 2017) ou de 36,2%.

Les contribuables ayant réalisé des opérations modestes peuvent néanmoins se rassurer, tous leurs gains ne seront pas nécessairement amputés de plus d’un tiers, pour deux raisons.

Tout d’abord, le nouveau régime prévoit que les plus-values réalisées au titre des cessions dont le montant est inférieur à 5.000 € sont exonérées d’impôt. Par ailleurs, la plus-value est réduite d’un abattement de 5% par année de détention au-delà de la deuxième année. On est encore loin de l’exonération totale, qui implique une détention supérieure à 22 ans, mais les early adopters pourront bénéficier d’un abattement non négligeable (de l’ordre de 10/20% dans beaucoup de cas).

Il faut ensuite souligner que la progressivité de l’impôt reste toujours possible tant que la doctrine administrative n’a pas fait l’objet d’une modification de la part de l’administration.

En effet, les contribuables sont parfaitement fondés à se prévaloir de la doctrine tant que celle-ci n’est pas révoquée. Les gains réalisés en 2017 peuvent donc être soumis au régime des plus-values sur biens meubles ou au régime des BNC, au choix des contribuables.

Le choix pour le régime de plus-value offre néanmoins plus de simplicité, avec la souscription d’une déclaration n° 2048-M dans le mois suivant la cession (accompagnée du paiement de l’impôt) et le report du montant de la plus-value sur la déclaration n° 2042 souscrite l’année suivante (pour le calcul de la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus).

Le gros point négatif est l’impossibilité d’utiliser les moins-values : celle-ci ne seront pas prises en compte pour diminuer d’éventuelles plus-values de même nature réalisées la même année.

Il reste néanmoins à savoir quelle sera la position de l’administration au regard des retards déclaratifs inévitables des cessions réalisées en 2017 et au début de l’année 2018. Espérons qu’une certaine bienveillance sera de mise, afin d’éviter la pénalité de 10% pour déclaration tardive, ainsi que les intérêts de retard (0,4%/mois en 2017 ; 0,2%/mois en 2018)

Fiscalité cryptomonnaies

B/ Des précisions sur le régime fiscal applicable

Le Conseil d’État précise en premier lieu que les bitcoins sont des biens meubles incorporels. Cette position est susceptible d’ouvrir le bénéfice du micro-BIC aux contribuables ayant réalisé un chiffre d’affaires inférieur à 170.000 €, et avec à la clé un abattement de 71%.

Les juges ont ensuite énoncé que les opérations de cession de bitcoins, en cas de circonstances particulières, sont susceptibles d’entrer dans le champ de dispositions relatives à d’autres catégories de revenus, les BNC et les BIC.

C’est notamment le cas des mineurs revendant leurs bitcoins acquis dans le cadre de la création ou du fonctionnement du système d’unités de comptes virtuelles.

Pour ces contribuables, exit l’imposition aux BIC prévue par la doctrine, ce sera l’imposition aux BNC, potentiellement dès la première opération de revente des cryptoactifs minés.

La juridiction administrative prévoit également l’imposition aux BIC des contribuables ayant généré des gains suite à des cessions à titre habituel de bitcoins acquis en vue de leur revente, y compris lorsque cette cession prend la forme d’un échange contre un autre bien meuble.

Pas de changement sur ce dernier point, la doctrine administrative demeure.

En revanche, le Conseil d’État lève le doute sur une questions qui déchire la communauté crypto depuis de long mois : les échanges entre cryptos sont bel et bien imposables, dans la mesure où il s’agit alors de l’échange d’un bien meuble incorporel contre un autre bien meuble incorporel !

Il convient d’ailleurs de préciser que les échanges ne seront vraisemblablement pas seulement imposables uniquement au titre des BIC, mais au titre de tous les régimes fiscaux pouvant s’appliquer.

En effet, en matière de BNC, la doctrine et la jurisprudence ont eu maintes fois l’occasion de se prononcer sur la notion d’encaissement, qui constitue le « revenu disponible » de cette catégorie d’imposition.

Ainsi, toute remise de biens ou valeurs, et donc de biens meubles, est constitutif d’un encaissement.

Concernant le régime des plus-values sur biens meubles, les faits générateurs d’imposition sont identiques à ceux concernant les plus-values immobilières. Or, en matière immobilière, il est prévu que l’échange constitue un fait générateur de l’impôt.

Il convient donc de souscrire ses déclarations avec la plus grande prudence : il est parfaitement compréhensible que les contribuables ne veuillent pas payer de l’impôt sur une transaction pour laquelle aucun euro n’a été perçu, mais la législation ne penche pas en leur faveur.

Fiscalité cryptomonnaies

II/ Des incertitudes en suspens et une simplification en attente

A/ Aucune précision sur la notion d’habitude

Cette absence de précision n’est pas une surprise, dans la mesure où le recours pour excès de pouvoir contre la doctrine administrative ne visait pas cette question.

Il aurait ainsi été très étonnant que les juges tranchent cette question et prennent l’initiative de préciser, en dehors d’une demande en ce sens.

Cette question est pourtant d’une importance capitale, d’une part en raison de la différence significative des taux d’imposition (jusqu’à 30 points de pourcentage !), mais aussi en raison des incertitudes relatives au caractère habituel des opérations en fonction des biens cédés.

En effet, il existe un risque non négligeable, dans une position extrême, qu’un contribuable soit considéré comme se livrant à des opérations habituelles dès lors qu’il réalise plus d’une opération d’achat/revente dans l’année.

Bien entendu, ce point est largement contestable, dans la mesure où le Conseil d’État précise que doivent être soumises au régime des plus-values sur biens meubles (et donc être considérées comme occasionnelles) les opérations de placement.

Des opérations régulières pourraient ainsi être considérées comme occasionnelles s’il est possible de démontrer qu’elles relèvent d’un simple arbitrage concernant la répartition des actifs d’un portefeuille de cryptoactifs, et non d’un « achat en vue de la revente », surtout que la seule détention de certains cryptoactifs peut avoir d’autres objectifs que la réalisation d’une plus-value, par exemple permettre le mining dans le cadre d’un Proof-of-Stake.

Néanmoins, il existe plusieurs domaines, notamment sur les ventes d’œuvres d’art ou sur les ventes immobilières, où le caractère habituel est qualifié après un nombre très restreint d’opérations.

A l’inverse, il pourrait être tentant de considérer que le caractère habituel des opérations ne peut être qualifié qu’à partir d’un nombre très conséquent d’opérations.

C’était notamment la position adoptée par le Conseil d’État concernant les opérations sur des valeurs mobilières, telles que des actions et des obligations, pour lesquelles le caractère habituel n’était qualifié qu’après plusieurs centaines, voire de milliers d’opérations.

Fiscalité cryptos

B/ Un régime fiscal loin d’être simplifié

Avec cette décision, il existe maintenant 3 régimes fiscaux potentiellement applicables au titre des gains réalisés grâce aux cryptoactifs : plus-value sur biens meubles, BNC et BIC.

Nous vous laissons imaginer la situation, pas si rare en pratique, d’une personne ayant investi dans des bitcoins en 2012 ou en 2013.

En 2018, après des années de hold, ce contribuable décide de vendre ses bitcoins afin d’encaisser sa plus-value et de se lancer dans une participation active à l’environnement crypto : le mining et le trading.

Avec ses gains, il achète donc une belle quantité de matériel de mining et se met à amasser une grande quantité de cryptoactifs.

Dans un souci de diversification de portefeuille, les cryptoactifs minés sont échangés contre d’autres cryptoactifs via ds exchanges. Bien entendu, ces cryptoactifs nouvellement acquis font eux aussi l’objet de trade, mais sans aucune conversion en fiat.

Notre contribuable se retrouve donc à devoir payer un impôt de plus d’un tiers de sa plus-value au titre de sa première opération. Rien de choquant jusque-là.

Dans le cadre de la revente des cryptoactifs générés par le mining, les reventes seront bien imposables, mais aucun bénéfice ne sera constaté en pratique, le produit des ventes étant neutralisés par les charges afférentes aux cryptoactifs acquis (sauf en cas d’option pour le régime micro). En revanche, les formalités administratives sont toujours là.

Enfin, dans le cadre de l’activité de trading des cryptoactifs, sans conversion fiat, l’imposition sera effective, tout comme les formalités administratives.

Il sera donc possible de cumuler 3 régimes d’imposition différents sur un laps de temps relativement court, certains permettant l’imposition effective d’un gain au titre des opérations entre cryptos, d’autres non… Bref, la simplicité ne sera pas systématiquement de mise.

Encore faut-il, dans une telle configuration, qu’il n’y ait aucun phénomène d’attraction, en disqualifiant l’application d’un régime au profit d’un autre, le risque majeur étant d’occulter le régime des plus-values sur biens meubles au profit des BIC, même au titre de la première vente, dès lors que toutes les opérations se déroulent sur la même année.

La décision du Conseil d’Etat est certes une avancée encourageante en faveur de l’économie touchant à la blockchain et aux cryptomonnaies, mais le véritable changement ne pourra venir que du législateur.

A défaut d’adoption de la flat tax permettant un taux d’imposition plus bas, il est urgent d’adopter un régime de report d’imposition concernant les gains réalisés à titre occasionnel, ainsi qu’un régime BNC généralisé pour tous les gains habituels, qu’ils soient issus du mining ou du trading.

Ces deux mesures sont, en l’absence de législation spécifiquement adaptée à la nature des cryptoactifs, indispensables pour éviter une imposition effective en l’absence de conversion en monnaie fiat.

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Fiscalité cryptomonnaies

Axel Sabban

Avocat au Barreau de Paris, mon but est de rendre accessible la fiscalité des cryptomonnaies tant aux passionnés de trading qu’aux investisseurs néophytes.