Gouvernance sur Ethereum : mais qui décide des évolutions à venir ?
Depuis son lancement en 2015, le réseau Ethereum a connu de nombreuses mises à jour. The Merge, Shanghai ou Cancun sont les mises à jour les plus récentes qui ont été déployées sur le réseau. Mais en pratique, qui décide de la direction à prendre et des évolutions du protocole ? En effet, à l’ère des DAO et de la gouvernance décentralisée, le protocole Ethereum continue d’opter pour une gouvernance off-chain. Explorons ensemble les dessous de la gouvernance d’Ethereum.
Cette analyse est basée sur l’étude complète de la gouvernance d’Ethereum, réalisée par Christine Kim, la responsable de recherche chez Galaxy.
Ethereum : un réseau en évolution constante
Afin de s’adapter aux changements qui s’opèrent dans l’écosystème crypto, la blockchain Ethereum est régulièrement mise à jour.
La dernière mise à jour de taille, intitulée Cancun-Deneb, a eu lieu le 13 mars dernier. Avant cela, Shanghai ou encore The Merge ont drastiquement modifié le fonctionnement d’Ethereum. Sur Ethereum, ces améliorations sont déployées sur le mainnet via un procédé appelé hard fork.
Mais alors, comment ces mises à jour sont-elles planifiées et qui décide des évolutions à venir ? Pour comprendre le processus de gouvernance d’Ethereum, étudions le cycle de vie d’une amélioration.
Cycle de vie d’une amélioration sur Ethereum
Ethereum Improvement Proposal
Tout commence avec une idée. Ainsi, un développeur ou un utilisateur peut avoir une idée d’évolution pour le réseau Ethereum.
Celui-ci va alors écrire une Ethereum Improvement Proposal, fréquemment abrégée EIP. Il s’agit d’une description de l’évolution imaginée.
« Un EIP est un document de conception fournissant des informations à la communauté Ethereum, ou décrivant une nouvelle fonctionnalité pour Ethereum, ses processus ou son environnement. L’EIP doit fournir une spécification technique concise de la fonctionnalité et une justification de celle-ci. L’auteur de l’EIP est responsable de l’obtention d’un consensus au sein de la communauté et de la documentation des opinions divergentes. »
Concertation communautaire
Une fois l’EIP rédigée, l’utilisateur va la soumettre à la communauté. Pour ce faire, il va publier son EIP sur un forum communautaire, par exemple sur le forum Fellowship of Ethereum Magicians.
Ici, le rédacteur de l’EIP pourra quérir l’avis communautaire afin d’affiner l’idée et d’obtenir les retours de la communauté.
Publication sur GitHub
Désormais, la proposition a passé les discussions préliminaires et il est temps de soumettre l’EIP sur le dépôt GitHub prévu à cet effet.
L’EIP va passer par une nouvelle validation communautaire. En effet, les développeurs et autres observateurs vont pouvoir examiner la proposition et vérifier sa conformité technique.
En effet, il est important de mesurer l’ensemble des risques et conséquence des évolutions proposées.
Les débats autour de la proposition vont se dérouler sur divers supports, tels que des forums spécialisés, Discord ou encore sur les réseaux sociaux.
Cela permettra une nouvelle fois à l’auteur de rectifier son EIP et de la faire évoluer en fonction des points qui auront été soulevés par la communauté.
Présentation aux équipes des clients Ethereum
Dans les faits, le réseau Ethereum fonctionne grâce à un logiciel que l’on appelle Client. Ce logiciel permet aux utilisateurs d’interagir avec la blockchain. Les clients sont responsables de tâches cruciales telles que :
- La validation des transactions et des blocs ;
- Propagation des informations ;
- Exécution des smart contracts ;
- Participation au consensus.
À noter qu’Ethereum a la particularité d’être une blockchain dite multi-client, à savoir qu’il existe plusieurs logiciels différents et de ce fait, plusieurs équipes de développeurs. À ce jour, il y a 5 clients pour l’execution layer et 5 pour le consensus layer. Nous retrouvons par exemple Geth, Nethermind, Prysm ou encore LightHouse pour ne citer qu’eux.
Ainsi, pour qu’une EIP soit déployée sur Ethereum, celle-ci doit désormais avoir l’aval des équipes des différents clients. Cela se fait habituellement lors des réunions All Core Developers. Les développeurs vont alors discuter des aspects techniques de l’EIP et de sa faisabilité.
Consensus final
Si l’EIP reçoit suffisamment de soutien de la part de la communauté, elle sera marquée comme « Last Call » par les développeurs. Cela signifie que l’EIP fera l’objet d’une dernière ronde de commentaires.
Les développeurs des différents clients, aidés par la communauté, pourront alors s’assurer que l’EIP est conforme et que toutes les préoccupations relevées lors des étapes précédentes ont été résolues.
Test et implémentation
À ce stade, l’EIP est encore à l’état d’idée. Ainsi, les équipes des différents clients vont devoir implémenter l’EIP dans le code de leur logiciel. L’EIP sera par la suite intensivement testée via divers devnets et testnets.
L’objectif de cette étape est de s’assurer de sa stabilité ainsi que de son efficacité. De surcroît, les développeurs doivent s’assurer que l’EIP ne modifie pas le comportement d’autres fonctionnalités déjà existantes.
Planification et déploiement
Une fois l’EIP intensivement testée, celle-ci sera prête à être déployé. Toutefois, il faudra pour cela qu’elle soit sélectionnée pour le prochain hard fork.
En effet, des EIP prêtes à être déployées peuvent attendre plusieurs hard forks avant leur arrivée sur le mainnet. Cela est notamment dû à la priorisation des EIP en fonction des objectifs définis pour le prochain hard fork.
Et voilà, notre EIP a finalement été déployée sur le mainnet d’Ethereum !
Vous l’aurez compris, la gouvernance d’Ethereum est tentaculaire. Elle implique la participation de nombreuses entités différentes, que ce soit de simples utilisateurs ou des développeurs. Comme l’explique Christine Kim dans son analyse :
« La gouvernance d’Ethereum est un labyrinthe complexe de personnes, d’organisations, de forums et de processus. Comme la communauté, le processus de prise de décision est amorphe et difficile à définir, car il est principalement façonné par des normes sociales et des récits, plus que par des règles formelles ou des mécanismes de vote contraignants sur la chaîne. »
Les décideurs d’Ethereum : qui sont-ils ?
Dans nos explications, nous avons abordé le cas des développeurs des clients Ethereum. Toutefois, ils sont loin d’être les seules entités impliquées dans la gouvernance du protocole.
En effet, les décideurs du réseau ne sont autres que la Communauté, avec un “C” majuscule, comme le précise Christine Kim :
« La communauté est définie comme le groupe amorphe d’individus et d’entités qui utilisent, construisent ou développent Ethereum. »
Dans cette Communauté, nous retrouvons :
- Fondation Ethereum : une organisation à but non lucratif créée pour financer le développement d’Ethereum, bien que celle-ci ait “évolué et changé de forme avec la croissance de l’écosystème Ethereum”.
- Développeurs des clients : il s’agit des développeurs et des entreprises impliquées dans le développement des clients Ethereum.
- Validateurs : à savoir les entités qui opèrent des nœuds de validation sur Ethereum.
- Développeurs de Dapps : les développeurs des applications décentralisées évoluant sur Ethereum. Avec l’essor de la DeFi, leur voix n’a cessé de s’amplifier.
- Utilisateurs : des personnes comme vous et moi, qui utilisent le réseau et qui apportent leur avis via les divers forums et canaux de discussions communautaires.
Gouvernance on-chain / off-chain : le grand débat
Les dernières années, en parallèle de l’essor de la DeFi, nous avons vu se multiplier les DAO et la notion de gouvernance décentralisée.
Ainsi, de nombreux protocoles ont décidé de mettre la gouvernance de leur projet entre les mains des utilisateurs qui détiennent le jeton propre au protocole. Par exemple, seuls les détenteurs du jeton UNI peuvent participer à la gouvernance du protocole Uniswap.
Via cette méthode, les protocoles optent pour une gouvernance dite on-chain, où les votes sont réalisés sur la blockchain par les détenteurs du jeton.
De son côté, Ethereum a depuis toujours souhaité conserver une gouvernance off-chain. Une position tenue par Vitalik Buterin depuis plusieurs années. Dès 2018, sa vision de la gouvernance off-chain s’opposait à celle de Dan Larimer, le fondateur d’EOS, qui lui militait pour une gouvernance on-chain.
Une méthode qui aura probablement permis à Ethereum de continuer d’innover et de devenir la deuxième blockchain en termes de marketcap.
Tout le monde a sa place
De surcroît, cette méthode permet de donner la voix à tous les utilisateurs sans distinction sur le nombre d’ETH qu’ils détiennent.
« Bien que les intérêts des développeurs du protocole Ethereum et de la communauté au sens large soient les plus influents dans le processus de gouvernance aujourd’hui, il y a des pressions croissantes de la part des régulateurs et des forces de l’ordre qui peuvent également influencer et devenir une voix surdimensionnée influençant la conception d’Ethereum. Pour éviter que le protocole Ethereum ne soit capturé par les régulateurs, il est impératif que certains aspects du fonctionnement d’Ethereum ne soient pas figés et ne puissent être modifiés par aucun groupe ou entité de parties prenantes. »
Ainsi, au fil des années, la gouvernance d’Ethereum a su allier transparence, avec un processus décisionnel public, ouverture, avec l’arrivée fréquente de nouveaux acteurs et protectionnisme, en ayant des garde-fous afin d’éviter une récupération étatique.
Les EIP qui ont été sélectionnées pour le prochain hard fork, à savoir Prague Electra sont toutes passées par les différentes étapes que nous venons de décrire. Ainsi, les EIP qui composent ce hard fork devraient être déployées sur le mainnet d’Ethereum au début de l’année 2025.