Les RPOW d’Hal Finney : un dernier essai avant Bitcoin

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Comme on a pu le voir dans l’article d’introduction de cette série consacrée à la préhistoire des cryptomonnaies, Bitcoin n’est pas sorti de nulle part et a émergé d’un contexte général mêlant technique, idéologie et expérimentations. Nous avons ainsi pu constater que les différentes tentatives de monnaie numérique, que ce soit avec eCash, e-gold ou Liberty Reserve, s’étaient soldées sur un échec à cause de leur infrastructure centralisée. De plus, si les systèmes s’émancipant d’une autorité centrale tels que b-money et bit gold ont été conceptualisés, ils n’ont jamais été mis en application. Cependant, un troisième modèle a lui été mis en œuvre sur Internet en 2004 : il s’agit du système RPOW, conçu par Hal Finney. C’est en cela qu’il constitue la version la plus aboutie d’argent électronique décentralisé avant Bitcoin.

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Contrairement à ce qu’on peut parfois imaginer, le concept de preuve de travail utilisé pour donner de la rareté à un jeton numérique n’est pas nouveau. En effet, dès 1998, l’algorithme Hashcash se retrouvait dans l’idée de b-money de Wei Dai afin de maintenir la valeur du jeton autour de celle d’un panier de marchandises, et Nick Szabo imaginait une méthode similaire pour donner une rareté infalsifiable à son bit gold, une monnaie de réserve numérique.

À côté de cela, on a également vu le concept apparaître dans des projets académiques. En 1996, Ronald Rivest et Adi Shamir (le R et le S du chiffrement RSA) imaginaient MicroMint, un système de micropaiement centralisé dont les coins devaient être impossibles à contrefaire. En 2003, le système Karma était décrit par Emin Gün Sirer et deux de ses étudiants : il s’agissait d’un modèle de devise permettant d’empêcher le parasitisme dans les protocoles de partage de fichiers tels que BitTorrent. Dans ce modèle, les utilisateurs devaient en principe disposer d’unités de karma pour télécharger, unités qu’ils obtenaient soit en partageant du contenu, soit en les fabriquant avec le processeur de leur ordinateur.

Cependant, toutes ces idées sont restées à l’état théorique et n’ont jamais été mises en application de manière publique sur le réseau Internet. Il a fallu attendre 2004 pour voir un modèle être implémenté de manière correcte : le système des preuves de travail réutilisables, aussi appelé système RPOW, inventé par Hal Finney. Voyons donc qui est cet homme avant de nous intéresser au système qu’il a conçu et l’impact potentiel qu’il a eu sur Bitcoin.

Hal Finney, l’informaticien optimiste

Harold Thomas Finney II, dit “Hal Finney”, était un informaticien et cryptographe américain, connu pour avoir participé au mouvement cypherpunk et pour avoir travaillé sur le logiciel de chiffrement PGP dans les années 1990, ainsi que pour avoir été le premier destinataire d’une transaction en bitcoins. De même que Wei Dai et Nick Szabo, il est l’une des personnes les plus suspectées d’être Satoshi Nakamoto en raison de ses capacités uniques et de son expérience dans le domaine des monnaies numériques.

Hal Finney 2007

Hal Finney naît le 4 mai 1956 à Coalinga, une petite ville de Californie située à mi-chemin entre Los Angeles et San Francisco. Son père est ingénieur pétrolier pour l’Union Oil Company of California, ce qui fait que sa famille doit déménager à plusieurs reprises peu après sa naissance.

Après six ans en Lousiane et deux ans au Texas, la famille revient en Californie pour s’installer à Temple City dans la banlieue de Los Angeles, où Hal finira de grandir. Coïncidence : il s’agit également de la ville où habite Dorian Prentice Satoshi Nakamoto, un américain d’origine japonaise que Newsweek présentera (à tort) comme le créateur de Bitcoin en 2014.

Hal Finney va au lycée à Arcadia, où il apprend notamment à programmer en FORTRAN à l’aide de cartes perforées. D’après Andy Greenberg qui a interrogé ses anciens camarades, Hal Finney fait preuve d’une intelligence exceptionnelle, d’une indépendance d’esprit remarquable, et se déplace dans les couloirs du lycée avec une copie du roman La Grève (Atlas Shrugged) de Ayn Rand sous le bras.

En 1974, il intègre le prestigieux Institut de technologie de Californie (abrégé communément en Caltech) à Pasadena, où il suit des études de sciences de l’ingénieur. Il y rencontre sa future femme, Fran Wetter, qui est déjà en troisième année de biologie. Leur romance commence en 1976 après que Fran ait obtenu son diplôme. Bien qu’il soit très sportif, Hal Finney déteste l’obligation de suivre des cours d’éducation physique et les sèche régulièrement, ce qui lui vaut de redoubler sa quatrième et dernière année d’études.

Néanmoins, il profite de cette année pour débuter sa vie professionnelle. En effet, dès 1978, Hal se met à travailler pour APh Technological Consulting, une petite firme qui se charge de conceptualiser et de maintenir le système d’exploitation de la console de jeux vidéos Intellivision pour Mattel, et qui conçoit également certains jeux pour cette console et pour l’Atari. Hal travaillera ainsi sur différents jeux comme Adventures of Tron.

Hal Finney Fran Wetter 1978 APh
Hal Finney et Fran en 1978, dans les locaux d’APh.

Hal et Fran se marient en 1979, après l’obtention du diplôme de Hal. Ils fondent une famille : leur fils Jason naît en 1983, et leur fille, Erin, en 1985. Après APh, Hal Finney travaille pour Ametek pendant quelques années. Puis en 1991, la famille déménage à Santa Barbara, sur la côte à l’ouest de Los Angeles, où Hal se fait embaucher par Greenhill Software.

C’est aussi à la même époque qu’émerge Internet, avec Prodigy et surtout le web, que les Finney adoptent dès le début. Cet accès facilité à Internet permet à Hal Finney de rentrer en communication avec ceux qui pensent comme lui, et qui possèdent la même indépendance d’esprit. Il devient ainsi un cypherpunk dès le lancement du mouvement et participe énormément sur les listes de diffusion. Le 15 novembre 1992, il écrit à propos de la cryptographie (notamment celle développée par David Chaum) :

“Nous voici confrontés aux problèmes de la perte de confidentialité, de l’informatique trompeuse, des bases de données massives, de l’augmentation de la centralisation – et Chaum propose une direction à suivre complètement différente, une direction qui met le pouvoir entre les mains des individus plutôt que celles des gouvernements et des entreprises. L’ordinateur peut être utilisé comme un outil pour libérer et protéger les personnes, plutôt que pour les contrôler.”

À la même époque, il rentre en contact avec Philip Zimmermann, le créateur du logiciel de chiffrement PGP (Pretty Good Privacy). Enthousiasmé par le projet, Hal Finney commence à l’aider et travaille sur la version 2 du programme, qui est publiée dans le monde entier en septembre 1992. En février 1993, le gouvernement fédéral américain ouvre une enquête contre PGP, car le logiciel viole la loi sur l’exportation des produits cryptographiques, considérés alors comme des munitions. Cette affaire montrera à Hal Finney de quels moyens de pression dispose un État quand il n’aime pas ce que font ses citoyens. À l’abandon des charges en 1996, Hal Finney sera l’un des premiers employés à rejoindre PGP Inc., l’entreprise nouvellement formée pour assurer le développement du logiciel, où il travaillera jusqu’à sa retraite en 2011.

À côté de PGP, Hal Finney s’intéresse à de multiples autre choses. Il lance le premier service de repostage de courrier électronique (remailer) anonyme au début des années 1990. Puis il participe aux expériences de monnaies numériques de l’époque comme eCash, le Hawthore Exchange ou Magic Money.

Enfin, en tant qu’éternel optimiste, c’est tout naturellement qu’il se joint également aux extropiens, ces transhumanistes optimistes voulant améliorer radicalement la condition humaine à l’aide de la technologie, dont font également partie Timothy May, Wei Dai ou Nick Szabo.

RPOW : les preuves de travail réutilisables

Inspiré par toutes les idées qui gravitent autour de la preuve de travail (notamment b-money et bit gold), Hal Finney travaille dans les années 2000 sur son propre système de jetons numériques qu’il appelle les preuves de travail réutilisables, ou Reusable proofs of work en anglais, abrégées en RPOW.

Hal Finney annonce le système RPOW le 15 août 2004 sur la liste de diffusion des cypherpunks. L’annonce est également transférée sur la liste de diffusion de cryptographie de Metzdowd.com, là où Satoshi Nakamoto annoncera Bitcoin quelques années plus tard. Entre autres, RPOW attire l’attention de Ray Dillinger (bear) et d’Adam Back. Outre son annonce, Finney donne un lien vers le site dédié à cet usage, rpow.net, où il présente les différents aspects du projet en détail et met à disposition le code du programme, publié en source ouverte.

RPOW logo

L’idée générale derrière RPOW est de donner la possibilité à une preuve de travail, qui a une valeur mesurable selon un critère objectif, d’être transférée de personne à personne. Dans la partie intitulée RPOW Theory, Finney écrit :

“Miner et fabriquer des pièces d’or demande un effort et une dépense, ce qui les rend rares de manière inhérente. Les pièces d’or peuvent alors être transmises d’une personne à une autre, et chaque bénéficiaire peut vérifier l’authenticité de la frappe monétaire. De la même manière, la création de jetons de RPOW demande un certain degré d’effort et de dépense. Ils débutent tous avec une collision Hashcash qui, au plus haut degré, prendra des heures voire des jours de calcul pour être créée. Les jetons de RPOW peuvent être validés et vérifiés à la réception en étant échangés contre un nouveau jeton de RPOW sur le serveur RPOW. Cela leur permet d’être transmis d’une personne à une autre tout comme des pièces.”

Comment fonctionne RPOW ?

Le système conçu par Hal Finney repose donc sur deux types de jetons : les jetons de preuve de travail (POW tokens) et les jetons de preuve de travail réutilisable (RPOW tokens).

Les jetons de preuve de travail sont fabriqués à l’aide de l’algorithme Hashcash, par collision partielle de la fonction de hachage SHA-1. Cela consiste à trouver une information, pouvant posséder une taille arbitraire, dont l’empreinte produite par SHA-1 commence par un certain nombre de zéros. Par exemple, l’information 1:28:040727:[email protected]::1c6a5020f5ef5c75:63cca52 (calculée par Hal Finney lui-même) a pour empreinte :

0000000a86d41df172f177f4e7ec3907d4634b58

Trouver ce résultat ne peut se faire sans essayer un grand nombre de possibilités, ce qui impose de dépenser de l’énergie électrique. De cette manière, le nombre de zéros permet d’estimer la quantité de travail fournie.

Ici, l’empreinte commence par 7 zéros (28 zéros en binaire), ce qui fait que Hal Finney a dû essayer environ 268 millions de possibilités (228) avant de la trouver.

Bien qu’il soit possible d’utiliser ces preuves de travail dans des contextes particuliers (la limitation du spam par exemple), elles ne peuvent pas être réutilisées de manière générale, et par conséquent ne peuvent pas servir à définir un jeton échangeable : il s’agit précisément de la limitation que le système RPOW cherche à dépasser.

Les jetons de preuve de travail réutilisable sont gérés par un serveur (unique pour la phase initiale du projet) qui se charge de les signer à l’aide du chiffrement RSA. Ils sont fabriqués à partir d’une preuve de travail (Hashcash) ou bien d’un jeton de RPOW précédent. Chaque jeton de RPOW ainsi obtenu se compose d’une valeur (définie comme une puissance de 2) et des données relatives à la signature du serveur. Un utilisateur peut par conséquent vérifier lui-même l’intégrité du jeton.

Pour s’assurer qu’une preuve de travail, simple ou réutilisable, ne serve pas plusieurs fois, le serveur maintient une base de données des preuves de travail utilisées qu’il consulte à chaque opérations. Cela permet d’éviter la double dépense.

RPOW échange
Processus de création d’une RPOW à partir d’une POW ou d’une RPOW. (source)

Pour assurer la divisibilité de l’unité de compte, le système inclut aussi la possibilité de séparer une RPOW en plusieurs RPOW de degré moindre et de combiner plusieurs RPOW pour en obtenir une seule : par exemple, une RPOW de degré 28 peut être échangée contre deux RPOW de degré 27 (228 = 2 × 227), et à l’inverse, deux RPOW de degré 28 peuvent être échangées contre une seule RPOW de degré 29 (2 × 228 = 229). Cela autorise toutes les combinaisons possibles de valeurs, de la plus petite à la plus grande.

Le fonctionnement des RPOW est ainsi similaire aux billets numériques d’eCash :

  • Les jetons de RPOW reposent sur les informations qu’ils contiennent et peuvent être transférés de personne à personne.
  • À chaque transfert, celui qui reçoit un jeton doit interagir avec le serveur pour recevoir un ou plusieurs nouveaux jetons, dont la valeur globale est égale à la valeur en entrée.

En quoi RPOW est-il fiable ?

Ainsi, le système RPOW repose sur l’utilisation d’un serveur central qui s’occupe de détruire et de recréer les preuves de travail à chaque échange, notamment en vérifiant qu’une preuve de travail n’a pas fait l’objet d’une double dépense. Néanmoins, l’objectif d’Hal Finney avec ce projet est de faire en sorte que le système ne puisse pas être contrôlé par un tiers, de minimiser la confiance afin de prévenir la création arbitraire de nouvelles unités, à l’instar du bit gold de Nick Szabo. Comme il l’explique :

“Plus important encore, le système RPOW est conçu dans un but primordial : empêcher quiconque, y compris le propriétaire du serveur RPOW, y compris le développeur du logiciel RPOW, de pouvoir violer les règles du système et de forger des jetons RPOW. […] Mon objectif avec ce projet était de donner vie à une simple concrétisation qui démontre la puissance du concept de bit gold. Cela nécessite une résistance à la falsification, et cet objectif a dominé dans chaque partie de la conception.”

Il est donc légitime de se demander comment il est possible d’arriver à un tel résultat avec un serveur central.

Pour s’assurer que le serveur n’agisse pas à sa guise, le système RPOW implémente un modèle de sécurité relativement novateur dans le domaine : l’utilisation du cryptoprocesseur IBM 4758 Secure Cryptographic Coprocessor, certifié FIPS-140 (Federal Information Processing Standards) de niveau 4. Il s’agit d’un cryptoprocesseur de haute sécurité qui résiste aux falsifications, et qui permet, grâce à un système d’authentification conçu par IBM, de vérifier les programmes qui sont exécutés sur la machine. De cette manière, un utilisateur externe peut s’assurer à tout instant que le serveur RPOW fait tourner le bon code.

IBM 4758 PCI Cryptographic Coprocessor

La communication avec l’IBM 4758 se fait à l’aide d’un bus PCI spécial qui n’est pas pas installé sur toutes les machines. Il est donc nécessaire de faire intervenir un hôte non certifié pour faire la liaison entre le serveur et le client RPOW. Pour que l’hôte certifié ne puisse pas interférer sur les opérations, toutes les communications sont chiffrées, ce qui permet également de préserver la confidentialité de l’utilisateur.

RPOW architecture
Architecture du système RPOW. (source)

L’évolution de RPOW

Dès son annonce le 15 août 2004, le système RPOW est mis en service par Hal Finney : chacun est libre de télécharger le client et de créer des jetons de preuve de travail. D’après la FAQ, le système a une charge maximale de “8 échanges par seconde”. Le système sera mis à jour plusieurs fois pour améliorer son fonctionnement et restera opérationnel pendant des mois.

Afin de promouvoir son invention, Hal Finney présente le projet le 11 février 2005 à la CodeCon 2005 organisée à San Francisco. Dans cette présentation, il décrit comment fonctionne RPOW et quelle utilisation pourrait en être faite. Les usages imaginés par Hal Finney sont :

  • Le transfert de valeur (jetons à cherté vérifiable).
  • Le contrôle du courrier indésirable (spam), comme le proposait déjà Hashcash.
  • Le jeu vidéo : les jetons RPOW pourraient constituer une monnaie pour un monde virtuel, à l’instar du dollar Linden de Second Life (2003).
  • Le jeu d’argent en ligne : poker, etc.
  • Un mécanisme d’anti-parasitisme sur les protocoles de partage de fichiers comme BitTorrent : il s’agit d’un cas d’usage important que Hal Finney ira même jusqu’à implémenter dans une version expérimentale de BitTorrent incluant RPOW, appelée BTRP.

RPOW est un projet d’envergure, et Hal Finney, fidèle à son optimisme, lui envisage un avenir prometteur. Dans une partie intitulée World of RPOW, il décrit ainsi comment le système peut être amélioré et mis à l’échelle, une fois son déploiement initial mature et stable, notamment en multipliant le nombre de serveurs autour du monde.

Cependant, le projet présente des défauts intrinsèques qui font qu’il ne rencontre pas la popularité escomptée. Le premier inconvénient majeur est le fait que les RPOW subissent une perte de valeur continuelle (inflation) à cause de la hausse exponentielle des performances informatiques (loi de Moore) : il devient de plus en plus facile de produire des jetons de preuve de travail, ce qui inonde le marché et dévalorise les preuves de travail précédentes. Les RPOW ne constituent donc pas une réserve de valeur stable.

Le second inconvénient majeur est le modèle de sécurité lui-même. D’abord, le cryptoprocesseur utilisé par le serveur dépend de l’intégrité d’IBM. Ensuite, et surtout, même en imaginant que des serveurs multiples fonctionnent tout autour du monde, ces derniers sont choisis à l’avance pour être intégrés dans le système. De cette manière, le système n’est pas robuste : les serveurs ne peuvent pas être arrêtés subitement sans conséquence sur son fonctionnement.

Ainsi, le système RPOW n’était pas parfait et ne pouvait pas, de toute évidence, devenir une monnaie à part entière. C’est donc très logiquement qu’il n’a pas pris et qu’il a été abandonné après un temps.

Néanmoins, RPOW a eu le mérite de constituer une preuve de concept expérimentale. De plus, il a été l’un des derniers prédécesseurs de Bitcoin, qui est apparu quelques années plus tard et qui a attiré l’attention de Hal Finney lui-même.

Hal Finney et Bitcoin

Tout comme Bitcoin, le système RPOW se basait sur la preuve de travail (Hashcash) pour empêcher la falsification de son unité de compte, et reposait sur un modèle de pièces pour les échanges : les jetons RPOW, à l’image des bitcoins, pouvaient être combinés et séparés pour former des pièces de différentes valeurs. Malgré cette ressemblance, Satoshi Nakamoto n’a jamais reconnu publiquement l’existence du système RPOW, et ne lui a jamais accordé du crédit a posteriori comme il l’a fait pour b-money et bit gold. Ainsi, à moins qu’il ait une bonne raison de le cacher, il est peu probable qu’il s’en soit inspiré.

Toutefois, Satoshi Nakamoto doit beaucoup au concepteur des preuves de travail réutilisables, Hal Finney. En effet, ce dernier a joué un rôle majeur dans le développement initial de Bitcoin, en reportant les différents bugs des premières versions et en faisant la promotion du projet dès les premiers jours.

La rencontre (supposée) de Hal Finney avec Bitcoin survient très tôt, puisque le livre blanc est initialement publié le 31 octobre 2008 sur la Cryptography Mailing List où il est actif. Le 7 novembre, Finney réagit très positivement à l’annonce de ce nouveau projet de monnaie numérique, déclarant que “Bitcoin semble être une idée très prometteuse” et que “l’idée de baser la sécurité sur la supposition que la puissance CPU des participants honnêtes l’emporte sur celle des attaquants” est une “notion très moderne”. Au sujet de la personne de Satoshi, il dira par la suite :

“Je pensais avoir affaire à un jeune homme d’origine japonaise qui était très intelligent et sincère. J’ai eu la chance de connaître beaucoup de personnes brillantes au cours de ma vie, j’en reconnais donc les signes.”

Hal Finney se saisit du logiciel dès sa sortie début 2009 et est probablement la première personne à l’utiliser, à l’exception de Satoshi Nakamoto lui-même. Le 10 janvier, Finney tente de faire fonctionner le logiciel mais celui-ci ne marche pas correctement sur sa machine : il échange donc par courrier électronique avec Satoshi à ce sujet. Finalement, il mine le bloc 78 de la chaîne ce même jour à 17 heures, heure de Californie. Dans la soirée, il s’empresse de partager son expérience en écrivant “Running bitcoin” sur Twitter, ce qui constitue la première occurrence du mot “bitcoin” sur le réseau social.

Le lendemain, le 11 janvier, il participe à la première transaction effective du réseau en recevant 10 bitcoins de Satoshi Nakamoto. Celle-ci est confirmée au sein du bloc 170 à 19 heures 30.

Client Hal Finney
Capture d’écran du client de Hal Finney. (source)

Une fois le programme stabilisé, Hal Finney continue de le faire tourner sur son ordinateur pendant plusieurs mois : il mine comme cela des centaines de blocs et accumule plus de 10 000 bitcoins. Puis il laisse Bitcoin de côté pendant plus d’une année, avant de revenir en novembre 2010.

Il est à noter que, du début à la fin de son aventure avec Bitcoin, Hal Finney est très enthousiaste sur le potentiel de hausse de la valeur du jeton. En janvier 2009, il déclare déjà :

“Comme expérience de pensée amusante, imaginez que Bitcoin réussisse et devienne le système de paiement dominant utilisé dans le monde entier. Alors, la valeur totale de la devise devrait être égale à la valeur totale de toutes les richesses du monde. Les estimations actuelles que j’ai trouvées de la richesse totale des ménages dans le monde varient de 100 à 300 milliards de dollars. Avec 20 millions de pièces, cela donne à chaque pièce une valeur d’environ 10 millions. Ainsi, la possibilité de générer des pièces aujourd’hui avec l’équivalent de quelques centimes de temps de calcul peut être un bon pari.”

Par la suite, Satoshi reprendra cette façon de penser en disant qu’il “pourrait être judicieux d’en avoir au cas où cela prendrait”, que “si suffisamment de gens pensent la même chose, ce deviendra une prophétie auto-réalisatrice” (16 janvier) et que le bitcoin bénéficie d’un potentiel cercle vertueux car “à mesure que les utilisateurs augmentent, la valeur augmente, ce qui pourrait attirer plus d’utilisateurs pour profiter de la valeur croissante” (11 février).

Fin 2010, quand Hal Finney revient s’informer sur le déroulement du projet, et qu’il s’aperçoit que le bitcoin a effectivement acquis un prix et que les premières plateformes d’échanges ont vu le jour, il se rend compte que sa logique est alors applicable. Le 11 janvier 2011, alors que le prix du bitcoin avoisine les 32 centimes de dollar, il écrit dans un sujet sur Bitcointalk consacré à l’atteinte potentielle de la parité avec le dollar :

“Nous avons vraiment de la chance d’avoir investi au début d’un nouveau phénomène potentiellement explosif. Compte tenu des probabilités allant contre la plupart des investissements qui triplent votre argent, le bitcoin semble être un bon endroit pour placer une partie de votre portefeuille.”

Le 9 février, le prix du bitcoin atteint finalement les 1 $, avant de s’envoler jusqu’aux 30 $ en juin.

Ainsi, Hal Finney a apporté quelque chose d’essentiel à Bitcoin : la promotion du projet nécessaire à son amorçage. En étant le premier “moon boy” rêvant d’un prix qui explose, il a contribué à attirer l’avidité des investisseurs désireux de faire un profit facile. Au fur et à mesure des années, la “prophétie auto-réalisatrice” a eu lieu : le prix a décollé, et, ce faisant, a attiré l’attention de personnes de plus en plus nombreuses, les poussant pour certaines à s’intéresser en profondeur à Bitcoin et à en découvrir les caractéristiques. C’était la première fois qu’un projet de monnaie décentralisée prenait.

Mais, s’il a assisté aux bulles de 2011 et de 2013 qui ont fait de lui un millionnaire, Hal Finney n’a jamais vu les sommets de 2017. Il a en effet été diagnostiqué de la maladie de Charcot en août 2009, et en est décédé 4 ans plus tard, le 28 août 2014. En bon transhumaniste optimiste, Hal Finney a été cryonisé et son corps est conservé par la fondation Alcor, une fondation spécialisée dans la prolongation de la vie, près de Phoenix en Arizona.

Hal Finney a donc marqué la préhistoire et l’histoire de Bitcoin d’une manière prépondérante, laissant derrière lui un héritage intellectuel fort, mélangeant indépendance d’esprit, pragmatisme et optimisme. Premièrement, avec ses preuves de travail réutilisables (RPOW), il a été le dernier individu avant Satoshi Nakamoto à tenter de mettre en application un argent électronique décentralisé. Deuxièmement, lorsque Bitcoin est apparu, il a contribué activement au projet et participé grandement à son amorçage grâce à son enthousiasme légendaire. Pour cela, nous pouvons lui en être reconnaissants.

Cet article marque la fin de ma série sur la préhistoire de Bitcoin. Pour l’écrire je me suis aidé de nombreuses sources. La source biographique centrale est le profil de Hal Finney écrit par Nicole Weinstock dans l’édition du deuxième trimestre 2019 de Cryonics, le magazine d’Alcor. L’article d’Andy Greenberg intitulé Nakamoto’s Neighbor: My Hunt For Bitcoin’s Creator Led To A Paralyzed Crypto Genius et publié sur Forbes le 25 mars 2014, a été instructif. Enfin, tous les écrits de Hal Finney ont bien évidemment d’un grand secours, que ce soit ceux qu’on trouve son site web personnel ou sur le site de RPOW (archivé par le Satoshi Nakamoto Institute), ses différentes contributions aux listes de diffusions liées aux cypherpunks, aux extropiens ou à la cryptographie, ou encore son message d’adieu “Bitcoin et moi” publié le 25 mars 2013.

Ludovic Lars

Je suis fasciné par les cryptomonnaies et par l'impact qu'elles pourraient avoir sur nos vies. De formation scientifique, je m'attache à décrire leur fonctionnement technique de la façon la plus fidèle possible.

Commentaires

Une réponse à “Les RPOW d’Hal Finney : un dernier essai avant Bitcoin


Toto
Merci pour cette traduction
Répondre · Il y a 4 ans

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