La France rejoue le fiasco du Minitel avec Bitcoin et les cryptomonnaies, au nom de la lutte antiterroriste

Et un cocorico pour Bruno ! – M. Le Maire a annoncé le 9 décembre un durcissement des obligations de KYC appliquées aux cryptomonnaies en France, dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme. Cela s’accompagnera d’une obligation d’enregistrement pour les exchanges crypto-crypto, anciennement réservée aux exchanges crypto-fiat. Ces mesures prises par ordonnance font débat tant sur la forme que sur le fond.

Durcissement du KYC et obligations d’enregistrement pour les exchanges

L’ordonnance comprend deux mesures, qui seront précisées dans des décrets d’application à venir cette semaine :

  • Tous les exchanges français devront demander une double vérification d’identité dès le premier euro dépensé – contre 1 000 euros antérieurement.
  • Tous les exchanges, même ceux qui ne proposent pas de paires en fiat, devront s’enregistrer auprès d’une autorité administrativecertainement l’AMF.

La double identification prendra la forme d’un virement SEPA accompagné d’une pièce d’identité.

Cette mesure semble être une réaction à l’arrestation de 29 résidents français suspectés d’envoyer des fonds en Syrie via des devises numériques. Ce réseau découvert par Tracfin en janvier 2020 serait lié à des ressortissant français ayant rejoint une milice extrémiste affiliée à Al-Qaïda. Rappelons cependant, comme l’a justement fait remarquer Grégory Raymond, journaliste à Capital, que les obligations déjà existantes et auxquelles se pliaient jusqu’alors les plateformes françaises s’étaient déjà montrées efficaces, puisqu’elles avaient justement permis d’intervenir.

Jusqu’à preuve du contraire, l’ordonnance en question ressemble fort à une mesure purement politique visant à « montrer » que le gouvernement français agit contre le financement du terrorisme.

Un durcissement difficilement justifiable

Dès son annonce, l’ordonnance a suscité de vives réactions de la part de la communauté. De fait, cette législation est discutable, tant sur la forme que sur le fond. L’ordonnance est un type de législation qui peut être adoptée en Conseil des ministres sans passer par le Parlement. Deux types de mesures sont prises par ordonnance :

  • Les mesures urgentes, pour lesquelles le procédé démocratique n’est pas toujours adapté de fait de sa lenteur,
  • Les mesures controversées, donc celles qui susciteraient des débats ou qui seraient refusées par le Parlement.

L’urgence n’étant pas au rendez-vous, il est évident que le gouvernement se doute que cette mesure n’aurait pas été adoptée en l’état – quoi qu’on puisse douter du degré réel d’affinité de la grande majorité des députésquelques exceptions notables près) pour ces problématiques « crypto » de méchants crypto-anarchistes.

Quant aux problèmes de fonds, l’ordonnance en question va nécessairement augmenter les coûts d’acquisition par client pour les exchanges français du fait d’obligations renforcées. Mais, l’obligation d’effectuer un virement SEPAuniquement disponible pour les comptes européens – pourrait aussi priver les crypto-business français de leur clientèle internationale… Conscients de ce risque, et bien décidés à permettre à la fameuse Blockchain Nation de triompher, les services gouvernementaux concernés ont déjà expliqué réfléchir à des alternatives – Ledger serait sur les rangs pour proposer une solution, mais en attendant, seul le dispositif d’identification numérique de La Poste (sic) serait agréé.

La France et les technologies de rupture, c’est tout une histoire à laquelle on commencerait presque à s’habituer.

Thomas G.

Financier et juriste, je suis passionné par les cryptomonnaies depuis leur apparition sur le Deepweb. Fervent supporter du Bitcoin, je suis convaincu que les devises numériques joueront un rôle déterminant dans l'avenir de nos sociétés. Je m'intéresse tout particulièrement aux aspects financiers et législatifs des cryptomonnaies.