Fiscalité des cryptomonnaies : quels comptes devez-vous déclarer ?
Par souci de transparence, les contribuables français doivent, depuis 1989, déclarer leurs comptes financiers étrangers. Cette mesure a été étendue, par la loi de finances pour 2019, aux comptes de crypto-actifs. Ces derniers pouvant néanmoins présenter certaines caractéristiques propres aux comptes « bancaires » classiques, faut-il les déclarer ? Petit tour d’horizon sur cette obligation de déclaration, ses modalités et ses sanctions.
Pour l’année 2018, l’article 1649 A du CGI impose aux personnes physiques, aux associations et aux sociétés n’ayant pas la forme commerciale, lorsqu’elles sont domiciliées ou établies en France, de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes financiers ouverts, utilisés ou clos par elles à l’étranger.
Cette obligation de déclaration suscitant beaucoup la méfiance chez les détenteurs de crypto-actifs, commençons par une petite mise en garde : l’absence de déclaration peut coûter cher, voire très cher si ces comptes ont été l’objet d’opérations non déclarées.
Ce que vous risquez si vous ne déclarez pas
Les pénalités relatives à l’impôt sur le revenu
Trois volets de sanction sont prévus.
- Une amende forfaitaire de 1.500 € par an et par compte non déclaré. Ce montant passe à 10.000 € par an et par compte si le compte se trouve dans un pays n’ayant pas signé de convention d’assistance administrative avec la France. Point positif, la France figure parmi les pays ayant le réseau de conventions fiscales le plus étoffé, il y a donc peu de chances pour que cette amende majorée s’applique. Point négatif en revanche, justement grâce à son réseau, il est fort probable que la France parvienne un jour où l’autre à mettre le grappin sur vos informations concernant les exchanges situés à l’étranger.
- Une majoration de 80% pour tous les rappels d’impôts résultant du défaut de déclaration, c’est-à-dire aux rappels d’impôts relatifs à des opérations non déclarées sur ces comptes.
- L’application d’un délai de prescription de 10 ans (contre 3 ans en temps normal).
Le risque des droits de donation
En cas de non-respect de l’obligation déclarative, l’administration peut, sous certaines conditions, demander aux personnes physiques de lui fournir des indications sur l’origine des fonds.
En l’absence de réponse ou de réponse insuffisante, le contribuable sera taxé d’office aux droits de mutation à titre gratuit au taux de 60%, calculé sur la valeur des fonds d’origine.
En résumé, si vous êtes persuadé que l’administration ne pourra pas avoir accès à vos comptes crypto pendant les 10 prochaines années et que vous avez un goût prononcé pour le risque, alors vous pourriez être tenté par une non-déclaration.
Pour les autres, les détails sont dans la suite de l’article.
Quels comptes faut-il déclarer ?
Les détenteurs de compte visés
L’obligation de déclaration concerne tout d’abord les personnes physiques, les associations et les sociétés n’ayant pas la forme commerciale.
Si les comptes crypto sont détenus par une SARL (ou EURL), une SNC, une SAS (ou SASU), une SA ou une société en commandite, pas besoin de continuer la lecture, il n’y a pas d’obligation de déclaration.
Les dépositaires de crypto-actifs visés
Les comptes à déclarer sont ceux détenus auprès de toute personne de droit public ou privé (donc tout organisme) qui reçoit habituellement en dépôt des valeurs mobilières, titres ou espèces.
L’identité du dépositaire des crypto-actifs étant définie de manière extrêmement large, les cas de déclarations sont très nombreux. Il faudra aussi bien déclarer le compte ouvert auprès d’un exchange que ceux ouverts auprès d’un courtier, d’un gestionnaire de patrimoine, voire même d’un avocat ou d’un notaire, s’il détient des fonds vous appartenant.
Ensuite, et c’est la question primordiale, quels types d’actifs doivent être présents sur les comptes pour que ceux-ci soient à déclarer ?
Les types de comptes à déclarer
Le critère de l’activité de l’organisme
Comme mentionné ci-dessus, le texte vise les comptes détenus auprès de personnes recevant habituellement des titres, valeurs mobilières ou espèces.
L’article se réfère ainsi à l’activité réelle des personnes auprès desquelles est ouvert le compte plutôt qu’aux caractéristiques propres du compte. Par conséquent, il convient de déclarer les comptes “de toute nature”.
Le compte permet de trader des fiats (euros ou monnaies étrangères) ? A déclarer.
Il permet de trader des parts sociales, actions, obligations, titres participatifs emprunts négociables ? A déclarer.
Vous avez ouvert un compte de crypto-actifs (et uniquement de crypto-actifs) auprès d’un établissement qui offre également offre la possibilité de recevoir, sur d’autres types de comptes, des fiats, des actions, obligations (etc.) ? A déclarer.
Quid des crypto-actifs, ou plutôt des établissements ne permettant de trader que des crypto-actifs ? L’écrasante majorité de ces actifs ne semble pas concernée par la qualification de titres, de valeurs mobilières ou d’espèces.
La question des securities
A noter si certains crypto-actifs pourraient être qualifiés de securities au sens du droit américain, cette notion est différente de celle de titre ou de valeur mobilière.
L’utilisation du mot securities en France (qui n’a en réalité aucune réalité juridique) est en général destinée à des crypto-actifs présentant des caractéristiques propres aux valeurs mobilières ou aux titres. Les securities USA ne sont donc pas forcément des securities FR.
Conséquence : dans l’énorme majorité des cas, il semble que les comptes ouverts auprès d’établissement permettant uniquement le trade entre crypto-actifs ne soient pas à déclarer en 2019.
Je précise bien que ces comptes semblent exclus, dans la mesure où il n’existe pas, à ce jour, d’étude complète sur les caractéristiques spécifique à chaque crypto-actifs. Il n’est donc pas exclu qu’un crypto-actif pouvant être échangé sur un exchange soit qualifié titre, valeur mobilière ou espèce. A priori, le cas « espèce » est totalement exclu, mais on peut se poser la question pour le « fameux » Petro par exemple.
Cette question restera vraisemblablement en suspens, dans la mesure où, pour pallier ce « défaut », la loi a étendu l’obligation de déclaration aux comptes de crypto-actifs. Cette extension ne concerne cependant pas les comptes à déclarer cette année.
La question des comptes passifs
Dernière précision, l’obligation concerne les comptes « ouverts, clos ou utilisé » au cours de l’année 2018.
Vous avez ouvert un compte Coinbase ? Déclarez-le. Vous avez clôturé un compte Kraken ? Déclarez-le.
Vous avez un compte Coinbase depuis quelques années, mais ne l’avez pas utilisé en 2018 (ni crédit, ni retrait, ni trade) ? Vous l’avez, en principe, déjà déclaré au titre des années antérieures, il ne doit donc pas être déclaré cette année.
Vous avez fait des opérations (trade ou conversion fiat) sur Binance ? A vous de voir, vous pouvez le déclarer par prudence, mais il semble qu’il soit exclu.
Comment déclarer ses comptes
Déclaration papier
Pour ceux qui seraient réfractaires aux déclarations en ligne (ce serait pas de chance, le limite de dépôt des déclaration papier était fixée au 16 mai), direction le formulaire 3916, que vous pouvez télécharger sur le site des impôts.
Pour les autres, direction votre espace en ligne. Je précise que dans tous les cas (papier ou internet), les renseignements à fournir sont identiques.
Déclaration en ligne
Lors de la présentation des déclarations annexes, cochez la case « Déclaration par un résident d’un compte ouvert hors de France ».
A gauche de la page, vous trouverez une liste (Accueil / Sélection des rubriques / Déclarations de revenus / etc.). Cliquez sur « Annexe n° 3916.
Vous aurez ensuite la surprise de découvrir que le formulaire 3916 n’est pas du tout adapté aux comptes cryptos, notamment concernant l’intitulé du compte et le numéro de compte.
Pas de solution miracle ici, les renseignements donnés seront au mieux approximatifs. Faites juste un effort sur l’identité et l’adresse de l’organisme qui gère le compte, vous pourrez trouver ces informations dans les mentions légales (ou dans les conditions générales) des exchanges.
En cas d’omissions ou d’inexactitudes des informations, une amende est théoriquement applicable. Son montant est de 15 € par omission ou inexactitude, avec un minimum de 60 € et un maximum de 10.000 €. Le montant de 10.000 € devrait cependant s’appliquer assez rarement, il serait en effet surprenant d’arriver à commettre plus de 666 erreurs sur des déclarations demandant chacune quelques dizaines de caractères.
En résumé
Si l’on met de côté l’aspect d’une potentielle requalification, la question à se poser est la suivante : l’organisme auprès duquel je détiens un compte me permet-il d’obtenir des fiats, des titres de sociétés ou des obligations ? Si c’est le cas, déclarez-le. Dans le cas contraire, pas de déclaration.
Pour la déclaration pratique, en ligne ou papier, remplissez le formulaire n° 3916.
Ce dernier n’est pas adapté aux comptes de crypto-actifs, renseignez donc au minimum le type de compte et l’identité de l’organisme, que vous trouverez dans les mentions légales ou dans les conditions générales du site.
Pour le reste des informations, tentez de faire au mieux, l’administration devrait en principe ne pas être trop difficile dans la mesure où ce formulaire n’est pas adapté.
Dans tous les cas, une légère amende vaut de toute façon mieux que 7 ans de prescription supplémentaires, 80% de majoration d’impôts et une grosse amende !