Attention à l’arnaque au faux minage de Bitcoin (BTC) : Une victime témoigne
Article un peu particulier aujourd’hui, dans la mesure où il s’appuie en grande partie sur un témoignage reçu sur le mail du journal. Fabrice* (le prénom a été modifié) nous raconte par le menu comment il est tombé entre les griffes de malins manipulateurs, sans faux-semblant, et avec le souhait que sa mésaventure permette à d’autres de ne pas tomber dans pareils guet-apens.
Le fond de l’affaire : du minage de bitcoins apparemment très rentable pour appâter le chaland, et la mise en place d’un piège particulièrement bien huilé enserrant progressivement la victime. La forme : la société Alpha Capital dont vous pouvez immédiatement oublier le nom tant l’intitulé compte peu dans ce type de dossiers, la couverture étant rapidement modifiée dès lors que l’escroquerie commence à être trop éventée.
Vous allez dans un instant prendre connaissance du témoignage courageux de Fabrice en gardant à l’esprit que même si les choses peuvent vous sembler parfois outrancières, personne n’est parfaitement à l’abri de tomber dans ce genre de pièges. On en profitera au passage pour tenter d’extraire quelques enseignements précieux, outils et autres bons usages de prudence, supposés vous aider à ne pas tomber tête la première dans le premier scam venu.
Faux minage de Bitcoin : le témoignage édifiant d’une victime
Il était une fois sur Instagram
« J’ai depuis quelques mois un compte sur Binance, tout fonctionne très bien, je commence à apprendre, à comprendre et même à faire un peu de plus-value. Je commande ma Binance Card et en plus je gagne quelques goodies via instagram. Je publie ma Binance Card sur instagram (grosse erreur). Le 14 janvier, je me fais remarquer via instagram par une femme avec qui j’échange sur la cryptomonnaie, on parle de Binance et très vite elle me parle d’une société : Alpha Capital.
Les échanges durent une dizaine de jours. Elle m’affirme que cette société mine du Bitcoin et qu’elle est fiable. Ayant un peu de BTC et après avoir cherché sur l’AMF et d’autres sites, Alpha Capital n’apparaît nul part comme site frauduleux. »
Par cette introduction, Fabrice nous offre déjà l’occasion de rappeler quelques fondamentaux.
Les bons projets, les projets « sérieux », n’écument pas les réseaux sociaux en recherche de nouveaux prospects. Imagine t-on Vitalik Buterin vous envoyer une demande d’ami et, tel le vendeur de montre de « luxe » à la sauvette à la gare du nord, vous proposer d’investir dans Ethereum ? Les projets et les initiatives crypto solides génèrent une force d’attraction telle, que les investisseurs s’agrègent autour d’eux organiquement.
Il n’est pas possible en l’état de savoir si la personne qui est rentrée en contact avec Fabrice était l’une des petites mains de l’entité derrière Alpha Capital ou un autre investisseur devenu VRP du projet tentant ce faisant de gratter quelques places dans la pyramide (on verra en effet un peu plus bas que comme tout bon projet douteux qui se respecte, Alpha Capital propose un système de parrainage en pyramide, vous promettant des revenus supplémentaires… tirés de vos éventuels filleuls). L’étude des échanges suivants tend cependant à faire pencher la balance vers la première hypothèse.
Fabrice a un bon réflexe : il consulte le site de l’AMF où il ne trouve nulle trace de la société. Par ailleurs, une recherche sur Google ne l’alarme pas, Alpha Capital ne ressortant pas négativement (ce sera désormais le cas, malheureusement trop tard).
Une bonne intention donc, mais fondée sur un mauvais postulat : d’une part l’AMF ne se tient pas à jour des centaines de sites louches qui prolifèrent dans le domaine crypto chaque jour, mais surtout le gendarme financier français ne se préoccupe essentiellement que de sociétés… françaises (et encore). Or, Alpha Capital déclare un siège social en Grande Bretagne (même si on verra rapidement que ledit siège est aussi crédible et sérieux que la capacité de la société à miner le moindre bitcoin).
Quant à l’absence de traces sur Google, et même s’il s’agit d’une lapalissade, tant qu’une société n’a pas été signalée comme frauduleuse, elle peut naturellement sembler… ne pas l’être. L’occasion de reprendre un dicton fort connu en matière de police scientifique : « l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence » (vous avez 4 heures).
Ne nous attardons pas trop sur le fait que notre infortunée victime s’est faite repérer sur Instagram en publiant sa carte Binance, nouvellement reçue. Non pas qu’il s’agisse d’une vulnérabilité en tant que telle (on ne peux pas faire grand chose des informations visibles), mais ce faisant, Fabrice a brandi publiquement une pancarte supportant en lettres clignotantes le message suivant : « Bonjour, j’ai plein des cryptomonnaies ! ». Un message reçu 5 sur 5 par les vigies du scam qui passent leur temps à écumer les Internet à la recherche de tels signaux.
Le coup du bonneteau
Vous connaissez le bonneteau ? Ce jeu de marché antédiluvien qui se joue avec une bille et 3 gobelets ? Si vous avez un jour tenté votre chance, vous aurez peut-être remarqué que vous commencerez toujours par gagner contre le joyeux saltimbanque qui aura su vous attirer autour de son diabolique petit stand.
Mis en confiance d’avoir gagné 3 fois de suite 10 euros, ivre de vos capacités nouvelles et innées à ce jeu d’observation et d’adresse et excité par cet argent apparemment facile, vous finirez par immanquablement jouer les 100 euros qui sont l’objectif réel de l’opérateur… pour tout aussi immanquablement les perdre brusquement. C’est TRÈS exactement ce qui va arriver à Fabrice :
« [Mis en confiance] Je décide donc d’envoyer 100 $ dans le plan novice, 24H plus tard sur mon compte Alpha mes 102 $ apparaissent. Je les réinvestis immédiatement et 24h plus tard j’avais 104,04 $. Afin de boucler la boucle, je décide de demander le remboursement. Une écriture sur la blockchain plus tard, les 104 $ sont arrivés sur mon portefeuille Binance. Je prends donc confiance et envoie 1500 $ afin d’adhérer au plan Bonus 7%. »
Ces deux coups gagnants, c’est l’amorce du joueur de bonneteau. Fabrice aurait dû s’arrêter là et se contenter de ses 4% de gains. Mais qui se contente de 4% de gains, n’est-ce pas ? Fabrice envoie donc 15 fois sa mise initiale, le traquenard vient de se refermer dans un claquement sec.
C’est le moment où une mécanique supplémentaire se déploie, véritable piège… dans le piège.
Erreur de la banque Bitcoin en votre faveur (non)
« Je reçois immédiatement un mail qui me confirme la bonne réception des 1500 $, mais que j’ai soi-disant validé 2 fois la transaction et que le programme à enregistré 3000 $. Les ennuis commencent immédiatement, je contacte le service support qui ne veut rien savoir et m’invite donc à renvoyer 1500 $, ce que je fais. Désormais mes 3000 $ apparaissent sur mon compte Alpha et prospèrent à hauteur de 7% par jour. Je réinvestis chaque jour et je me rends compte que mon contact Instagram touche un pourcentage à chaque fois que je réinvestis. »
Ne souriez pas, à la lecture du paragraphe précédent. Fabrice va bien, en toute conscience, renvoyer une DEUXIÈME fois 1500$. Au calme dans votre fauteuil favori, vous vous dites surement que ça ne vous serait jamais arrivé, à vous.
Sauf que Fabrice est victime d’un effet tunnel auquel tout le monde est vulnérable : la crainte de perdre la mise initiale à cause d’une erreur commise durant l’envoi (ai-je bien rempli le formulaire ? N’ai-je pas cliqué deux fois ?) et sur un mélange de culpabilité et de crainte de voir ses fonds perdus à jamais pour une bête erreur de manipulation, on finit par doubler la mise. Ouf : La somme apparaît bien sur le compte : émission d’endorphine, ascenseur émotionnel, toutes réactions qui sont à la fois très humaines… et parfaitement manipulables. Fabrice se détend, tout semble rentrer dans l’ordre.
« Un mail d’Alpha m’invitant à payer 3000 $ arrive dans ma boite, je l’ignore. »
Tranquillou bilou, voilà qu’Alpha Capital tente un sacré coup de poker : alors qu’ils viennent d’empocher 3000$, ils tentent donc de doubler la mise sur un malentendu. Mais Fabrice ne mord pas cette fois-ci.
La suite sera constituée de diverses tentatives de faire verser à Fabrice de plus en plus de fonds, jusqu’au moment où l’intéressé commence à prendre clairement conscience que quelque chose ne tourne pas rond, en dépit de l’augmentation de ses revenus de minage de BTC générés, visibles sur son tableau de bord. Un mécanisme habituel dans ce genre de systèmes, déterminés à vous faire leur envoyer le plus d’argent possible, en vous sur-sollicitant.
Fabrice décide donc d’initier un retrait. Et c’est le moment où le patron du stand de bonneteau commence à changer d’humeur et à faire mine de ranger le stand.
« Les montants grimpent très vite et je décide donc de demander mon remboursement afin de commencer à récupérer mon investissement de départ. Et là, ils m’expliquent que je dois payer les $3000 de mise à jour et que l’argent sert à acheter du nouveau matériel (SHA-256 Asic). je demande à mon contact Instagram si elle aussi, elle me rassure et me dit qu’elle a payé aussi. Etant tenu par mon argent je décide de payer. »
« Je relance immédiatement une demande de remboursement et là encore un email d’Alpha avec en objet « The Last Process Withdraw » qui me demande de payer de nouveau 1250 $. Cela me travaille une dizaine de jours et je finis par céder, cette situation me rend fou, je suis en train de vider un compte, mais j’envoie 1250 dollars. Je reçois immédiatement un mail me disant que j’ai enregistré 2500 $ et qu’il faut donc renvoyer 1250$. […] j’envoie les derniers 1250 $. Et sans scrupules, ils me disent que je n’ai pas payé dans les temps et donc j’ai une pénalité de 2000 $ à payer à nouveau. Je retrouve la raison et je comprends que je me suis fait voler. »
Spirale sans fin
Au fil des échanges par mail et sur Instagram (les individus derrière ce type d’entreprises sont très disponibles et réactifs avec leurs « VIP »), va s’opérer un transfert d’influence incroyable : alors que Fabrice n’a de cesse d’envoyer de l’argent, les « frais » pour récupérer ses dividendes sont progressivement présentés comme des « dettes ».
Fabrice devient ainsi le supposé débiteur d’Apha Capital qui une fois ce cap psychologique franchi, n’aura de cesse de mettre la pression en utilisant ce levier (si l’argent n’est pas débloqué c’est à cause de mauvaises manipulations de sa part et/ou parce que le « système » est fait ainsi et attend pour débloquer les fonds que la « dette » soit épongée. Notez au passage l’utilisation commode de la réputation de résistance/inaltérabilité de la blockchain, pour justifier la déshumanisation du procédé).
Encore une fois, si vous êtes actuellement en train de lever un sourcil dubitatif (ne niez pas), rappelez-vous que l’enjeu pour Fabrice est de pouvoir retirer près de 40 000 $. Les montants ne sont pas posés au hasard, toute l’astuce de ces systèmes jouant sur la cupidité de leurs victimes est bien de jouer sur le fait qu’une fois embarqué, risquer 1250 ou 2500 $ de plus semblera « raisonnable » à une victime pressée de récupérer 20 ou 30 fois plus.
Les mécanismes psychologiques en marche ne sont pas si éloignés de ce qui constitue le bien connu FOMO (fear of missing out) qui incite à investir déraisonnablement pour ne pas rater une occasion, ou à risquer trop gros pour tenter de refaire une perte. Ce phénomène prospère sur un terreau d’avidité, de stress et de peur. Encore une fois, personne n’est à l’abri de cette espèce d’ivresse des sommets qui fait perdre tout discernement.
Au bout du compte, Fabrice va perdre selon ses estimations 6600 euros (et clairement quelques nuits de sommeil). Il termine son témoignage en expliquant avoir tenté de porter plainte auprès des services de polices. Serez-vous étonné d’apprendre que ceux-ci se sont révélés proprement incapables de prendre la moindre plainte, et encore moins de comprendre les tenants et aboutissants du dossier ?
« Même la police m’a rendu fou. »
Autopsie d’un drôle de faux minage de Bitcoin
Rollback ! Retournons par magie quelques mois en arrière. Fabrice, lecteur régulier du Journal du Coin, vient d’être approché par sa nouvelle meilleure amie sur Instagram. Mais plutôt que de se contenter d’une recherche sur les bases de données de l’AMF et sur Google lui faisant constater une absence de mauvaise réputation d’Alpha Capital, il décide de nous demander avant toute chose ce que nous pensons de cette société miraculeuse qui promet monts et merveilles dans le minage de Bitcoin.
Voila en quelques minutes, et avec des outils de vérification gratuits et à portée de n’importe qui, ce que nous aurions pu lui apporter comme éclairage.
Le site Alpha Capital
Le site officiel n’est pas trop mal fichu, il est même disponible en plusieurs langues et surtout on a vu plus haut qu’il était assorti d’un tableau de bord permettant une inscription et la traçabilité des envois de fonds. On ajoutera qu’une interconnection avec la blockchain BTC est probablement effective, ce qui laisse entendre que les concepteurs de la plateforme savent ce qu’ils font. Jusque là, RAS.
S’agissant de la proposition de valeur, le généraliste le dispute au nébuleux, ça parle d’ASICS, de CPU mining à travers un système décentralisé sur le web, le tout étant supposé produire plus ou moins aléatoirement du Bitcoin sonnant et trébuchant dans le cadre de différents plans auxquels il convient de souscrire…bref, flou plus que fou. Premier drapeau rouge avec l’irruption du petit schéma pyramidal d’affiliation qui va bien.
Du marketing de réseau, sans réseaux
Deuxième coup de sifflet : on vient de voir que le site était plutôt propre et que par ailleurs, tout démontre que le projet fonctionne sur la viralité, le parrainage, le networking. Mais étonnamment, les boutons du pied de page, ceux qui mentionnent les réseaux sociaux renvoient… à la page d’accueil du site officiel.
Voila donc un projet qui cherche très fort à faire parler de lui mais qui s’interdit volontairement de communiquer sur Twitter, et Facebook (spécial dédicace à Google+ au passage, petit ange parti trop tôt).
De là à penser que le projet se ferait immédiatement débunker s’il laissait traîner un orteil sur les réseaux, il n’y a qu’un pas que je vous laisserais franchir si vous le souhaitez.
Direction Manchester
Alpha Capital est un projet sérieux, il a donc un siège social. Celui-ci se trouve 132-134 Great Ancoats Street, Suite 33854 Advantage Business Center, Manchester, England, M4 6DE. L’adresse fait parfaitement officielle mais comme en matière crypto on ne croit personne, on vérifie, il est temps d’aller faire un tour sur Google Maps pour savoir à quoi sont consacrés les fonds des clients. Sans s’attendre au HQ d’Apple, espérons qu’une compagnie spécialisée dans le minage de Bitcoin ait un peu d’allure !
Je vous présente le « Advantage Business Centre » de Manchester :
Je suis désolé, mais ça ne s’invente pas. Quand aux « avis clients » laissés à ce qui est une adresse officiellement désignée comme « service de boite aux lettres », ils sont aussi engageants que ce riant quartier de Manchester.
La reputation sulfureuse d’Alpha Capital
Proposition de valeur fumeuse, absence des réseaux sociaux, siege social surréaliste… A ce stade, les vérifications ultra-primaires ont pris littéralement moins d’une minute et c’est dans tous les cas, un non ferme et définitif. En effet, il y a à la fois suffisamment d’entreprises et de projets sérieux dans lesquels investir dans l’industrie et bien trop d’escroqueries pour qu’il soit question de prendre le moindre risque avec un bilan initial aussi désastreux. La fameuse « première impression » est dans ce cas d’espèce souvent la meilleure, est là, elle est désastreuse.
Sans même parler de l’absence d’équipe identifiée (ils doivent jouer au foot dans le terrain vague derrière le siège social) on ira aussi pour la forme passer le site à la moulinette du site Scam Adviser, pour un résultat à l’image de la météo à Manchester : piteux.
On pourra enfin parfaire ce CV du parfait site louche par une petite vérification sur le site ScamAvengers qui lui aussi clignote rouge vif à l’évocation d’Alpha Capital.
L’histoire de Fabrice est aussi triste qu’édifiante. Il semble qu’au moins notre ami ait retiré quelques enseignements de cette mésaventure. Cet article lui est dédié et lui offrira le réconfort de savoir que son récit en protégera peut-être certains à l’avenir.
D’une manière générale, et même si la période est propice à l’exaltation, n’oubliez jamais quelques fondamentaux : l’argent magique ne tombe pas du ciel, et un(e) inconnu(e) surgissant de nul part pour vous proposer une opportunité extraordinaire devra être traité avec la plus grande des méfiances.
Rappelez-vous qu’en matière d’investissement et de finance, quelques minutes de vérification supplémentaires ou une demande de conseil à plus expérimenté que soi sera bien souvent le meilleur placement possible. Dans tous les cas, ne restez jamais seul face à un engrenage dans lequel vous avez commencé à glisser un doigt et n’hésitez jamais à solliciter conseils et assistance auprès de la communauté crypto.
Enfin, si vous êtes un jour victime et souhaitez porter plainte, mais que comme dans le cas de Fabrice la communication ne passerait pas très bien en commissariat ou en gendarmerie, n’oubliez pas qu’il vous est aussi possible de saisir directement le procureur de la République en lui écrivant par courrier (rendez-vous sur le site du service public, rubrique Porter Plainte, « Comment porter plainte par courrier »).