L’histoire de la mère des bulles financières – Les Mers du Sud, chroniques d’une folie spéculative

Retour à la naissance des bulles financières – Vous avez certainement entendu parler de la mania des tulipes à laquelle les médias traditionnels comparent Bitcoin lors de chaque mouvement haussier. Or, les historiens sont d’avis que le récit de ces évènements serait exagéré. Et, nous n’avons pas assez d’éléments factuels sur le prix des bulbes pour affirmer l’existence d’une bulle. Mais quelle serait donc la première bulle financière ? Pour les 300 ans de ce qui fut considéré comme la première bulle financière, je vous propose une série d’articles pour vous guider à travers les mers agitées des bulles de la finance.

Compagnie des Mers du Sud, l’instigatrice de la première bulle financière

Avant de nous plonger dans l’histoire de la Compagnie des Mers du Sud, définissons ce qu’est une bulle financière. Une bulle c’est une augmentation, rapide et souvent irrationnelle, du prix d’un actif, qui sera suivie par une forte baisse : l’éclatement de la bulle.

Notre histoire prend place en 1720, la couronne britannique est fortement endettée après une guerre de succession avec l’Espagne (1701-1714). Le commerce avec les colonies est florissant. La Compagnie s’est vue accorder le monopole du commerce dans les Mers du Sud en échange de sa gestion de la dette britannique.

Cela fait maintenant quelques années que la Compagnie des Mers du Sud importe des esclaves depuis l’Afrique en direction des Amériques. Cependant, ces opérations ne sont pas un franc succès commercial. En effet, des taxes imposées sur ce négoce suite à la guerre avec l’Espagne viennent amenuiser les profits.

En 1720, la dette britannique atteint des niveaux records. Suite à ses guerres avec la France et l’Espagne, la Grande Bretagne a accumulé plus de 50 millions de livres de dettes, soit 100 % du PIB estimé de l’époque. Cette dette est détenue par des banques, des entreprises et des particuliers.

Afin de faciliter la gestion de la dette britannique, la Compagnie entreprend de rassembler tous les titres de dette en circulation. Elle propose un échange simple : un titre de dette contre une action de l’entreprise avec un dividende minimum garanti de 5 %. Ces 5 % étaient donc un dividende plancher avec un fort potentiel de hausse du fait du monopole de la Compagnie.

Cela a commencé à attirer de nouveaux investisseurs et à faire grimper le cours des titres de l’entreprise. Le succès de ce qui est considéré comme le premier debt-equity swap a été instantané.

Daniel Defoe, directeur de la Compagnie, a alors entrepris de manipuler les cours par tous les moyens à disposition. Fausses rumeurs sur les profits dans les Mers du Sud, corruption de parlementaires, utilisation de personnalités prestigieuses pour attirer de petits investisseurs. Cette manipulation de marché partiellement approuvé par le gouvernement britannique a porté ses fruits. Le prix des titres était à 128 £ en janvier 1720 et a atteint 1050 £ en juin 1720.

Les bulles, shitcoins avant l’heure

Face au succès de la Compagnie des Mers du Sud, de nombreuses entreprises ont répliqué le modèle en proposant aux particuliers d’entrer dans leur capital. Ce qui était particulièrement rare à cette époque. Ces entreprises s’inspirant de la Compagnie étaient nommées les bulles – bubbles. Elles profileraient, telles des bulles dans un bac d’eau savonneuse que l’on agite.

Dans ce contexte d’euphorie spéculative, ce ne sont pas moins de 200 entreprises qui ont vu le jour espérant capitaliser sur la spéculation et les richesses supposées des Mers du Sud.

Ce sont ces entreprises, les bulles, qui inspireront par la suite le terme de bulle financière. La Grande-Bretagne a tenté d’entraver la prolifération de ces entreprises avec le Bubble Act de 1720. Cette législation imposait d’obtenir une concession royale afin de pouvoir ouvrir son capital au public. En somme, une autorisation du régulateur financier pour s’introduire en bourse.

Inévitablement, les cours de toutes ces entreprises se sont effondrés ruinant ainsi les investisseurs les plus tardifs, dont Sir Isaac Newtonqui aurait acheté le top à plusieurs reprises.

« Je sais prédire le mouvement des corps célestes, mais pas la folie des gens. »

Déclaration de Sir Isaac Newton, après l’éclatement de la bulle

Les conséquences exactes de l’éclatement de cette bulle sont encore débattues, mais il semblerait qu’elles soient plutôt de l’ordre du scandale que de la crise économique. En effet, les historiens économiques ne trouvent que peu de preuves d’une récession économique à cette période.

L’incident a provoqué un énorme tollé dans l’opinion publique. Les politiciens ont exigé une enquête. Les directeurs de la Compagnie ont été accusés de trahison et de fraude. Des poèmes et des pièces de théâtre ont critiqué le marché et ses acteurs. Le chancelier du Trésor public fut brièvement enfermé dans la Tour de Londres.

Tout cela a contribué à rendre la bulle des Mers du Sud célèbre. De plus, la bourse en était à ses balbutiements, il n’y avait pas de théorie financière, manifestement aucune régulation et le terme de bulle n’existant pas encore.

Le fear of missing out, une émotion pas si moderne que ça

Il y a deux parallèles à dresser entre ces évènements et le bull run de 2017. Tout d’abord, les bulles ont tenté de répliquer un modèle à succès par pur appât du gain. De la même manière, plus de 80 % des ICO de 2017 se sont avérées être des escroqueries.

Enfin, nous pouvons constater que la peur de manquer une opportunité existait déjà. De nombreux petits porteurs se sont rués sur les titres de ces entreprises. Les transactions d’Isaac Newton sont documentées et le physicien aurait acheté à plusieurs reprises alors que le cours montait en flèche.

Cette série d’évènements n’a été possible que grâce à l’absence de régulation du secteur et la crédulité des investisseurs attirés par l’espérance d’un profit rapide. Cela nous fait nécessairement penser à l’envolée des prix de 2017 attisée par les médias et l’arrivée du public sur les exchanges. Cependant, il semble clair qu’aucune de ces deux bulles n’a eu de conséquences économiques durables au-delà du bruit qu’elles ont pu générer marquant ainsi l’histoire de la finance.

Sources :

Frehen, R., Goetzmann, W., & Rouwenhorst, G. (2009). New evidence on the first financial bubble. http://www.nber.org/papers/w15332
Bailey, K. (2005). South Sea Bubble Short History – Baker Library | Bloomberg Center, Historical Collections.
McCarthy, T. (2019). Crypto Mania : Determining the Drivers and Philosophical Implications of Financial Bubbles to Inform Speculation. 83.
Odlyzko, A. (2019). Newton’s financial misadventures in the South Sea Bubble. Notes and Records: The Royal Society Journal of the History of Science, 73(1), 29‑59. https://doi.org/10.1098/rsnr.2018.0018

Thomas G.

Financier et juriste, je suis passionné par les cryptomonnaies depuis leur apparition sur le Deepweb. Fervent supporter du Bitcoin, je suis convaincu que les devises numériques joueront un rôle déterminant dans l'avenir de nos sociétés. Je m'intéresse tout particulièrement aux aspects financiers et législatifs des cryptomonnaies.