MiCA et les stablecoins : Un avenir incertain pour les cryptomonnaies en Europe ?
La MiCA-tastrophe. Ça y est, nous y sommes. Les nouvelles règles relatives aux stablecoins dans le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) entrent en application en Europe lundi prochain, jetant un froid sur notre écosystème alors que le beau temps revient à peine sur la France. En effet, la majorité des stablecoins, indexés sur le dollar américain ou autres monnaies fiduciaires, auront du mal à se conformer à court terme à ces nouvelles règles. L’accès au trading pourrait être restreint, la liquidité réduite, et les opportunités d’investissement crypto limitées pour les citoyens européens. Les entreprises pourraient réduire leurs activités en Europe, freinant l’innovation et l’accès des consommateurs. Un manque de clarté dans les directives réglementaires crée une incertitude parmi les acteurs du secteur. Bref, c’est la MiCA-pocalypse.
Qu’est-ce ce que le règlement MiCA ?
Un peu de révisions s’imposent avant de rentrer dans le vif du sujet. Le cadre réglementaire MiCA vise à renforcer la confiance des consommateurs et à stabiliser le marché des cryptomonnaies en Europe. De fait, MiCA est un règlement de l’Union européenne destiné à réguler le marché des crypto-actifs. Entré en vigueur partiellement en juin 2023, il sera pleinement applicable d’ici la fin 2024.
MiCA impose des règles strictes aux stablecoins adossés à des monnaies fiduciaires, dès lors qu’ils franchissent un certain seuil d’adoption. Si on vulgarise, nous dénombrons 4 exigences autour des stablecoins au sein de l’espace Européen avec le règlement MiCA :
- Un ratio de réserve de liquidité de 1:1 ;
- Des réserves d’actifs détenues par un tiers isolé d’autres actifs ;
- Une interdiction des stablecoins algorithmiques ;
- Une obligation pour les émetteurs de détenir des licences en tant qu’établissements de crédit ou institutions crypto.
MiCA : Une réglementation rigoureuse à venir
À partir de lundi prochain, toutes les activités liées aux stablecoins dans l’UE devront se conformer aux nouvelles exigences. Ce cadre réglementaire devient partiellement applicable pour les fournisseurs de services de crypto-actifs, notamment en ce qui concerne leurs obligations de KYC (Know Your Customer) et de LBC (Lutte contre le blanchiment d’argent).
Une situation qui en laisse beaucoup dubitatifs. Selon Jasper De Maere, responsable de la recherche chez Outlier Ventures, la majorité des stablecoins étant adossés sur le dollar américain, il est peu probable qu’ils puissent se conformer aux nouvelles règles de MiCA à court terme, comme le rapportent nos confrères de The Block :
« Les conséquences de cela, une fois MiCA implémenté, sont que les citoyens européens pourraient faire face à un accès limité au trading, une mauvaise liquidité et aucun accès aux opportunités d’investissement crypto-native plus exotiques (…) Attendez-vous à des déclarations des grandes plateformes et des émetteurs de stablecoins dans les prochaines semaines et mois, au fur et à mesure que MiCA sera pleinement mis en œuvre. »
OKX, Binance… les plateformes crypto en ordre de bataille
La mise en œuvre de MiCA a donc incité plusieurs exchanges à ajuster leurs politiques concernant les stablecoins. La plateforme Uphold, par exemple, a envoyé un avis à ses utilisateurs dans lequel elle les informe de la fin du support de 6 stablecoins dont le DAI, le FRAX, le GUSD, le USDP et le TUSD, à partir du 1ᵉʳ juillet. Les utilisateurs doivent convertir ces stablecoins en une autre cryptomonnaie avant le 28 juin, après quoi ils seront automatiquement convertis en USDC. Uphold continuera de prendre en charge l’USDC, l’EURC et le PYUSD.
Binance, de son côté, a également décidé de faire quelques annonces et tente de s’adapter. Les stablecoins comme l’USDT resteront disponibles pour le trading spot, les dépôts et les retraits. Mais leur utilisation sera limitée pour certains produits comme Simple Earn ou le Margin Trading. Les récompenses sur la plateforme seront désormais en BNB ou en stablecoins réglementés.
Kraken, pour sa part, ne prévoit pas de changement pour le moment :
« Kraken continue de lister USDT en Europe et nous n’avons pas prévu de le retirer de la cote pour le moment. Nous savons que nos clients européens apprécient l’accès à USDT et nous continuons à examiner toutes les options pour proposer USDT sous le régime à venir. Nous suivrons bien sûr toutes les exigences légales, même celles avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Mais les règles ne sont pas encore finalisées et nous continuons à faire tout notre possible pour continuer à proposer toutes les stablecoins pertinentes à nos clients européens. »
Mark Greenberg, Kraken – Source : X
Paolo Ardoino, CEO de Tether, l’émetteur du fameux USDT, a quant à lui déjà déploré la situation. Car l’étouffante complexité de cette législation ne serait même pas son pire aspect. En effet, selon lui, le règlement MiCA pourrait fragiliser gravement les émetteurs de stablecoins.
« Tether a été activement impliqué dans les consultations sur les normes techniques réglementaires au cours des derniers mois, et reste préoccupé par le fait que MiCA contient plusieurs exigences problématiques. (…) Ces exigences pourraient non seulement rendre le travail d’un émetteur de stablecoins extrêmement complexe, mais aussi rendre les stablecoins autorisés par l’UE extrêmement vulnérables et plus risqués d’exploiter. (..) »
Paolo Ardoino, CEO de Tether
Une épée de Damoclès au-dessus de l’industrie crypto ?
Par ailleurs, les nouvelles exigences incluent l’obtention d’une « licence de monnaie électronique » et une supervision par l’Autorité Bancaire Européenne. De plus, les volumes de trading seront plafonnés à 200 millions d’euros. Un montant dérisoire comparé au volume moyen de trading sur 30 jours de l’USDT, qui avoisine les 30 milliards de dollars.
Cette situation pourrait conduire de nombreuses entreprises à réduire ou à cesser leurs activités dans l’UE, freinant ainsi l’innovation et limitant l’accès des consommateurs aux services crypto.
L’absence de consensus parmi les plateformes crypto, les conseillers juridiques et les acteurs de l’industrie sur les mesures à prendre pour garantir la conformité ajoute à la confusion. L’Autorité Bancaire Européenne n’ayant publié ses lignes directrices sur les normes techniques que le 13 juin dernier, il n’est pas surprenant que personne n’ait encore trouvé de solution élégante pour mettre en œuvre la réglementation.
Matthias Bauer-Langgartner, responsable des politiques chez Chainalysis en Europe, a quant à lui souligné toujours auprès de nos confrères de The Block, que les stablecoins représentent aujourd’hui le plus grand cas d’utilisation des crypto-actifs, et que le régime des stablecoins de MiCA marque un moment important pour la régulation des crypto-actifs en Europe.
« La portée légèrement nébuleuse du régime des stablecoins, notamment en ce qui concerne les fournisseurs de services d’actifs virtuels (VASP ou PSAN en français) actuels, et la double classification des EMTs (Electronic Money Tokens) en tant que fonds et crypto-actifs, sont susceptibles de créer des incertitudes significatives à partir du 30 juin. »
Conclusion : MiCA, la fin du début ?
Cadre réglementaire en cours, situation provisoire… le tableau dressé est confus et incertain pour notre industrie, et des solutions pour contourner MiCA émergent déjà. L’USDT de Tether, grand leader du secteur des stablecoins, semble d’ores et déjà mis sur le banc de touche. En revanche, l’USDC pourrait émerger comme le principal bénéficiaire. Circle, la société derrière l’USDC, jouit d’une plus grande réputation en matière de transparence et de conformité réglementaire, ce qui pourrait lui donner un avantage. Cependant, l’implémentation des nouvelles règles MiCA est un tournant majeur pour l’industrie crypto en Europe. Bien que visant à apporter sécurité et standardisation, elles posent des défis considérables à court terme, notamment en termes de conformité et de clarté réglementaire.
Enfin, et ce sera là le mot de la fin, un peu de pragmatisme s’impose face à cette situation ubuesque pour notre écosystème. En effet, une fois le flou réglementaire réglé, MiCA pourrait stimuler la demande. N’oubliez pas qu’un cadre réglementaire plus clair tend également à favoriser l’adoption par les entreprises (à l’image de l’effet ETF). Même si la réglementation est considérée comme un mot négatif, à mesure qu’un marché mûrit et évolue, les options sont soit la réglementation, soit l’interdiction. C’est donc certainement préférable à une interdiction pure et simple, même si la situation reste plus que perfectible pour notre belle industrie. À suivre, lundi.