Binance : comment CZ est-il devenu l’homme à abattre ?
Ça ne vous aura sans doute pas échappé, la semaine dernière, il y a eu un nouveau tremblement de terre dans l’écosystème crypto. Changpeng Zhao, qu’on va appeler CZ tout au long de cette vidéo, a démissionné de son poste de CEO de Binance. En effet, c’est une sanction historique qui a été infligée à la plateforme d’échange par les autorités américaines, 4.3 milliards de dollars d’amende.
Mais pas si vite, on va profiter de cette vidéo pour parler de CZ, l’ex PDG de Binance qui aura réussi à changer à jamais la face de l’écosystème crypto. Et, on fera aussi un petit tour d’horizon de ce qu’il s’est passé et les conséquences que ça pourrait avoir. C’est parti !
1977 à 2013 : l’apprentissage du jeune CZ
Changpeng Zhao est né en 1977 dans la province du Jiangsu, en Chine. Né de parents enseignants, vous devez savoir qu’il ne faisait pas très bon de travailler dans le milieu de la culture ou de l’enseignement en Chine pendant ces années-là.
Dès qu’il en a eu la possibilité, le père de CZ a saisi l’opportunité de s’expatrier au Canada. Quelques années plus tard, le reste de la famille finit par le rejoindre après les événements de la place Tian’anmen en 1989 et CZ s’installe donc à Vancouver au Canada.
Les années passent et il finit par fréquenter l’université McGill de Montreal où il se spécialise en informatique et en programmation, tout en aidant financièrement sa famille avec des petits boulots, tantôt comme employé de station service, tantôt chez McDonald’s.
À la fin de ses études, il effectue un stage au Tokyo Stock Exchange où il est chargé de développer un logiciel pour faciliter leurs opérations. Il continue dans sa lancée comme développeur chez Bloomberg Tradebook pour finalement retourner en Chine en 2005 et fonder sa propre entreprise : Fusion Systems. C’est un fournisseur de solutions de trading à haute fréquence et il faut l’avouer, ça marche plutôt bien.
En 2013, à l’occasion d’une partie de poker avec Bobby Lee, il découvre Bitcoin. Pour la petite histoire, Bobby Lee à ce moment-là, c’est le PDG de l’un des premiers exchanges de bitcoins, BTC China. Il parle à CZ de Bitcoin et de son potentiel pour l’avenir et ce dernier commence à creuser le sujet. La même année, il assiste à la conférence Inside Bitcoin à Las Vegas qui rassemble notamment Vitalik Buterin qu’on ne présente plus, et bon nombre d’autres chefs d’entreprises liés de près ou de loin à l’écosystème crypto.
Et là c’est le déclic, en fin d’année, CZ vend son appartement à Shangai et achète du bitcoin avec l’intégralité de l’argent qu’il récupère. Il en achète environ 1500 à un cours de 600$ par bitcoin, mais le cours dégringole très vite à 200$ et paf… Bear market.
La naissance de Binance
Et oui, comme quoi, même les plus grosses figures de l’écosystème peuvent perdre à leurs débuts. D’ailleurs, il déclare en 2021 qu’il possède toujours une grande partie de ces bitcoins. Mais pas de soucis, il a de la ressource et sait se débrouiller. Très vite, il trouve un travail dans l’industrie du Bitcoin, chez Blockchain.info, un service de wallet et d’explorateur de blockchain qui existe toujours sous le nom de blockchain.com. Il travaille chez eux en tant que responsable de développement.
Après quelques mois passés dans la structure, il décide de changer d’air et rejoint la plateforme d’échange OKCoin en tant que directeur technique où il restera également un peu moins d’un an avant de refonder une entreprise liée au trading, BijieTech. À ce stade, vous l’avez compris, CZ est en train de s’ancrer petit à petit et de se faire un nom dans l’écosystème crypto et aussi dans le monde de l’entrepreneuriat.
Et, arrive 2017, la folie des ICO, un bitcoin qui bat des records, des volumes qui crèvent le plafond, bref, un bullmarket d’anthologie. À ce moment-là, CZ est toujours proche de l’écosystème crypto et il constate plusieurs choses. Les exchanges c’est bien, mais c’est lent, ça crash à cause de trop grosses affluences, et globalement l’expérience utilisateur est vraiment déplorable. Et, aucun effort n’est fait dans l’industrie, chacun se copie les uns les autres sans réelle amélioration sur ces points cruciaux.
Et là, il passe à l’action. Lui, son idée, c’est de créer un exchange tout-en-un. Une plateforme où, une fois que vous êtes dessus, vous n’avez pas besoin d’en sortir. En juillet, Binance est lancé à Hong Kong. D’ailleurs, pourquoi avoir choisi le nom Binance ? C’est un mélange entre Binary, un clin d’œil au code binaire, le langage des ordinateurs, et finance.
Au début, c’est plutôt simple, Binance fonctionne comme un broker traditionnel, ils mettent en relation des acheteurs et des vendeurs, et prennent des frais sur chaque transaction. En juillet 2017, il profite du climat réglementaire plutôt souple et de la vague de capitaux apportée par le bullrun pour lancer son ICO, celle du BNB. Les investisseurs pouvaient alors acheter 2700 BNB au prix d’1 ETH. À son terme, il récolte près de 15 millions de dollars et ni une ni deux, il lance Binance.
Et là, fort de son expérience passée, que ce soit dans les logiciels de trading ou bien dans les sociétés crypto qu’il a pu intégrer, et avec un timing qui était vraiment bon, autant vous dire que tous les ingrédients étaient réunis pour que la mayonnaise prenne, et pas qu’un peu.
Binance et la muraille de Chine
En septembre 2017, alors que Binance n’a que quelques mois et déjà 4 ICO à leur actif sur leur plateforme, la nouvelle tombe. Les ICO sont considérées comme des fraudes en Chine et les investisseurs doivent être remboursés. À ce moment-là, la plateforme opérait à Hong-Kong, mais c’est du pareil au même, puisque bon nombre des clients de Binance provenaient de Chine intérieure.
Quelques mois à peine passent et Binance se hisse déjà dans le top des exchanges. L’ascension est rapide, un peu trop même et ça leur causera de gros soucis au niveau réglementaire par la suite. L’un des premiers gros challenge que CZ doit surmonter avec Binance est l’interdiction des ICO par le gouvernement Chinois.
Pour Binance, c’est un coup de massue, parce qu’il faut bien se dire que les startups derrière les 4 ICO en question n’avaient pas du tout la trésorerie pour rembourser les investisseurs. En effet, il manquait près de 6 millions de dollars pour dédommager tout le monde.. Face à ça, CZ se positionne en sauveur de l’écosystème et va prendre une décision qui sera évidemment saluée par tout le monde, combler les trous avec les fonds de la société.
Dans le même temps, Binance déménage et s’installe au Japon, la régulation en Chine est tout simplement trop compliquée à gérer. Et d’ailleurs, ils ne vont pas y rester longtemps, puisqu’ils vont s’installer ensuite à Malte, à Singapour, et à d’autres endroits aux 4 coins du monde.
Mais chaque fois, la régulation va les rattraper et leur mettre des bâtons dans les roues. En 2019, CZ annonce la nouvelle, Binance va opérer sans quartier général.
L’ascension de Binance
Et ce ne sont pas les seules embûches que la plateforme va rencontrer au cours de son histoire. Dans cette même année 2019, c’est plus de 40 millions de dollars en bitcoin qui sont dérobés suite à un piratage. CZ réagira rapidement et l’exchange couvrira les pertes en toute transparence.
Évidemment, ces soucis n’arrêteront pas Binance qui va multiplier les opérations pour attirer toujours plus de clients. Frais de trading ultra-compétitifs, launchpad, carte bancaire, avantages en tout genre… rien ne semble pouvoir arrêter la plateforme numéro un de l’écosystème.
Et quand je dis numéro un, c’est vraiment un euphémisme, Binance traite, à l’époque, plus de volume de transaction que ses 5 plus gros concurrents réunis, c’est littéralement le mastodonte du secteur. Bref, depuis le début, Binance va se construire autour des visions novatrices de CZ, que ce soit au niveau de son management très horizontal, ou bien au niveau de ses convictions concernant les crypto et la blockchain.
Pour lui, tout ce qu’il construit participe indubitablement à l’avenir technologique de la finance et des paiements. Il met aussi un énorme point d’honneur à la démocratisation, que ce soit par l’éducation, ou bien par la simplification de tout ce qui touche de près ou de loin aux cryptos.
On l’a dit, Binance est une sorte d’outil tout-en-un où vous pouvez tout faire, c’est un écosystème à part entière et la Binance Smart Chain en est un très bon exemple. À partir de 2020, il commence à travailler sur son propre projet de Blockchain, avec le BNB en guise de token principal.
L’arrivée du BNB, la crypto de la discorde
Là, c’est encore un coup de génie au niveau du timing, puisque ce lancement profitera largement des frais devenus extrêmement élevés sur Ethereum, qui se retrouve complètement congestionné en période de forte activité. Ça aura le mérite d’apporter le monde de la finance décentralisée directement à la porte des petits portefeuilles, qui ne peuvent pas profiter convenablement de la DeFi sur Ethereum.
Bon, il ne faut pas se leurrer non plus, bien que CZ paraisse toujours comme un homme simple qui se ramène en short et en tongs aux évènements importants, le département marketing de Binance ne lésine pas sur le bling-bling. En 2017, ils ont même organisé un giveaway où ils faisaient gagner une Lamborghini, rien que ça. En tout cas, le marketing semble avoir marché.
En 2023, Binance c’était plus de 90 millions d’utilisateurs à travers le monde avec, pour 2021, plus de 20 milliards de dollars de revenus pour près d’un milliard de bénéfices net. Et pour CZ, ça marche plutôt bien, il est passé de simple développeur à multimilliardaire en seulement quelques années, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a eu le nez fin au niveau des timings, il a fait les bonnes choses au bon moment. Dites-vous bien qu’aujourd’hui, malgré le bear market, CZ reste classé 67ᵉ du Bloomberg Billionnaires Index, et encore, ce classement ne se base que sur ce que l’on connaît publiquement de sa fortune.
Mais voilà, on dirait bien que rien n’est éternel. Vous l’avez sans doute vu passer, CZ se voit dans l’obligation de démissionner de son poste de CEO chez Binance.
Et ça, suite à une enquête du Departement Of Justice U.S qui date en réalité de 2018. On l’a dit en début de vidéo, Binance se retrouve à devoir verser une amende de 4.3 Milliards de dollars et va également devoir quitter les État-Unis.
En prime, Binance devra, pendant cinq ans minimum, se soumettre à une surveillance et une transparence totale de ses activités, et traquer rétroactivement les transactions illicites qui auraient eu lieu sur leur plateforme, en plus de totalement coopérer avec les autorités américaines.
Comprenez bien une chose, c’est qu’ici, on parle d’un renoncement de Binance à la pleine possession de l’entreprise, chaque opération, chaque transaction, tout sera scruté de A à Z par les autorités américaines pendant ces cinq années.
Les raisons ? Entre autres, conspiration, conduite d’une entreprise de transfert d’argent sans autorisation, non-respect des exigences contre le blanchiment d’argent, facilitations de transactions illicites… Bref, une liste bien fleurie.
Mais ce n’est pas tout, CZ va plaider coupable et va devoir lui-même payer une amende de 50 millions de dollars, dire adieu à son rôle au sein de l’exchange et renoncer à toute place chez Binance pendant minimum 3 ans.
Celui-ci a plaidé coupable pour non-respect des lois anti-blanchiment d’argent et accepte les sanctions qui ont été prises à son encontre. Pour l’anecdote, trois jours plus tôt, CZ disait ceci à propos du départ de Sam Altman, le fondateur d’OpenAI, notamment derrière ChatGPT.
« Savoir quand abandonner le contrôle d’une entreprise que vous avez fondée est l’une des décisions les plus délicates ».
Le roi est mort, vive le roi : Richard Teng, le nouveau patron de Binance
Ceci étant dit, c’est Richard Teng qui prendra la place de CZ. Vous vous demandez sans doute qui c’est ? C’est un Singapourien qui a travaillé notamment pour le gendarme monétaire de Singapour, ainsi qu’en tant que Chef de la réglementation pour la bourse de la cité-Etat.
Bref, c’est pas n’importe qui et avec lui, on risque de voir rapidement Binance rentrer dans le rang. Coïncidence ou pas, celui-ci est également membre du Word Economic Forum de Klaus Schwab, souvent pointé du doigt dans l’écosystème pour diverses raisons d’influence, de transparence, et de corruption.
En tout cas, il ne fait aucun doute que si Binance et CZ ont accepté ces sanctions, ce n’est pas pour rien. En effet, ça leur évite une procédure judiciaire encore plus longue et potentiellement avec une issue moins favorable.
À ce stade, pour eux, l’idée, c’est d’éviter la catastrophe et de sauver les meubles, et puisque la machine judiciaire américaine est en route, autant tenter de l’arrêter.
Maintenant pour CZ, c’est une autre paire de manche. Pour les accusations auxquelles il fait face, il risque jusqu’à 10 ans de prison. Par contre, il semble qu’il ait signé un accord incluant une renonciation à son droit de faire appel, à condition que sa peine ne dépasse pas 18 mois de prison. En clair, probablement que s’il passe par la case prison, ça ne devrait pas être pour trop longtemps.
Pour les conséquences que cela devrait avoir sur l’écosystème, il est encore trop tôt pour le dire. D’une part, il y a du pour et du contre. À court terme, il est possible que cette situation entraîne de nombreux soucis, puisque déjà tout, ça semble très difficile à monitorer, et ensuite, ça veut probablement vouloir dire un développement plus lent, une concurrence moins prononcée avec des acteurs plus frileux, ce qui est bien normal.
À long terme toutefois, on pourrait avoir un développement plus conventionnel de l’écosystème, qui pourra effacer petit à petit cette image de far-west qu’il a auprès des régulateurs et du grand public, pourquoi pas.
D’autre part, ça pourrait constituer un véritable coup de pied dans la fourmilière du game des exchanges et, il se peut que les dommages collatéraux soient nombreux et même que certains ne soient pas encore envisagés.
Et enfin, il faut bien se dire une chose, c’est que les autorités américaines n’en sont pas à leur coup d’essai sur ce genre de pratiques. Bon nombre d’entreprises se sont déjà vu infliger une surveillance rapprochée de la part du gouvernement américain, comme la société française Airbus par exemple.
Le mot de la fin
En clair, ça fait un moment que les États-Unis s’accordent un pouvoir extra-territorial important envers de grosses firmes étrangères, pour diverses raisons économiques et politiques, et Binance n’est que dans la continuité de tout ça.
Si vous voulez en savoir plus, je ne peux que vous recommander l’excellent thread d’Antoine aka Esprit Cryptique, membre éminent du Journal du Coin, qui dresse un excellent tableau de l’affaire et de ses potentielles conséquences.
Dans tous les cas, seul le futur nous dira comment tout cela va évoluer, mais il est indéniable qu’on est en train d’assister à de nombreux changements et, même s’il n’est plus trop permis d’en douter à l’heure actuelle, nous sommes bel et bien entré dans l’ère de la régulation, et il va falloir faire avec.