Lutte contre le blanchiment d’argent dans le monde crypto : évolutions réglementaires et obligations légales
Dans un écosystème financier en constante évolution, marqué par l’essor fulgurant des cryptomonnaies, la lutte contre le blanchiment d’argent prend une dimension à la fois globale et complexe. Les cryptomonnaies, par leur nature décentralisée et leur potentiel d’anonymat, ont ouvert de nouveaux horizons pour les transactions financières.
Cependant, elles ont également introduit des défis inédits en matière de réglementation et de conformité, notamment dans la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme (LCB-FT). Face à ces enjeux, les autorités réglementaires du monde entier s’efforcent d’adapter leurs cadres législatifs pour encadrer efficacement le marché des actifs numériques, tout en préservant l’innovation et la croissance économique.
Panorama des défis réglementaires et de conformité dans le secteur des cryptomonnaies
Le secteur des cryptomonnaies, par sa nature innovante et sa rapidité d’évolution, présente des défis uniques en matière de réglementation et de conformité. Ces défis sont exacerbés par l’anonymat relatif qu’offrent certaines cryptomonnaies et la complexité des transactions transnationales, rendant la lutte contre le blanchiment d’argent particulièrement ardue.
L’un des principaux défis réside dans l’anonymat et la transnationalité des transactions en cryptomonnaies. Contrairement aux systèmes financiers traditionnels où les transactions peuvent être tracées et les parties identifiées grâce à des mécanismes de vérification d’identité (KYC), les cryptomonnaies permettent souvent des transferts de valeur anonymes ou pseudonymes à travers les frontières sans contrôle centralisé. Cela crée une opportunité pour les acteurs malveillants d’exploiter ces actifs pour le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Les incidents récents mettent en lumière la nécessité d’une réglementation renforcée. Par exemple, la plateforme de cryptomonnaies Binance a été frappée par une amende « délibérément élevée » de 4,3 milliards de dollars pour non-respect de la loi américaine sur le secret bancaire, parmi d’autres infractions (IDnow). Ces cas soulignent les risques associés à l’absence de contrôles adéquats et la nécessité pour les plateformes de cryptomonnaies d’adopter des mesures de conformité robustes.
Évolution du cadre réglementaire européen
L’Union Européenne a pris des mesures significatives pour encadrer le secteur des cryptomonnaies et renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Au cœur de ces efforts se trouve la Cinquième Directive Anti-Blanchiment (5AMLD), qui représente un tournant dans la réglementation des cryptomonnaies au sein de l’UE.
La 5AMLD, adoptée en juillet 2018, impose aux prestataires proposant des services sur des cryptomonnaies (actifs numériques en droit français) des obligations de diligence raisonnable à l’égard de leur clientèle, similaires à celles des institutions financières traditionnelles. Cela inclut l’identification et la vérification de l’identité de leurs clients, la surveillance des transactions, et la déclaration des opérations suspectes aux autorités compétentes. Cette directive a été transposée en droit français par la loi PACTE du 22 mai 2019 et l’ordonnance du 12 février 2020.
Les implications de la 5AMLD pour les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) sont considérables. Pour se conformer à la directive, les plateformes de cryptomonnaies et les fournisseurs de portefeuilles doivent mettre en place des systèmes et des procédures robustes pour effectuer la vérification d’identité de leurs clients, surveiller les transactions, et coopérer avec les autorités en fournissant des informations sur les transactions suspectes. Cette conformité nécessite des investissements significatifs en technologie et en ressources humaines, ainsi qu’une adaptation continue aux évolutions réglementaires.
Enfin, dans la continuité de ces textes, le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) qui vise à réguler les marchés de crypto-actifs dans l’Union Européenne est entré en vigueur le 29 juin 2023. Le règlement MiCA complète la directive anti-blanchiment précitée en fournissant un cadre réglementaire spécifique pour les crypto-actifs.
Ce règlement exige notamment des PSAN qu’ils mettent en place des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent (vigilance à l’égard de la clientèle, déclaration des transactions suspectes…).
Évolution du cadre réglementaire mondial
Le Japon est souvent considéré comme un pionnier dans la réglementation des cryptomonnaies, ayant reconnu le bitcoin comme moyen de paiement légal dès 2017. La réglementation japonaise, supervisée par l’Agence des Services Financiers (FSA), impose aux plateformes d’échange de cryptomonnaies de s’enregistrer et de se conformer aux normes strictes en matière de sécurité et de protection des consommateurs. Cette approche réglementaire favorable a fait du Japon un marché majeur pour les cryptomonnaies, favorisant l’innovation et l’adoption par les consommateurs tout en établissant des mécanismes de protection contre les abus.
À l’opposé, la Chine a adopté une position nettement plus restrictive envers les cryptomonnaies, interdisant les ICO en 2017 et fermant les plateformes d’échange locales. Plus récemment, la Chine a intensifié ses efforts pour éliminer le minage de cryptomonnaies et restreindre le commerce de cryptomonnaies, invoquant des préoccupations environnementales et des risques financiers. Cette approche répressive a eu un impact considérable sur le marché global des cryptomonnaies, entraînant des fluctuations de prix et poussant les opérations de minage et les investisseurs vers d’autres juridictions plus accueillantes.
L’approche réglementaire divergente de ces juridictions clés a contribué à un paysage mondial fragmenté pour les cryptomonnaies, où les entreprises et les investisseurs doivent naviguer à travers une mosaïque de réglementations. Cela a également stimulé l’innovation dans le domaine de la conformité réglementaire, les entreprises cherchant à développer des solutions qui peuvent s’adapter à différents cadres réglementaires. En outre, ces politiques ont influencé la distribution géographique des activités liées aux cryptomonnaies, telles que le minage et les échanges, affectant ainsi la dynamique du marché global.
Recommandation du GAFI
Le Groupe d’Action Financière (GAFI), une autorité intergouvernementale établie pour établir des normes mondiales dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, a joué un rôle crucial dans la formulation de recommandations spécifiques aux activités liées aux cryptomonnaies. Ces recommandations visent à assurer une approche coordonnée et efficace à l’échelle mondiale pour réguler le secteur des cryptomonnaies et prévenir leur utilisation à des fins illicites.
Les recommandations du GAFI sur les cryptomonnaies se concentrent sur plusieurs aspects clés :
– La transparence des transactions : Le GAFI recommande que les informations sur les parties prenantes des transactions en cryptomonnaies soient collectées et partagées entre les prestataires de services pour faciliter la traçabilité des fonds.
– La diligence raisonnable des clients (KYC) : Les prestataires de services sur actifs numériques doivent identifier et vérifier l’identité de leurs clients, similairement aux exigences imposées aux institutions financières traditionnelles.
– La surveillance et le signalement des transactions suspectes : Les opérateurs de cryptomonnaies sont tenus de surveiller les transactions et de signaler celles qui semblent suspectes aux autorités compétentes.
L’adoption des recommandations du GAFI varie d’un pays à l’autre, reflétant les différences dans les cadres réglementaires nationaux et l’approche globale envers les cryptomonnaies.
L’UE a intégré les recommandations du GAFI dans ses directives, notamment la 5AMLD, qui étend les obligations de LCB-FT aux prestataires de services sur actifs numériques. Cela inclut l’obligation pour ces prestataires de mettre en œuvre des procédures de diligence raisonnable des clients et de signaler les transactions suspectes. Les États-Unis aussi ont adopté les recommandations du GAFI, Le FinCEN (Financial Crimes Enforcement Network) exige désormais des prestataires de services sur actifs numériques qu’ils enregistrent leurs activités et se conforment aux obligations de LCB-FT, y compris le signalement des activités suspectes et la mise en œuvre de programmes de conformité internes. Et en Asie des pays comme le Japon ont pris des mesures proactives pour réguler le secteur des cryptomonnaies en se conformant aux directives du GAFI. Le Japon, en particulier, a établi un cadre réglementaire qui oblige les plateformes d’échange de cryptomonnaies à s’enregistrer et à se conformer aux normes de LCB-FT.
Les réponses du secteur aux exigences réglementaires et de conformité
Face aux défis posés par les évolutions réglementaires dans le domaine des cryptomonnaies, le secteur a dû s’adapter rapidement pour répondre aux nouvelles exigences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de conformité. Les acteurs de l’industrie des cryptomonnaies, des plateformes d’échange aux fournisseurs de services de portefeuille, ont mis en œuvre une série de mesures pour assurer leur conformité avec les réglementations internationales et nationales.
Par exemple, PwC a développé Blockchain Facts, une plateforme spécifique dédiée à l’analyse des transactions et des portefeuilles crypto pour aider les entreprises à se conformer aux exigences LCB-FT. Cette solution illustre comment les acteurs du secteur adoptent des outils spécialisés pour répondre aux défis de conformité.
Les plates-formes ne respectant pas les exigences réglementaires, sont en revanche frappées par des amendes très lourdes. Par exemple Binance a dû payer une amende de 4,3 milliards de dollars pour diverses infractions, notamment le non-respect de la loi américaine sur le secret bancaire et le défaut de déclaration d’une activité d’établissement de paiement.
L’avenir du secteur des cryptomonnaies dépendra en grande partie de la capacité des régulateurs et des acteurs du marché à naviguer dans le paysage complexe de la conformité réglementaire tout en favorisant l’innovation. En adoptant une approche collaborative, en harmonisant les réglementations à l’échelle mondiale, et en investissant dans des technologies de conformité avancées, il est possible de créer un écosystème des cryptomonnaies sûr, transparent et prospère.