Crypto-actifs : synthèse du rapport Landau
Le Ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a confié en début d’année 2018 à Jean-Pierre Landau le soin de réaliser une analyse approfondie de l’état des cryptomonnaies. Le rapport a été achevé et publié le 4 juillet 2018. Il est composé de 107 pages et traite de nombreux sujets, allant du statut juridique et financier des actifs à l’impact des cryptomonnaies sur la stabilité financière, en passant par la régulation des plateformes.
Dès l’introduction, nous comprenons que M. Landau se place en tant que pro-blockchain, mais reste assez sceptique sur le devenir des cryptomonnaies. Il indique par exemple avoir :
« La volonté de dissocier l’innovation technologique, qu’il faut encourager et stimuler, de l’innovation monétaire et financière, à considérer avec prudence ».
Il analyse et justifie l’engouement autour des cryptomonnaies comme résultant d’un progrès technique réel, d’un profond mouvement de société et d’une conjecture financière très accommodante. Par « profond mouvement de société », il faut comprendre un développement de courants libertariens matérialisés par le rejet des systèmes centralisés et normalisés, une sorte de révolte anti-système.
Cet attrait pour les cryptomonnaies toucherait deux types de population :
- Les jeunes passionnés par la technologie ;
- Les jeunes entrepreneurs et investisseurs ayant le goût de l’entreprise et du risque, qui par la suite, durant l’été 2017, ont été rejoints par une catégorie plus traditionnelle d’investisseurs.
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Pas de réglementation pour les cryptomonnaies
Selon M. Landau :
« Il n’est ni souhaitable, ni nécessaire de réguler directement les cryptomonnaies, car cela obligerait à définir, à classer et donc à rigidifier des objets mouvants et encore non-identifiés ».
Il identifie trois dangers qui résulteraient d’une réglementation. D’abord, cela figerait dans les textes l’évolution rapide de la technologie, ce qui pourrait conduire à paralyser le progrès. Il pourrait en résulter une erreur de qualification sur la nature de l’objet à réglementer, entraînant une évasion réglementaire vers des pays plus accueillants.
Ainsi, mis à part les mesures prévues pour la lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme, la réglementation des cryptomonnaies se doit d’être technologiquement neutre, en s’adressant aux acteurs et non aux produits eux-mêmes. Cela permettrait de créer un environnement favorable au développement de la technologie, en laissant les cryptomonnaies et les innovations qu’elles portent se développer dans leur propre espace.
Son objectif pour la France est clair : préserver les bénéfices de l’innovation technologique et protéger l’intégrité des marchés.
Tirer profit de la technologie blockchain
Nous comprenons que l’objectif pour l’État et les acteurs extérieurs à la sphère crypto est de profiter simplement des avancées technologiques, tout en se préservant de leurs craintes liées à l’émergence des cryptomonnaies. D’ailleurs, le rapport traite de l’intérêt de développer des blockchains privées et d’émettre des tokens dans le cadre des services publics. Il incite de plus le gouvernement à mettre en place un tel système pour l’organisation de la billetterie des Jeux Olympiques de 2024. L’idée semble louable, mais il n’est pas sûr que les crypto-enthousiastes se satisfassent d’une blockchain privée et centralisée…
Une nécessaire protection du système financier actuel
M. Landau propose de limiter strictement l’exposition du secteur financier aux cryptomonnaies, puisque tolérer cette exposition aurait des conséquences graves telles qu’affaiblir la sécurité de l’épargne, permettre un transfert de risque des investisseurs informés vers les particuliers, et créer un risque général pour la stabilité financière. Les régulateurs devraient alors clairement décourager les gestionnaires d’actifs de créer de nouveaux produits financiers se rapportant aux cryptomonnaies et d’inclure ces actifs dans des organismes de placement collectif grand public.
Construction d’un cadre fiscal et comptable
Pour ce qui intéresse le plus les acteurs du monde crypto, le rapport tente une clarification des pratiques et du cadre réglementaire. M. Landau a conscience que l’incertitude légale actuelle est défavorable au développement des activités.
S’agissant des gains liés à l’achat et à la vente de cryptomonnaies, il convient d’adopter un régime proche, voire similaire, de celui qui s’applique aux opérations en devises. En ce qui concerne les particuliers, il reprend et rappelle ici simplement la décision du Conseil d’État du 26 avril 2018. Pour les entreprises, le taux d’IS normal s’applique sur les gains de cession, c’est-à-dire 33%. Cette approche fiscale est d’ailleurs en contradiction avec le discours tenu à l’encontre des cryptomonnaies, qui ne sont pas considérées comme étant des monnaies, mais se voient appliquer le régime commun aux opérations de change inter-devises.
S’agissant des initial coin offerings, du point de vue de l’émetteur, l’objectif est d’aligner le rythme de constatation des revenus liés à l’émission de tokens (et donc de leur imposition) sur toute la durée nécessaire au développement du bien ou du service, puisque « un assujettissement prématuré à l’impôt sur les sociétés risquerait d’entraver la production du bien ou du service considéré ». Il propose alors des solutions au niveau comptable et fiscal pour y parvenir, mais fait la distinction entre les utility tokens et les securities tokens. Pour ces derniers, ce sont les règles de comptabilisation et de fiscalité des valeurs mobilières qui ont vocation à s’appliquer.
Du point de vue des investisseurs, M. Laudau propose un traitement différencié selon que les souscripteurs de tokens les détiennent durablement ou non, et selon que ces crypto-actifs répondent effectivement à la production ou à la fourniture de biens ou de services de l’entité émettrice. Ainsi, en cas de détention durable et production ou fourniture d’un bien ou d’un service, le détenteur pourrait bénéficier d’un régime d’exonération lors de la cession. Pour les tokens ne répondant pas à ces deux conditions, le détenteur occasionnel se verrait appliquer un taux forfaitaire de 40,2%, quant aux cessions à titre habituel un taux marginal pouvant aller jusqu’à 62,2% s’appliquerait.
Mise en place d’un agrément unique pour les plateformes
Selon M. Landau, il est nécessaire et urgent de proposer un statut expérimental pour les plateformes d’échange, il estime que celles-ci « sont les principaux points de contact entre le monde crypto le système financier ; elles sont particulièrement vulnérables aux risques de détournement, de blanchiment et d’intégrité de marché ». Il propose alors la mise en place d’un statut spécifique portant agrément unique des prestataires de services en cryptomonnaies, dont les obligations afférentes seraient fonction des services proposés par la plateforme. Ce statut expérimental aurait vocation à s’effacer devant un statut européen unique de type « Euro BitLicense » dans les 2 à 3 ans à venir.
En conclusion, oui, le rapport est pédagogique et clair, il est à la portée des politiques à qui justement il est destiné. Mais nous pouvons lire entre lignes, ou parfois textuellement, que l’auteur n’est pas un crypto-enthousiaste. En effet, M. Landau s’applique à expliquer le fonctionnement et la portée des cryptomonnaies, mais ponctue ses réflexions avec des affirmations qui ne sont pas toujours cohérentes avec les faits allégués précédemment. Il estime que les cryptomonnaies ne sont pas efficientes et ne sont pas adaptées à une utilisation par un grand nombre de personnes, mais il oublie de détailler les projets d’amélioration tels que le Lightning Network, Plasma sur Ethereum et les blockchains de troisième génération comme EOS.
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