Tether à l’heure de la transparence
A quelques nuances près. Je vous préparais un article bien cossu sur les possibles manipulations du cours du BTC à l’aide de l’USDT, en détaillant les conclusions de l’étude « Is Bitcoin Really Un-Tethered ? » parue la semaine dernière. Et puis Tether a lancé une petite bombe médiatique hier en fin d’après-midi : ils ont rendu public un audit de leurs réserves pour prouver que leurs USDT sont réellement soutenus par de réels dollars sur des comptes en banque, une façon également de contrer les conclusions de l’étude précédemment citée, peut-être.
J’étais vraiment dégoûté, très franchement. Un week-end entier à creuser une étude, pour vous la présenter, et voir ses conclusions réduites à néant par la publication d’un audit comptable complet et totalement accessible, j’en ai pleuré, quel gâchis. Oui, sauf que… cet audit n’est ni réellement comptable, ni totalement accessible.
Alors j’ai décidé de ne pas jeter mon article initial, et de lire cet audit en question.
Vous pouvez le trouver ici : régalez-vous, la lecture vaut son pesant de cacahuètes.
L’audit en question est réalisé par Freech, Sporkin et Sullivan LLP, que nous appellerons FSS au cours de l’article. Première particularité : Il s’agit d’une firme d’avocats-conseil, et pas d’un cabinet d’experts comptables ; lequel aurait été probablement le plus indiqué pour la réalisation d’un audit dans les règles de l’art, lui seul à même de lever tout doute.
Le rapport d’audit démarre fort, avec une utilisation offensive d’un argument d’autorité, expliquant que parmi les fondateurs de la firme FSS figurent 3 juges fédéraux dont un ancien directeur du FBI. J’imagine qu’il faut être impressionné à ce moment de la lecture, mais rien dans le rapport ne dit nommément que ces personnalités ont réalisé eux-mêmes l’audit en question.
Ensuite, un des partenaires dirigeants de la firme FSS est présenté comme étant également conseiller d’une des deux banques de Tether, banques dont nous n’apprendrons rien car elles ne sont pas nommées, simplement désignées par les diminutifs de « Banque 1 » et « Banque 2 », ce qui serait quand même un peu léger pour n’importe quelle publicité bancaire, même pour une néo-banque Internet, et l’est encore plus dans un contexte aussi fondamental qu’un audit. Cette situation de partenaire conseiller pourrait sonner une cloche à certains esprits chagrins, qui crieraient sans doute au possible conflit d’intérêt. C’est vraiment avoir l’esprit mal tourné, alors que la firme présente plutôt la situation comme étant positive car elle permettrait un audit plus naturel et un meilleur accès aux données souhaitées. Chacun se fera son avis.
Les documents bancaires fournis par Tether au cabinet sont spécifiés : cassons tout suspense immédiatement, il s’agit quasi exclusivement de documents d’enregistrement et réglementaires auprès de diverses institutions législatives, type documents AML, mais aucun relevé complet et intégral des mouvements de fonds bancaires n’est spécifié de façon claire, ou alors tout juste peut-on le deviner (avec de la bonne volonté) sous l’intitulé de « financial information related to Tether ».
La firme explique sa technique de monitoring des fonds : il ne s’agit donc dans les faits que d’un snapshot des balances des comptes bancaires de Tether, selon des informations fournies par Tether ou une tierce partie (entendre les banques de Tether). Les données ont été certifiées, certes, mais là encore pas par la firme ou des comptables, mais par le Chief Financial Officer et le General Counsel de Tether.
Je me limiterais à noter que le rapport d’audit dit avoir vérifié les soldes disponibles des comptes bancaires et les avoir mis en parallèle avec le nombre total d’USDT émis par Tether (fourni par Tether) pour vérifier si les USDT étaient réellement backés par de vrais dollars. Pour cela, la firme a vérifié les deux soldes à la date du 1 juin 2018. A cette date, il y aurait eu un total de 2 538 090 823,52 USDT jamais émis, tous backés. Une situation merveilleuse… Mais incohérente avec la situation décrite par les auteurs de l’étude « Is Bitcoin Really Un-Tethered ? », qui comptabilisaient de leur côté déjà 2,99 milliards d’USDT émis en Février 2018, comptabilisés précisément à l’aide des données de la blockchain Tether-même.
Pour finir, la firme FSS conclut l’étude en précisant un certain nombre de réserves qu’il faut bien garder à l’esprit, notamment qu’ils n’ont pas mené cet audit selon les règles comptables habituellement exigibles dans un tel contexte (« FSS is not an accounting firm and did not perform the above review and confirmations using Generally Accepted Accounting Principles »).
Pas sûr dans ces conditions que ce rapport rendu public ne disperse le flou qui entoure Tether Ltd. et son crypto-actif, l’USDT. En tout cas, je vous confirme la publication à venir de ma revue de l’article de recherche sur le lien possible entre USDT et manipulation du cours du BTC.
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Sources : Twitter ; Cryptovest ; Tether ; Cryptovest || Images from Shutterstock