Cryptomonnaies et vie privée : la coalition règlementaire tuera-t-elle Bitcoin en France ?

Cryptomonnaies sous haute surveillance. Dans un contexte mondial où la transparence est érigée en vertu cardinale, l’Union européenne entame un virage règlementaire qui risque de bouleverser notre écosystème crypto. En ligne de mire : les crypto actifs dits « confidentiels » et les technologies qui permettent d’agir dans l’ombre du système financier traditionnel. Si l’objectif affiché est clair – lutter contre le blanchiment d’argent et le crime organisé –, les implications en matière de libertés fondamentales posent question. S’achemine-t-on vers une criminalisation de la vie privée et de l’anonymat ? On fait le point.

Les points clés de cet article :

  • L’Union européenne a entamé un virage règlementaire visant à bannir les actifs numériques anonymes, soulevant des questions sur les libertés fondamentales.

  • La France a adopté la loi « Narcotrafic » qui impose une transparence patrimoniale stricte et une présomption de blanchiment pour certaines cryptomonnaies.


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France : La loi « Narcotrafic » sonne le glas de la confidentialité

Adoptée dans un climat d’urgence sécuritaire le 29 avril 2025, la loi « Sortir la France du piège du narcotrafic » fait bien plus que renforcer l’arsenal contre les trafiquants. Elle redessine le paysage juridique du numérique en France, avec des conséquences majeures pour les utilisateurs de cryptomonnaies soucieux de leur vie privée.

Le texte, porté par une rhétorique de lutte contre la criminalité organisée, étend considérablement les pouvoirs répressifs. Et, c’est bien là le problème.

  • Présomption de blanchiment automatique : L’utilisation d’un crypto-actif intégrant une fonction d’anonymisation tel que Monero ou Zcash, ou simplement d’un portefeuille auto-hébergé, peut suffire à déclencher une enquête pour blanchiment. L’utilisateur doit désormais prouver qu’il est innocent, inversant ainsi le principe fondamental de la présomption d’innocence.
  • Obligation de transparence patrimoniale : Toute personne suspectée doit déclarer l’origine de ses actifs, sans que les autorités aient besoin d’apporter la preuve d’une infraction préalable. Le refus de coopérer constitue désormais une infraction autonome.
  • Saisies conservatoires sans jugement : Les autorités douanières peuvent bloquer, geler ou confisquer des cryptomonnaies sans décision judiciaire, simplement sur la base d’un soupçon ou d’un « usage dissimulatif » présumé.

Ces mesures dérogatoires au droit commun créent un précédent juridique dangereux : le texte instaure une criminalisation de la vie privée par défaut. Le simple usage d’un outil de confidentialité, conçu à l’origine pour protéger l’utilisateur, est interprété comme un indice de culpabilité.

Ce basculement a des implications profondes : il rompt avec des principes constitutionnels établis, tels que la présomption d’innocence, le droit au silence et le respect de la vie privée. Il substitue à l’État de droit une logique de suspicion algorithmique, où l’outil devient la preuve, et l’anonymat, un motif d’incrimination.

En creux, cette loi révèle une peur croissante de ce que le numérique rend invisible. Mais cette invisibilité est parfois un refuge nécessaire : pour les activistes, les lanceurs d’alerte, ou tout simplement les citoyens soucieux de ne pas exposer leur patrimoine à des risques physiques. En confondant dissimulation légitime et dissimulation frauduleuse, la France engage un bras de fer juridique et éthique avec l’un des piliers de la démocratie : la liberté.

Dans les détails, c’est notamment l’amendement l’article 4 de la loi « Sortir la France du piège du narcotrafic » adopté dans sa version issue des travaux de la commission mixte paritaire (CMP) qui questionne.

« Cet amendement poursuit le travail entamé par la commission des lois afin de préciser et renforcer la répression du blanchiment, qui est un élément central dans la lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic.

En premier lieu, il opère une clarification afin de préciser que les délits de blanchiment et la présomption qui y est attachée, prévus par le code pénal et par le code des douanes, sont applicables aux opérations effectuées au moyen de crypto-actifs anonymisés ou de mixeurs. Cette précision est conforme à l’état de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

En deuxième lieu, il propose de supprimer l’extension de la présomption d’origine illicite des fonds prévue par le code pénal aux « opérations d’exportation, d’importation, de transfert ou de compensation », qui n’est pas satisfaisante. Un tel ajout procède d’une confusion avec les éléments constitutifs du délit de blanchiment douanier, qui sont distincts de ceux du délit de blanchiment général prévu par le code pénal. Par essence, la présomption ne peut porter que sur les éléments constitutifs de l’infraction d’origine. Or les opérations d’exportation, d’importation, de transfert ou de compensation ne figurent pas en tant que tels dans les éléments constitutifs du délit de blanchiment prévu par le code pénal. »

Source : Sénat

AMLR et cryptomonnaies : Bruxelles bannit les cryptos anonymes

À l’échelle continentale, le couperet réglementaire s’abat de façon encore plus décisive. L’Anti-Money Laundering Regulation (AMLR), pierre angulaire du nouveau paquet législatif européen contre le blanchiment, entrera en vigueur le 1er juillet 2027. Ce texte monumental, dont l’article 79 fait déjà couler beaucoup d’encre, vise à éradiquer toute opacité dans l’usage des cryptomonnaies.

Les mesures sont d’une rare sévérité :

  • Interdiction des cryptomonnaies anonymes encore une fois : Les actifs axés sur la confidentialité comme Monero (XMR), Zcash (ZEC) ou Dash seront tout simplement bannis de l’UE. Leur utilisation, leur possession et leur échange via des plateformes régulées deviendront illégaux.
  • Suppression des comptes anonymes : Tous les CASPs (Crypto-Asset Service Providers, c’est-à-dire des Fournisseurs de Services Crypto) devront supprimer les comptes non vérifiés. Fini les adresses pseudonymes : chaque identité devra être connue, enregistrée et associée à une preuve tangible.
  • Supervision centralisée par l’AMLA : Une nouvelle autorité paneuropéenne, l’AMLA (Anti-Money Laundering Authority), supervisera directement 40 acteurs majeurs de l’écosystème crypto opérant dans au moins six États membres. Les critères ? Un volume de transactions supérieur à 50 millions d’euros ou plus de 20 000 utilisateurs dans un seul pays.

En complément, l’AMLR instaure une vérification d’identité obligatoire pour toute transaction crypto dépassant 1 000 €. Cette exigence ne s’applique pas uniquement aux plateformes centralisées mais pourrait s’étendre aux portails décentralisés (DEX), aux protocoles de finance décentralisée (DeFi), voire à certains smart contracts, en fonction de leur niveau de « gouvernance responsable ».

Cette extension réglementaire touche donc au cœur de l’innovation Web3. À travers la traçabilité forcée, Bruxelles tente d’imposer au monde numérique les logiques de conformité du système bancaire classique.

Pour de nombreux acteurs du secteur, les conséquences s’annoncent profondes pour les cryptomonnaies :

  • Délisting des cryptos anonymes par anticipation, pour éviter les sanctions.
  • Exode des projets crypto européens vers des zones plus accueillantes, telles que les Émirats, Hong Kong ou le Panama.
  • Remise en cause de la souveraineté technologique européenne dans un secteur clé de l’économie numérique du futur.

Selon Vyara Savova, responsable des politiques à l’Initiative Européenne sur les Cryptomonnaies (EUCI), l’orientation est définitive : « Les règles sont finalisées. Seuls les actes d’application restent à écrire, mais la direction est claire : l’Europe ne veut plus d’anonymat. » Nous l’expliquions déjà dans cet article publié la semaine dernière.

En somme, l’AMLR incarne une rupture : elle consacre une vision de l’espace numérique où chaque transaction, chaque utilisateur, chaque protocole doit pouvoir être tracé, identifié, audité. Une logique de transparence radicale qui, pour certains, flirte avec le contrôle totalitaire.

« Les établissements de crédit, les établissements financiers et les prestataires de services sur crypto-actifs sont interdits de détenir des comptes bancaires et de paiement anonymes, des livrets anonymes, des coffres-forts anonymes ou des comptes de crypto-actifs anonymes, ainsi que tout autre compte permettant l’anonymisation du titulaire du compte ou l’anonymisation ou l’offuscation accrue des transactions, y compris par le biais de pièces de monnaie renforçant l’anonymat.

Les propriétaires et les bénéficiaires de comptes bancaires ou de paiement anonymes existants, de livrets anonymes, de coffres-forts anonymes détenus par des établissements de crédit ou des établissements financiers, ou de comptes de crypto-actifs, sont soumis à des mesures de vigilance à l’égard de la clientèle avant que ces comptes, livrets ou coffres-forts ne soient utilisés de quelque manière que ce soit. »

Règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 établissant les règles de prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (AMLR), article 79.

Un glissement juridique inquiétant

On peut bien sûr comprendre la nécessité de lutter contre les circuits occultes du financement illicite. Mais encore faut-il que le remède ne soit pas pire que le mal. Or, c’est précisément ce que redoutent de nombreux juristes et acteurs du numérique. Car si l’objectif de l’AMLR et des législations nationales est clair, la méthode, elle, fait grincer les principes fondamentaux du droit européen.

Premier écueil : la présomption d’innocence, socle de tout État de droit, se voit dangereusement fragilisée. Dans ce nouveau paradigme, ce n’est plus à l’État de prouver que vous blanchissez de l’argent – c’est à vous, simple citoyen, de prouver que vous n’en blanchissez pas. Une logique inversée qui contredit le principe énoncé à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Deuxième entorse : la liberté d’entreprendre. Les développeurs d’outils de confidentialité – portefeuilles auto-hébergés, protocoles d’anonymisation, mixeurs open-source – se retrouvent dans une zone grise, juridiquement vulnérables. À défaut de clarification, proposer un service protégeant la vie privée pourrait bientôt relever du délit technologique.

Enfin, l’un des piliers du droit numérique européen est, lui aussi, mis à mal : la neutralité technologique. Ce principe stipule que la loi doit s’appliquer aux usages, non aux outils. Or, en criminalisant des fonctionnalités (comme le masquage d’adresse ou le coinjoin), l’UE franchit un cap. Ce n’est plus l’usage qui fait le crime, mais la simple possibilité de se protéger.

Le problème ne réside pas uniquement dans l’intention, mais dans l’imprécision terminologique. L’AMLR évoque des « fonctions d’anonymisation » sans les définir. Que désigne-t-on exactement ? Les cryptos anonymes ? Les navigateurs Tor ? Les VPN ? Les multisigs ? Les cold wallets ? Cette opacité ouvre la voie à une application arbitraire, où tout outil de protection pourrait devenir suspect – voire interdit – sur simple présomption.

Autrement dit, nous glissons d’une régulation des comportements vers une surveillance des intentions. Et cela, dans une Europe qui se voulait jusqu’alors bastion du numérique éthique et des libertés numériques.

Cryptomonnaies : Une industrie européenne sous pression

Si les implications juridiques de l’AMLR et des lois nationales inquiètent, leurs répercussions économiques et industrielles s’annoncent tout aussi alarmantes pour les cryptomonnaies. En misant sur une régulation ultra-stricte de la vie privée numérique, l’Union européenne risque de se tirer une balle dans le pied sur le front de l’innovation Web3.

Première conséquence directe : le délisting anticipé des actifs confidentiels. De nombreuses plateformes d’échange européennes, soucieuses de ne pas tomber sous le coup de futures sanctions, commencent à exclure préventivement des actifs comme Monero ou Zcash de leurs catalogues.

Dans le sillage, ce sont les projets Web3 centrés sur l’anonymat – mixeurs, portefeuilles auto-hébergés, blockchains confidentielles – qui plient bagage. Dubaï, Hong Kong, Singapour ou même le Salvador apparaissent comme des havres de neutralité technologique, attirant les cerveaux et les capitaux fuyant le carcan européen. Le risque ? Une véritable fuite des talents crypto, déjà amorcée, qui pourrait transformer l’Europe en désert technologique dans un domaine pourtant stratégique pour la souveraineté numérique.

Et puis il y a l’utilisateur final. Vous, moi. Celui qu’on prétend protéger. Pour beaucoup, la confiance est rompue. La perception croissante d’une surveillance généralisée pousse de plus en plus d’Européens à éviter les services régulés, voire à se tourner vers des alternatives underground. Ironie du sort : en voulant encadrer l’usage des cryptos, l’UE pourrait renforcer leur emploi hors radar.

Ce durcissement réglementaire s’inscrit dans une dynamique plus large, symbolisée notamment par l’amende record de 530 millions d’euros infligée à TikTok par l’Irlande pour transfert illégal de données vers la Chine. Mais là où la sanction visait une entreprise pour infraction prouvée, la nouvelle logique frappe des technologies avant même qu’un usage illégal ne soit démontré.

En ce sens, la confidentialité numérique n’est plus perçue comme un droit à garantir, mais comme un risque à éliminer. Ce glissement conceptuel transforme l’anonymat en anomalie, et la prudence technologique en suspicion automatique. L’Europe, en voulant s’ériger en modèle de régulation, risque de devenir l’exemple à ne pas suivre.

Une coalition réglementaire qui tue Bitcoin

Cette impasse, Alexandre Stachtchenko la résume avec une lucidité implacable. Dans une alerte publiée en mai 2025, il expose une vérité dérangeante : selon les dernières directives du Comité Européen de la Protection des Données (EDPB), une clé publique peut être considérée comme une donnée personnelle. Or, comme la blockchain est immuable, les informations on-chain ne peuvent être effacées, ce qui rend Bitcoin – par essence – incompatible avec le droit à l’effacement garanti par le RGPD.

La solution proposée ? L’anonymisation préalable. Sauf que cette solution est elle-même rendue illégale par les lois anti-blanchiment (AMLR, TFR, loi française sur le narcotrafic) que nous avons évoqué auparavant. Résultat : utiliser Bitcoin sans enfreindre le RGPD est impossible, mais l’anonymiser est criminel. C’est la collision de deux régulations qui, sans le dire, rendent Bitcoin illégal de fait en Europe.

Heureusement, ce n’est pas encore une fatalité. Le Comité Européen de la Protection des Données a lancé une consultation publique sur ses lignes directrices. Tout citoyen européen peut y participer et défendre une vision cohérente et équilibrée de la vie privée numérique. Vous pouvez d’ailleurs accéder à la consultation officielle de l’EDPB via ce lien.

L’Europe, en criminalisant la confidentialité par principe, commet une erreur stratégique autant qu’éthique. Dans une société où l’anonymat devient suspect par défaut, ce n’est pas seulement la technologie qu’on bride, mais bien la démocratie qu’on fragilise.

Faut-il vraiment choisir entre sécurité et liberté ? La réponse est dans l’équilibre, pas dans l’exclusion. Au lieu de bannir les outils de confidentialité, encadrons-les. Distinguons l’usage délictueux de l’usage prudent. Et surtout, refusons de céder à la tentation du tout-contrôle, cette illusion de sécurité qui finit par tout absorber, même les droits fondamentaux.

Ne confondons pas ombre et obscurité : la vie privée n’est pas un crime. C’est le dernier rempart contre un monde où tout se sait, mais où plus rien ne se protège.

 

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Magali

De simple lectrice en 2017 à rédactrice en chef depuis septembre 2023, j'allie maintenant l'écriture à mes connaissances à travers mes articles pour Le Journal du Coin. Mon seul but est celui de vous informer sur l'univers de demain : celui de la blockchain, des cryptomonnaies, des NFT et du metaverse. Persuadée que Bitcoin est une révolution, j'entends participer à la vulgarisation de notre écosystème.