Les freins de l’adoption des cryptomonnaies en Afrique
Crypto-convaincue depuis longtemps déjà, il ne fait aucun doute pour notre équipe que Bitcoin et certains altcoins sont des solutions toutes trouvées pour répondre à de nombreux problèmes du continent africain. Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, n’hésitez pas à consulter la rubrique Afrique de notre journal. Cependant, malgré l’accélération de leur utilisation sur le continent, elles restent l’apanage d’une très faible minorité. Quels sont les facteurs qui freinent leur adoption ? Quels sont les défis à relever pour qu’elles s’adressent vraiment l’ensemble de la population ? C’est ce à quoi nous nous intéresserons dans cet article, en essayant d’identifier les différentes problématiques à résoudre pour qu’elles puissent entrer dans le quotidien de la majorité.
Nous partirons ici de constats relevés dans la vie de tous les jours, qui s’appuient sur l’expérience et sur quelques chiffres et rapports officiels. Cependant, si les propos de cet article ont vocation à susciter la réflexion, ils n’ont pas la prétention de représenter une vérité scientifique.
La magie des pourcentages
Avant de voir les différentes barrières à la démocratisation des cryptomonnaies, penchons-nous sur la situation actuelle.
En 2022, l’Afrique comptait environ 55 millions d’utilisateurs de cryptos pour une population d’environ 1 440 000 000 personnes, soit 3,8 % du total. La répartition des utilisateurs est très inégale suivant les pays et comprend une très grande majorité de personnes plus aisée que la moyenne. Le continent est donc légèrement en retrait par rapport aux 5,2 % de la population mondiale qui utilisent ces monnaies (425 millions d’utilisateurs pour 8 075 000 000 personnes).
Cependant, les chiffres peuvent faire penser à un intérêt qui explose avec des pourcentages à 7 chiffres, même si nous sommes encore très loin d’une adoption massive.
À titre d’exemple, l’application Manchakura, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et permet d’envoyer du bitcoin sur un téléphone sans internet, ne comptait il y a quelques mois que 2 900 utilisateurs. S’ils étaient 2 à son lancement, on peut parler d’une augmentation de 1 450 000 % actuellement.
Néanmoins, il est vrai que le nombre d’utilisateurs sur le continent a grandement augmenté ces dernières années. Intéressons-nous maintenant aux raisons qui laissent penser qu’il est toutefois probable que cette croissance fulgurante s’arrête rapidement et ne concerne qu’une minorité de personnes.
L’éducation et les connaissances
Les cryptomonnaies demandent des connaissances dans plusieurs domaines pour être utilisées. Sans avoir besoin d’être un expert, il faut cependant en maîtriser les bases pour pouvoir avoir accès à ces nouvelles monnaies.
L’alphabétisation, les langues étrangères et les mathématiques
Même les plus simples applications permettant de payer avec des cryptomonnaies demandent de savoir lire. Or, un simple coup d’œil à la carte ci-dessous permet de se rendre compte que ce n’est pas un savoir universel et que l’Afrique reste en retrait par rapport au reste du monde.
D’après un rapport de l’UNESCO de 2017, le taux d’alphabétisation en Afrique subsaharienne était de seulement 65 % en 2017 avec un taux plus faible chez les jeunes que chez les adultes. Et même si ces 65 % ont les bases de la lecture et de l’écriture, c’est 88 % des enfants et des adolescents au total qui ne seraient pas capables de lire efficacement (comprendre un texte simple).
De plus, à quelques rares exceptions près, les solutions existantes pour payer cryptomonnaies ne sont pas disponibles dans les langues locales. Il faut donc avoir des bases dans une langue étrangère. Par ailleurs, changer de monnaies impliquent de convertir, donc de savoir compter (avec ou sans l’aide d’une calculatrice), pour avoir une idée de la valeur des choses. Toujours d’après le rapport de l’UNESCO, 84 % des enfants et des adolescents ne maîtrisent pas les mathématiques censées être apprises à l’école primaire.
Cependant, il serait envisageable de faire adopter les cryptomonnaies à la population sans remédier au problème de l’éducation, en créant, par exemple, des applications à base de pictogrammes avec des convertisseurs intégrés. Mais sans éducation, il est peu probable qu’elle comprenne l’intérêt de ces nouvelles monnaies.
La force des habitudes
Lors du passage à l’euro, il a fallu plusieurs mois (voire plusieurs années) aux Français pour s’habituer à cette nouvelle devise. La grande majorité convertissait les euros en francs français pour pouvoir se faire une représentation mentale de l’importance de la somme et de la justesse des prix.
Aujourd’hui, il est très rare qu’une personne utilise encore le franc français, ne serait-ce que mentalement pour se faire une idée des prix. C’est de l’histoire ancienne.
À Madagascar, il en va autrement. Le pays a changé de monnaie en 2003 pour remplacer le franc malgache (FMG) par l’ariary (MGA). La conversion est simple : 5 francs malgaches = 1 ariary.
Aujourd’hui, la monnaie n’a plus cours, mais la majorité de la population continue d’utiliser le FMG dans la vie de tous les jours. Les prix affichés dans les commerces sont encore souvent traduits dans les deux unités et les prix annoncés à l’oral le sont, la plupart du temps, en FMG. Une grande partie de la population à moins de 20 ans et n’a donc jamais connu les FMG, mais parle d’argent en utilisant cette unité. Ainsi, en 20 ans, rien n’a réussi à faire changer les habitudes. Difficile, dans ce contexte, d’imaginer les Malgaches utiliser le Bitcoin comme monnaie de référence (à moins de le convertir en FMG).
La technologie et l’informatique
Utiliser des cryptomonnaies de manière sûre et décentralisée demande un minimum de connaissances en informatique.
Si de nombreuses personnes utilisent les réseaux sociaux en Afrique (Facebook, WhatsApp, …), une grande partie d’entre elles n’est pas capable d’installer elle-même les applications nécessaires ainsi que de créer et/ou restaurer un compte. C’est souvent un ami, un membre de la famille ou un prestataire (un cybercafé, par exemple) qui s’en charge.
Cela peut donc être un facteur de perte de fonds et d’arnaque en tout genre si la même démarche est adoptée pour les cryptomonnaies.
Les infrastructures
Pour être en mesure d’utiliser des cryptomonnaies, il faut du réseau internet ou téléphonique et de l’électricité pour pouvoir charger les appareils (téléphone, tablette ou ordinateur). Or, les délestages sont légion dans une grande partie du continent, certains pouvant durer plusieurs jours.
De la même manière, il est très fréquent d’avoir des coupures d’internet et/ou de réseau téléphonique, empêchant même l’utilisation de la technologie USSD. Si les cryptomonnaies étaient adoptées comme moyen d’échange au quotidien, cela poserait des problèmes, car les fonds des usagers seraient alors inaccessibles.
Le coût de l’usage des cryptomonnaies
Le coût des cryptomonnaies représente un frein à leur adoption par des personnes aux faibles revenus. Si elles doivent servir à payer et à épargner de manière à échapper aux banques et aux KYC, cela ne peut pas se faire sans support technologique (téléphone, smartphone ou ordinateur).
Or, d’après le journaldunet, le revenu moyen en Afrique s’élevait à 153 dollars US/mois par personne en 2019. Difficile dès lors d’envisager voir la majorité des gens investir dans du matériel de qualité, sans impacter considérablement leur budget.
Or, il est peu probable que les gens soient prêts à mettre leurs économies à l’abri dans des téléphones bas de gamme à l’espérance de vie très limitée.
De plus, les frais engendrés par des transactions (opérateur téléphonique ou internet, frais de gas, …), peuvent aussi être problématiques pour les opérations quotidiennes. En effet, il n’est pas rare d’avoir des transactions de quelques centimes seulement. Et les frais engendrés représenteraient un pourcentage exorbitant du montant.
La sécurité
Les cryptomonnaies soulèvent différents problèmes de sécurité, que ce soit celle des fonds ou celle des personnes.
Sécurité logicielle
Assurer la sécurité de ses fonds en cryptomonnaies rime avec wallet non custodial et protection contre les virus, les malwares et les attaques informatiques en tout genre.
Si vous avez lu les paragraphes précédents, vous comprendrez qu’il est compliqué d’envisager que la majorité de la population assurent la protection de ses fonds sans connaissances informatiques.
Sécurité des seed phrases
Pour ceux qui parviendraient malgré tout à détenir leur fonds de manière non custudial, il leur faudrait sécuriser leur seed phrase (ou code) pour pouvoir restaurer leur wallet en cas de problème.
Or, cela peut être problématique en ayant des conditions de vie précaires. Si vous avez du mal à vous représenter les conditions de vies des habitants d’Afrique en fonction de leurs revenus, vous pouvez visiter le site gapminder pour en avoir une idée plus concrète.
Pas toujours facile de conserver cette phrase (ou code) sur un support à l’abri du vol et des intempéries.
Sécurité des personnes
La richesse attire les convoitises, et il y a bien des situations où il n’est pas prudent de l’afficher.
C’est notamment le cas dans de nombreuses zones d’Afrique, où l’équivalent de quelques milliers (voire des centaines) d’euros suffit à susciter meurtre et kidnapping.
Les transactions faisant intervenir des montants importants ont souvent lieu en catimini et/ou sous bonne garde. Il n’est pas rare que les personnes n’étant pas assez discrètes sur les sommes qu’elles détiennent ou transportent soient victimes d’attaques à domicile ou durant leur déplacement.
Dans ce contexte, les cryptomonnaies peuvent poser problème. En effet, si les transactions ne sont pas 100 % anonymes et qu’il est possible de remonter à l’identité et/ou au solde du compte d’un individu, cela pourrait compromettre sa sécurité. D’autant plus si ses économies sont accessibles depuis son téléphone portable à l’aide d’un simple code.
L’intérêt des cryptomonnaies
Pour être adoptée massivement par la population, il faut que cette dernière y trouve des intérêts.
Pourquoi changer de monnaie quand on n’a pas d’argent ?
Avec plus de 430 millions de personnes vivant avec moins d’1,90 dollar US par jour, nombreux sont ceux qui n’ont pas la possibilité de s’intéresser à la finance et d’épargner. Il est peu probable que le fait de changer de monnaie (cryptos ou autre) y change quelque chose.
Si une grande partie de la population n’a pas la possibilité de contracter des crédits auprès des banques ou des institutions financières, ce système est déjà largement répandu entre particuliers et commerçants. La révolution promise par les cryptomonnaies à ce sujet n’en est donc pas vraiment une.
Pourquoi changer de système pour un service identique, mais plus cher ?
Le « mobile banking » est déjà très développé en Afrique. L’argent peut être envoyé (nationalement ou internationalement) et stocké sur des comptes liés à des numéros de téléphone, en utilisant internet ou la technologie USSD. De très nombreuses boutiques, implantées jusque dans les endroits les plus reculés, permettent de déposer ou retirer du cash à l’aide de ces comptes.
Les frais diffèrent suivant les pays et les opérateurs (Orange Money, TapTap Send…) et sont généralement assez élevés. Cependant, les frais offerts par les services permettant d’obtenir et d’échanger des cryptomonnaies le sont encore plus.
À titre d’exemple, la startup Machankura propose actuellement une solution pour pouvoir envoyer et recevoir des bitcoins à l’aide d’un simple téléphone et sans internet. L’entreprise prélève cependant 1 % du montant de chaque transaction. Pour alimenter le compte en Bitcoin à partir de monnaie fiat, il faut passer par des services de coupons prépayés, comme Azteco qui prélève 7 % du montant. L’échange de BTC contre des biens, des services ou des monnaies fiat donnent aussi lieu à des frais.
Les opérateurs mobiles présentent certes des limites, par exemple au niveau des montants maximum qu’il est possible d’envoyer (souvent quelques milliers d’euros par an), mais ceci ne handicape que la minorité capable d’échanger de telles sommes.
Par ailleurs, pour rejoindre le paragraphe sur l’éducation, certaines études ayant cherché à analyser les facteurs socio-économiques de l’adoption du mobile banking, tendent à démontrer que ce sont les personnes les mieux éduquées et déjà bancarisées qui les ont adoptées en majorité.
« (…) il importe de noter qu’au-delà des facteurs purement techniques, les caractéristiques socio-économiques, comme le genre, le niveau de ressources, le type d’activité économique mené, le niveau d’étude, etc., sont autant de facteurs importants dans la dynamique d’adoption du m-banking. »
Déclaration de Cairn.info
Cela permet de douter que les cryptomonnaies permettent d’inclure ceux qui restent en marge du système actuel.
La législation
Enfin, en Afrique comme ailleurs, les banques centrales et les régulateurs ne voient pas toujours les cryptomonnaies d’un bon œil.
Nous pouvons voir, sur la carte ci-dessus, que la situation reste floue pour une bonne partie du continent. L’interdiction ou l’encadrement trop strict de ces nouvelles monnaies pourrait être un frein à leur adoption par la population.
Conclusion
Il est certain que les cryptomonnaies peuvent apporter des solutions à bien des problèmes auxquels sont confrontés les Africains : transferts internationaux surtaxés ou impossibles, dévaluation des monnaies, épargne, investissement, inclusion bancaire, …
Cependant, la route à parcourir est encore longue pour qu’elles soient adoptées par la majorité de la population. Les carences dans les domaines de l’éducation, des infrastructures, de la sécurité, la pauvreté et les autres sujets abordés dans cet article sont des freins à de nombreuses avancées et les cryptomonnaies en font partie.
En revanche, il ne fait aucun doute qu’une partie de la minorité privilégiée a déjà identifié les avantages de ces nouvelles monnaies. Peut-être sera-t-elle le vecteur de l’adoption à plus grande échelle, d’autant plus si cela peut lui être bénéfique. En effet, comme c’est le cas ailleurs aussi, l’intérêt personnel est souvent privilégié à l’intérêt collectif. Et il est peu probable que le sujet ne se démocratise grâce au simple amour du partage.
Le moteur principal d’une adoption massive serait peut-être simplement un engouement collectif pour ces nouvelles monnaies. L’Afrique fait déjà face à de nombreuses difficultés qui paraissent souvent insurmontables au reste du monde, mais que la population parvient à surpasser grâce à son ingéniosité et son sens logique, souvent sans aide ni matériel adapté. Des « systèmes D » cryptos pourraient donc tout à fait voir le jour, à condition que le besoin s’en fasse sentir.
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