Le succès de Bitcoin a progressivement éveillé l’intérêt du grand public pour les registres blockchain, puis pour les DLT (Distributed Ledger Technologies, ou technologies de registres distribués) au sens large. La différence entre les deux concepts est très ténue, si bien que ces deux termes sont souvent employés indifféremment. C’est l’occasion pour nous de redéfinir ces termes et de chercher à mieux en cerner les contours.
Définitions et différences entre blockchain et DLT
Par définition, une technologie de registre distribué est simplement une base de données décentralisée gérée par plusieurs participants. Elle enregistre l’historique des transactions sur des nœuds de manière décentralisée. Chaque nœud valide et enregistre les transactions simultanément. Les enregistrements ont chacun un horodatage unique et doivent faire l’objet d’une signature cryptographique, gage de la sécurité et de l’incorruptibilité du réseau.
Chaque changement ou modification du registre doit faire l’objet d’un consensus des nœuds, qui doivent voter pour s’assurer de la sécurité et de la légitimité de chaque mise à jour.
Une DLT n’est donc régie par aucune autorité centrale agissant comme un arbitre ou un gestionnaire. Ces registres distribués permettent de garantir une meilleure transparence, mais aussi une meilleure sécurité d’un réseau, plus compliqué à pirater qu’une base de données centralisée.
Une chaîne de blocs, ou blockchain, est un type particulier de DLT, dont l’un des grands mérites est d’avoir relancé l’engouement des chercheurs, des entrepreneurs et même du grand public autour des problématiques techniques liées aux DLT, qui n’étaient jusqu’alors dignes d’intérêt que pour une minorité de spécialistes acharnés.
Bien sûr, certains points font encore débat et la signification ou même l’origine exacte des blockchains est controversée.
Les premiers travaux décrivant une chaîne d’information sécurisée par des procédés cryptographiques remontent à 1991 et sont l’oeuvre de Stuart Haber et W. Scott Stornetta. A la suite de ces travaux, les deux chercheurs ont mis au point ce que certains considèrent comme la première blockchain de l’histoire, à savoir une suite d’empreintes mathématiques liées les unes aux autres, inscrites systématiquement dans chaque numéro d’un magazine papier diffusé à grande échelle (le New York Times). Le but de cet exercice étonnant étant de garantir publiquement que toutes les données conservées par Stuart Haber et W. Scott Stornetta pour le compte de leurs clients n’ont jamais été modifiées.
Depuis cette première expérience de blockchain en papier (qui tourne toujours depuis 1995 soit dit en passant), la dernière grande innovation en la matière remonte à l’invention de Bitcoin en 2008.
Vis à vis des DLT certains affirment que le concept de blockchain en est l’exact synonyme alors que d’autres, plus tatillons, affirment que techniquement l’expression chaîne de blocs ne s’applique qu’aux chaînes de blocs linéaires comme celles utilisées par les systèmes Bitcoin et Litecoin et non aux systèmes basés sur des graphes orientés acycliques comme le Tangle ou Hedera Hashgraph.
Blockchain & DLT
On peut citer plusieurs systèmes de DLT reconnus, comme Hyperledger (IBM) ou Corda (R3). A noter tout de même, que ces deux DLT sont aussi qualifiés de blockchains par leurs promoteurs, ce qui montre bien la proximité des deux termes.
Retenons simplement que les DLT ont initialement été conçues pour procéder à des transactions au sein d’un environnement de confiance, alors que les blockchains, héritières de Bitcoin, ont pour vocation de permettre à une communauté d’acteurs ne se faisant pas confiance d’atteindre un consensus quant à l’intégrité et l’immuabilité d’un registre commun de transaction sans s’en remettre à un tiers de confiance ; d’où l’expression de “trustless system”. C’est cette immutabilité qui, aujourd’hui, fait à la fois la force et la faiblesse principale de l’architecture en blockchain, en en faisant un outil privilégié pour les transactions financières, tout en posant parfois problème pour la bonne exécution du droit à l’oubli et le refus d’intervention humaine en cas de dysfonctionnement du code.
DLT ouvertes VS DLT “permissioned”
Techniquement la principale différence ne se fait pas entre blockchain et DLT, mais plutôt entre DLT ouvertes (autrement dit, publiques) et DLT permissioned (soumises à permission). A noter là encore, que les termes de “blockchains ouvertes” ou “sans permission” par opposition aux “blockchains privées” ou “avec permission” sont souvent employés à la place des formulations à base de DLT citées précédemment.
En pratique, faute de précision, le terme de blockchain catégorise implicitement des DLT publiques à savoir un système de registre distribué sécurisé à travers un savant système d’incitations économiques et notamment de cryptomonnaies. La cryptomonnaie sous-jacente d’une DLT publique permet de faire fonctionner la plateforme en créant une incitation financière à la participation et à la sécurisation du réseau. Ces DLT sont quasiment toutes Open Source et destinées à être ouvertes au public. Notons que certaines DLT publiques ne sont pas basées sur des architectures de blockchain à proprement parler, mais de DAG (Graphe Orienté Ayclique) : c’est le cas d’IOTA, Nano, ou encore Byteball.
D’autres DLT sont « permissioned » et nécessitent une permission pour y avoir accès. Beaucoup moins disruptives socialement parlant, elles sont cependant bien plus simples à déployer et déjà opérationnelles dans de nombreux cas. De nombreuses entreprises ont souhaité travailler sur des POC (Proof of Concept) pour déployer en interne des registres distribués. Radicalement différentes de l’idéologie de Satoshi Nakamoto, ces DLT ne s’appuient sur aucune cryptomonnaie. Les réseaux de DLT se construisent généralement sous la forme de consortium d’entreprises, pour profiter de l’efficience des registres distribués sur un cas d’usage particulier. Elles sont particulièrement adaptées à un usage BtoB, quand les DLT publiques s’adresseront davantage à un public BtoC.
Les DLT permissioned suscitent depuis quelques années un intérêt croissant auprès des entreprises soucieuses de s’appuyer sur des process rigoureux et sécurisés pour gagner en efficience, sans avoir à utiliser de cryptomonnaies.
Le succès des DLT permissioned s’explique en grande partie le crypto-scepticisme ambiant en Europe et aux Etats-Unis, face à l’immaturité et l’instabilité du marché des cryptomonnaies.
Toutefois, si l’on s’intéresse en priorité au potentiel d’innovation des registres distribués, les DLT publiques (architecture en blockchain ou en Tangle) sont les seules à insuffler un véritable changement de paradigme pour redonner le contrôle à l’utilisateur sur ses données ou ses actifs.