Gouvernance des blockchains : Vitalik Buterin (ETH) VS Dan Larimer (EOS)

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Pendant mes recherches sur le sujet de la gouvernance des blockchains je suis directement tombé sur deux articles qui présentent bien les divergences d’opinions qu’il peut y avoir autour du sujet dans l’écosystème.

Le premier article a été rédigé en décembre 2017 par Vitalik Butterincofondateur d’Ethereum – le second a quant à lui été écrit par Dan Larimerfondateur d’EOS. Il est possible qu’à la citation de ces noms vous sachiez déjà la tournure que va prendre cet article. En effet, les deux sont connus pour avoir des avis très divergents sur de nombreux sujets tels que les modes de consensus des blockchains ou encore la gouvernance des blockchains, sujet qui nous intéressera ici.

Gouvernance des blockchains, quésaco ?

Avant de confronter les avis de nos deux protagonistes, nous allons définir la gouvernance des blockchains en reprenant la définition de Vitalik Buterin. D’après lui, il y a deux modèles de gouvernances, la vision fonction de décision de la gouvernance et la vision coordination de celle-ci.

La vision “fonction de décision”

La fonction de décision traite de la gouvernance comme une fonction mathématique à plusieurs entrées, mais à sortie unique. Les entrées étant les diverses parties prenantes – politiques, propriétaires fonciers, actionnaires, électeurs, etc.. – et en sortie les décisions sur lesquels ils trouvent un accord.

Fonction de décision.

Malgré un fonctionnement relativement utile, cette fonction de décision n’en reste pas moins contournable, en effet, les gens peuvent enfreindre la loi et s’en tirer, dans certains cas les règles sont ambiguës et parfois des révolutions se produisent.

La vision “coordination”

La vision de coordination, elle, modélise la gouvernance en couches, la première étant les individus. Dans le monde des blockchains cela se réfère à la possibilité de chacun d’utiliser la version qu’il souhaite d’un logiciel – par exemple une version du client Bitcoin – ces actions ne peuvent être stoppées, mais elles peuvent être influencées par la couche supérieure. Cette couche supérieure représente les institutions de coordinations, dont le but est de créer des points focaux sur la manière et le moment où les individus doivent agir afin de mieux coordonner leurs comportements. Cette couche permet d’éviter les comportements anarchiques qui ne mèneraient probablement nulle part, afin de leur préférer des comportements coordonnés poussant tout le monde à agir dans un but commun.

Les interrogations de Vitalik Buterin

Cette introduction sur la définition même de gouvernance des blockchains amène Vitalik à deux interrogations :

  • Quelle devrait être la couche 1 ? En d’autres termes, quelles caractéristiques devraient être définies dans le protocole initial lui-même, et comment cela influe-t-il sur la capacité d’apporter des changements de protocole fondés sur des caractéristiques (c.-à-d. des fonctions de décision), ainsi que sur le niveau de pouvoir des différents agents pour agir ?
  • Quelle devrait être la couche 2 ? En d’autres termes, quelles sont les institutions de coordination dont les gens devraient être encouragés à s’occuper ?

C’est sur ces questions que les points de vue des deux développeurs divergent. 

L’avis de Vitalik Buterin : la gouvernance  doit être off-chain

Dans le cas du cofondateur d’Ethereum, aucune gouvernance particulière ne devrait être appliquée sur les protocoles eux-mêmes – couche 1Il aborde son désaccord dans son article à travers une partie consacrée aux constitutions numériques qui permettrait de définir une série de propriétés que le protocole devra respecter, impliquant chaque modification du code d’être accompagnée d’une preuve informatique de la conformité à ces règles.

Selon lui, l’idée de constitutions numériques des protocoles n’est pas inimaginable, mais ne devrait en aucun cas être impliquée dans le protocole même, mais plutôt en tant que solution de deuxième couche – solution off-chain. Afin d’enrichir son explication, Vitalik prend le cas de la max supply – quantité maximale – de bitcoins censés assurer le caractère inflationniste du bitcoin, certes il est possible d’ajouter une ligne de code dans le protocole spécifiant cette quantité assert total_supply <= 21000000, mais cette solution peut être contournée de plusieurs manières. Par exemple il explique que l’on pourrait mettre en place une autre monnaie, appelée Bjtcoin, avec 21 millions de nouvelles unités, et ajouter une caractéristique selon laquelle si une transaction de bitcoin est envoyée, le mineur peut l’intercepter et réclamer le bitcoin, donnant ainsi au destinataire un bjtcoin ; cela forcera rapidement bitcoins et bjtcoins à être fongibles entre eux – échangeable à un taux de 1:1, augmentant la « quantité totale » de pièces à 42 millions sans jamais avoir à modifier la ligne de code précédente.

Pour que l’on puisse affirmer qu’une modification du protocole soit vue comme illégitime à la vue de cette constitution numérique il est nécessaire selon Vitalik d’avoir une institution de coordination pour lever des red flag – drapeau rouge. Cela a pour but d’informer la communauté sur le caractère de ces modifications, incitant ici les fonctions de décisions individuelles à ne pas adopter les modifications. Cela permettrait également de s’assurer que certaines modifications, bien qu’elles soient en accord avec la constitution, ne soient pas forcément adoptées si celle-ci ne trouve pas de résonance dans « l’esprit » du projet.

Vitalik Buterin boycott Coindesk
@VitalikButerin

 

« Le fait d’avoir des normes sur la couche 2 – dans l’esprit des humains de la communauté, plutôt que dans le code du protocole – permet d’atteindre au mieux cet objectif. » 

 

 

L’avis de Dan Larimer : la gouvernance doit être on-chain

Larimer quant à lui ne croit pas en la gouvernance humaine sur les blockchains comme le proposent jusqu’ici Bitcoin ou Ethereum.

« Tout code a des bugs ; et des bugs dans la loi créent l’injustice et la violation des droits de propriété attendus. »

Il n’hésite pas à pointer du doigt la manière dont le gouvernement nébuleux d’Ethereum, comme il l’appelle, a eu recours au hard fork afin de réparer les dommages suite au hack de TheDAO,  ainsi que la manière dont un consensus de leaders a voté pour l’adoption de SegWit sur Bitcoin. Cependant, d’après lui ces processus de gouvernance sont informels, moins prévisibles et encore moins responsables que les structures gouvernementales que nous espérons que les blockchains remplaceront.

Afin de décrire sa vision des choses, Larimer prend le cas du projet dans lequel il essaye de l’appliquer : EOS. La constitution communautaire d’EOS vise à rétablir la décentralisation dans la gouvernance des blockchains, dans cette dernière toutes les parties conviennent que les différends ne peuvent être résolus qu’en annexant la blockchain. Ainsi toute personne en désaccord avec la direction que prend le projet est libre de prendre le code open source du projet afin de créer une nouvelle communauté basée sur une différente liste de règles.

Il défend son idée affirmant que cette libre concurrence dans la gouvernance communautaire introduit les forces du marché dans l’équation de la gouvernance. Cela aurait comme impact qu’une blockchain ayant un système de règlement des conflits corrompu verra sa cryptomonnaie liquidée sur les marchés au profit d’une communauté protégeant mieux ses droits.

Afin d’appliquer ce concept dans l’écosystème EOS, Larimer souhaite s’appuyer sur des smart-contracts ainsi que sur un organe d’arbitrage : l’ECAF – EOS Core Arbitration Forum – cette instance indépendante, composée d’arbitres eux-mêmes indépendants, est chargée de régler les litiges entre plusieurs parties sur EOS.

Le cas de la récompense de bloc Ethereum

À ce stade de mes recherches, j’ai eu du mal à saisir la nuance qu’EOS apporte. En effet, qu’est-ce qui oblige un utilisateur du réseau Ethereum de ne pas créer sa propre communauté si un désaccord venait à apparaître avec les institutions de gouvernance comme le propose EOS.

La réponse m’a été apportée par Rémy à travers l’exemple suivant : sur Ethereum les développeursaka institution de gouvernance – ont annoncé en septembre que lors de la prochaine mise à jour la récompense par bloc miné sera abaissée de 3 à 2 ETH. La communauté doit accepter cette décision, même si les mineurs auraient préféré avoir la possibilité de voter ce choix, ou de sanctionner les développeurs en cause en ne votant pas pour eux – si Ethereum était similaire à EOS.

Sur EOS si une décision ne plaît pas à la communauté, celle-ci a la possibilité d’alerter l’ECAFEOS Core Arbitration Forum – afin de discuter et voter cette modification et de donner le feu vert aux block producer pour appliquer ou non la mise à jour. Ainsi, grâce à ce mécanisme le protocole peut évoluer et adopter une gouvernance décentralisée basée sur le vote des utilisateurs et non sur des recommandations d’une institution centralisée.

Il semble cependant bon de rappeler que dans la théorie l’ECAF de EOS se veut indépendante, mais que dans la pratique son fonctionnement reste opaque et centralisé. Dans un sens, cette institution manque de légitimité là ou un consensus de développeur – pour le cas d’Ethereum par exemple – pourrait avoir une légitimité accrue.

L’abstentionnisme : l’ultime problème de la gouvernance on-chain selon Vitalik

Vitalik n’a cependant pas dit son dernier mot, et celui-ci reste critique au sujet du vote on-chain – ou vote de couche 1. En effet, plusieurs points lui posent problème.

L’abstentionnisme est le principal problème du coin voting – vote ou chaque token représente un vote – par exemple au cours du DAO un vote off-chain a été réalisé, seuls 10 % des utilisateurs d’Ethereum ont voté.

Ces chiffres ne sont pas propres à Ethereum, les validateurs accumulant le plus de votes sur le réseau Bitshare n’ont que 17 % du total des votes, sur Lisk ce chiffre monte à 30 %.

Ce manque de participation pose plusieurs problèmes, dans un premier temps cela réduit la légitimité du gagnant lors d’un vote, car la modification n’aura été approuvée que par un petit nombre d’acteurs. Dans un second temps, un attaquant avec un petit pourcentage du total de token peut facilement interférer dans le vote. Concernant ce point, les principaux acteurs mis en cause sont les plateformes d’échange. Celles-ci stockent de larges quantités de tokens dans leurs wallet et pourrait sans problème forcer l’issu d’un vote grâce aux fonds de leurs utilisateurs. Ces dernières pourraient même offrir des intérêts aux utilisateurs stockant leurs fonds sur la plateforme, assurant à la plateforme le contrôle sur les décisions sur des cryptomonnaies voulues.

Certains diront que lors du CarbonVote d’Ethereum, une blacklist contenant les adresses connues de plateformes d’échange ont été ajoutés dans le smart contract, les empêchant de prendre part au vote. Cependant, une telle liste ne pourrait exister sur un système comme celui d’EOS, car le fait ajouter une blacklist au niveau protocolaire ainsi que les adresses qui seraient dedans relève de la gouvernance des blockchains et nécessiterai elle même un vote qui faute de blacklist pourrait être bypassé par les plateformes d’échanges.

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Il semblerait qu’on tourne en rond…

Pas de solution miracle

Une fois n’est pas coutume dans l’écosystème blockchain, il n’y a pas de solution miracle pour gérer la gouvernance des blockchains. Plusieurs solutions sont théorisées, implémentées et mises en pratiques au travers de projet comme Ethereum et EOS. Cependant, chaque solution propose des avantages et des inconvenants et les avis continuent de diverger.

Pour les anglophones , je ne peux que vous conseiller de prendre connaissance des articles originaux de Buterin et Larimer sur le sujet, qui sont des sources importantes de savoir.

Renaud H.

Ingénieur en software et en systèmes distribués de formation, passionné de cryptos depuis 2013. Touche à tout, entre mining et développement, je cherche toujours à en apprendre plus sur l’univers des cryptomonnaies et à partager le fruit de mes recherches à travers mes articles.

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